Le ministre de l’Éducation nationale et de la Jeunesse, Gabriel Attal, a confié à une mission « exigence des savoirs », composée de professionnels de l’éducation (recteurs, inspecteurs, professeurs) le soin d’identifier les principales mesures à prendre pour rehausser le niveau scolaire des élèves, de la maternelle au lycée, et de lui proposer un plan d’action opérationnel pour les mettre en œuvre. Nous avions déjà publié notre compte-rendu de la conférence de présentation de la méthode de travail

Dans ce cadre, il a souhaité consulter l’ensemble des professeurs, inspecteurs et chefs d’établissement afin qu’ils puissent faire valoir leur avis de professionnels et formuler des propositions.

Envoyé dans les boîtes aux lettres académiques des enseignants pendant les vacances scolaires, le questionnaire a été analysé par nos soins.

Un questionnaire général

La première remarque est ce questionnaire est conçu, sur la majorité des questions, de façon indifférenciée pour les professeurs, les inspecteurs et les personnels de direction. Autant nous sommes tout à fait favorables à ce que l’ensemble des personnels participe à la réflexion, autant nous ne voyons pas la pertinence de proposer un questionnaire rédigé quasi intégralement du point de vue du seul enseignant. C’est d’autant plus regrettable que l’outil numérique permet justement de générer un questionnaire totalement adapté à chaque profil déterminé. Cela signifie que pour de nombreuses questions, la réponse d’un inspecteur ou d’un personnel de direction risque d’être biaisée par le caractère très indirect de leur propre perception de la situation.

Un exemple de question conçu pour un enseignant plutôt que pour un inspecteur. Si l’inspecteur a forcément un point de vue utile sur la formation, les autres éléments sont éloignés de son quotidien ou il n’en a qu’une approche conditionnée aux remontées d’incidents.
Un exemple de question conçu pour un enseignant plutôt que pour un personnel de direction. Si la dimension pédagogique de la fonction du « perdir » a été sans cesse renforcée, il n’en reste pas moins qu’un chef d’établissement ne pourra avoir la même qualité d’analyse d’un enseignant sur cette question, qui plus est sur l’ensemble des disciplines que sa fonction chapeaute.

Des choix de réponse limités

Parce qu’il faut aller vite et que la lecture du questionnaire sera automatique, les réponses possibles sont déjà indiquées dans l’essentiel des cas et leur philosophie donne déjà la tendance de ce que seront les préconisations du rapporteur général. La seule possibilité d’originalité réside dans ces deux questions, mais originalité restreinte en 750 caractères :

Une version « lycée » moins bien finie que la version « collège »

Les quelques exceptions à la trame générale de questions et qui tiennent compte des lieux d’enseignement interrogent.

Par exemple, seuls les personnels du collège sont interrogés sur la pertinence du redoublement.

Les deux dernières questions sont réservées aux seuls personnels de direction

De même, seuls les personnels du collège sont interrogés sur la façon de construire une séquence pédagogique. Il est curieux de se passer de l’avis des enseignants du lycée sur ce sujet central. Mais il est vrai aussi que, pour le lycée, une question de ce type exposerait les retards de diffusion des ressources officielles. Pour rappel, Eduscol n’a toujours pas publié les ressources d’accompagnement pour la moitié du programme de spécialité de Terminale, alors que cela fait déjà plus de quatre ans que les programmes sont installés. La disparition des E3C, remplacées par un contrôle continu intégral dopé par les pressions familiales pour les « bonnes notes », l’absence de cadrage national sur ce que doit recouvrir un plan local d’évaluation, ont rendu très flous les « attendus » de fin de lycée. Il en ressort, pour l’observateur, que c’est le collège qui est au centre des attentions, alors que l’encadrement institutionnel a été moins relâché qu’au lycée. Autre indice concordant, l’augmentation du volume horaire de l’EMC, annoncée par le précédent ministre  et limitée au cycle 4 du collège.

Une question portant sur la progression pédagogique et qui n’est intégrée qu’au seul questionnaire collège.

Sur les leviers permettant d’améliorer le niveau scolaire des élèves, la version collège est plus fine que la version lycée.

Version collège
Version lycée

Les dimensions moins ou non prises en compte

La question de l’exigence dans les évaluations

Plusieurs dimensions essentielles sont contournées. Le questionnement n’aborde pas de façon assez frontale la question des exigences dans les évaluations. On en reste à une lecture organisationnelle, où domine l’espérance en la concertation d’équipe. Cette concertation n’est pas toujours possible et surtout, à l’usage, elle ne fixe qu’une ligne moyenne de pratiques entre les collègues. Il n’est pas raisonnable d’attendre des enseignants, soumis à de nombreuses injonctions contradictoires venant des familles et de leur hiérarchie, qu’ils soient dans l’auto-régulation sur un tel sujet. On se retrouve dans le même dilemme, sur un autre plan, qu’avec l’école du socle, qui a tellement insisté sur les compétences minimales à atteindre que dans trop de cas, ce qui relevait du seuil est devenu un plafond à atteindre. Il y a là un tabou qu’il faudra traiter, et plus tôt que tard.

La question des punitions et sanctions

La question sur les punitions et sanctions comme moyen de réaffirmation de l’autorité de l’enseignant est traitée allusivement. Elle soulève en creux la nécessité d’une bonne coordination entre l’enseignant et la vie scolaire, mais il est dommage que ce ne soit qu’en creux. Trop souvent, l’enseignant est seul face aux punitions qu’il impose, lesquelles, dans de trop nombreux cas, se terminent par un alourdissement de son propre travail. Combien d’enseignants ne peuvent plus imposer d’heures de retenue parce que la vie scolaire ne les traite qu’au compte-gouttes pour différentes raisons, parce qu’ils n’ont pas la possibilité matérielle d’accueillir un élève collé dans leur salle pendant qu’ils ont un cours avec une autre classe ? Combien s’empêchent d’exclure un élève sur la pause méridienne de 11h00 à 14h00 parce qu’ils savent que la vie scolaire est accaparée par la demi-pension ? Combien se sont vus reprocher par un chef d’établissement, par des parents, ou par des représentants de parents en conseils de classes de mettre « trop » de mots dans le carnet de correspondance pour devoirs non faits, oubli de matériel, etc. ?

Donc oui, ce point est important mais dans l’intitulé de la question, il recoupe largement des formules bien vagues comme  « l’évolution des relations entre l’école et les parents » et « un meilleur soutien et un accompagnement de votre hiérarchie ». Sur tous ces points, il aurait été largement bénéfique que l’enseignant puisse définir ce qu’il entend par « évolution des relations », « meilleur soutien » et même « meilleure formation ». Aucun de ses sujets ne dispose d’une lecture suffisamment consensuelle pour que la DGESCO en début de chaîne et l’enseignant à la fin y voient la même chose.

La question de la culture générale

Les questions autour de la culture sont certes intéressantes mais la culture générale relève aussi de la famille et des pratiques personnelles des élèves. Toutes les préconisations de développement demeurent assez vagues dans leur contenu et limitées dans leurs moyens. Le Pass Culture, qui en soi représente un effort financier important, même en le généralisant, ne saurait répondre à tous les besoins et permettre un rattrapage de capital culturel pour les élèves issus de milieux défavorisés. Nous sommes circonspects dans l’identification des connaissances dites « incontournables », qui ouvrent la voie à toutes les polémiques recuites entre culture officielle et contre-culture, culture bourgeoise et culture populaire, culture française et cultures du monde. C’est un terrain glissant du même ordre que la préconisation des manuels labellisés (mentionnés à la conférence de présentation mais absents du questionnaire).

Le travail personnel des élèves, sujet tabou

Enfin, la question du travail personnel de l’élève n’est pas du tout envisagée alors que c’est le manque d’implication dans le devoir à la maison qui explique prioritairement le décrochage observé. Les devoirs maison ont été interdits à l’école depuis des lustres, ils disparaissent de fait dans de très nombreux cas dans le secondaire, et non plus seulement dans les seuls établissements relevant de l’éducation prioritaire. C’est un problème majeur, qui affecte non seulement l’entraînement pratique aux examens et donc l’adaptation au travail autonome dans le Supérieur, mais aussi l’acquisition pure et simple des connaissances.

Le discours entendu partout désormais est que « les élèves ont une vie », même en plein conseil de classe ou d’administration, et que le temps scolaire doit être auto-suffisant, pour découvrir, s’entraîner, travailler, être évalué, le tout avec une charge horaire en classe qui n’a fait que baisser ces trente dernières années.

Le fait de ne pas évoquer le problème dans le questionnaire laisse craindre, qu’une fois encore, ce sujet essentiel soit purement ignoré et réduit à un simple accessoire didactique. Or toutes les études le confirment, si les enfants des milieux favorisés arrivent à maintenir vaille que vaille un certain niveau par rapport aux autres, c’est parce que leur famille, plus diplômée que la moyenne, prend le relais, à coup d’apprentissage précoce de la lecture, cours particuliers, devoirs de vacances, summer camp à l’étranger, etc. Cette stimulation intellectuelle commence dès le plus jeune âge et c’est ce qui explique pourquoi les écarts sont si prononcés dès l’enseignement primaire.

Il est illusoire de penser qu’en l’état, Devoirs faits, un dispositif facultatif (sauf en 6ème) et sur un horaire restreint, pourra suffire à compenser. Il est d’ailleurs impensable que l’école se substitue totalement à l’environnement familial. Toutefois, même sans envisager cette substitution, c’est le rôle de l’institution de rappeler fortement la responsabilité des familles et de l’élève. Il y a là un véritable combat à mener face à certaines fédérations de parents d’élèves qui privilégient de façon quasi constante le fardeau du travail de l’élève sur le seul temps scolaire.

Il y a aussi, du côté de l’école toujours, la nécessité de réviser des pratiques qui, indirectement, ont laissé croire à l’élève que son travail n’était pas un réel devoir mais un simple paramètre avec lequel l’enseignant s’ajuste. Si l’on prend le traitement de toutes les moyens d’évitement employés par l’élève (travail non rendu, absence à un devoir, absence en cours), on constatera que sur ces quinze dernières années, toutes les procédures ont été alourdies côté enseignant et administration, à moyens constants, mais avec une performance de plus en plus dérisoire sur le problème.

On ne citera qu’un seul cas : l' »avertissement conduite ou travail » que l’on mettait jadis sur le bulletin scolaire, qui est aujourd’hui inscrit sur un document séparé, avec force formules orale sur la nécessité de « préserver le dossier de l’élève ». L’avertissement est devenu une « mise en garde travail ou conduite », n’a plus valeur de sanction, n’est d’ailleurs plus une initiative du conseil de classe mais du chef d’établissement et fait l’objet d’un entretien avec la famille, le chef d’établissement et le professeur principal. Rien n’est prévu par exemple, en cas de réitération de mise en garde, pour passer à l’étape de la sanction réelle. On a pu régulièrement dénoncer le caractère artificiel de Parcoursup, avec des dossiers standardisés où n’affleurent plus que des formules creuses dans les bulletins : le filet d’eau tiède est nourri par une organisation en amont qui, structurellement, peinera à dire les choses simplement.

 

Malgré ses faiblesses et le délai extrêmement court laissé à la campagne de diffusion, le questionnaire présente l’intérêt de s’adresser à l’ensemble des professeurs, aux inspecteurs et au personnel de direction. Il donne la parole sur un sujet sensible qui a été trop longtemps ignoré. Notre souhait est que la participation soit la plus large possible et que les personnels s’emparent des quelques questions sous format libre.