Intervenants:

  • Marine MACQ, consultante Jeux vidéo pour la BNF, directrice de la galerie dart en ligne Pixel Life Stories

  • Romain VINCENT, professeur dans le secondaire, doctorant, chercheur-associé au département audiovisuel de la Bibliothèque Nationale de France

Nombreux sont les jeux vidéo utilisant l’Histoire. Or une simple comparaison entre la narration historique de ces jeux et une narration scientifique de l’Histoire est inopérante pour comprendre la complexité de la mise en jeu du passé, autrement dit le processus de ludo formation. Les études de Marc Marti permettent de distinguer des usages qu’il nomme « libres » et des usages « historiques ». Dans le premier cas, que l’on retrouve dans la Fantasy, le passé n’est qu’un prétexte, destiné à permettre une « évasion ludique ». Dans le second, qui intéresse ici les conférenciers, le jeu vise à produire un « effet de réel » en permettant de jouer « dans ou avec » l’Histoire. Dans cette perspective Marine Macq et Romain Vincent passent en revue différents usages « historiques » de la Renaissance, tout en interrogeant les modalités de production des jeux.

  1. Les représentations de la Renaissance dans Assassin’s Creed II

Le jeu Assassins Creed II sorti en 2009, a pour cadre l’Italie à la Renaissance. Le scénario est plutôt classique: le joueur contrôle Desmond, personnage qui incarne lui même un héros de sa mémoire génétique (définie comme la mémoire de ses ancêtres, ici Ezio). Ce héros, en quête de vengeance, parcourt plusieurs villes italiennes marquées par la Renaissance. Il passe par exemple devant la Basilique Santa Maria del Fiore au début du jeu et se retrouve dans la chapelle Sixtine à Rome à la fin.

Ubisoft a porté une attention particulière aux détails architecturaux ce dont témoignent les captures d’écran du jeu ci-dessus, comme à la modélisation des décors. L ‘« effet de réel » est renforcé par l’implication du héros dans des événements historiques (la conjuration des Pazzi par exemple), qui rendent le chronotope cohérent. Des libertés sont cependant prises avec la réalité historique.

Tous les monuments ne sont pas conformes à la réalité. Ainsi, la lanterne au sommet du dôme de Santa Maria del Fiore n’apparaît pas dans le jeu pour des raisons techniques techniques. Cet exemple montre que des choix pour différentes raisons sont faits au moment de la conception des jeux. À l’authenticité historique, les concepteurs privilégient la compréhension du joueur. La comparaison d’un screenshot et d’une photographie de la basilique Santa Croce de Florence, montre que cette dernière apparaît dans le jeu en polychromie. La polychromie permet au joueur de mieux se repérer face à ce monument qui apparaît plusieurs fois. Dans les faits, les services marketing veille surtout à ce que la représentation d’un monument soit signifiante, reconnaissable par un public mondial. Le fait que le Colisée soit représenté par une forme ronde avec des portes toutes standardisées ne pose donc aucun problème.

Évoquant la « scolarisation de ce jeu », Romain Vincent mentionne deux types d’utilisation de ce jeu en classe. Il rappelle qu’il est extrêmement difficile de faire jouer des élèves en classe car contrairement aux préjugés actuels, nombreux sont les élèves qui ne comprennent pas le game play et éprouvent des difficultés à prendre en main le jeu. En laissant de côté le processus du jeu, les scènes d’Assassin’s Creed peuvent par contre être facilement utilisées pour créer par exemple un schéma de la Florence de la Renaissance.

2. Comprendre la Renaissance grâce aux mécanismes du jeu lui-même

Deux exemples de jeux montrent qu’il est possible de « jouer avec la Renaissance ».

Dans Four Last Things, sorti en 2017, les personnages comme les scènes sont créés à partir de peintures fragmentées de la Renaissance flamande. Le joueur incarne un personnage qui a commis les sept péchés capitaux, mais qui se voit dans l’obligation de les recommencer afin que l’Église puisse les absoudre. Le jeu qui fait référence au tableau attribué à Jérôme Bosh Les sept péchés capitaux et les quatre dernières étapes humaines permet donc d’appréhender la théologie chrétienne. L’esthétique est mise au service d’un discours critique dans l’esprit des Monty Piton.

Dans Painters Guild, un jeu édité en 2015, les mécanismes du jeux simulent le fonctionnement d’un atelier de la Renaissance, qu’il faut contribuer à développer pour éviter la faillite. Le local ou l’atelier est bien une partie intégrante de l’habitation. Léonard de Vinci ou d’autres artistes « embauchés » doivent peindre des tableaux pour contenter les « clients » et agrandir le local. Si le jeu inclut quelques anachronismes et le graphisme peut sembler décevant, la façon dont une oeuvre de la Renaissance est conçue et le fonctionnement d’un atelier dépendant d’une guilde sont bien mis en avant.

3. Des ateliers de la Renaissance aux studios des jeux vidéo: les modalités de production

Le fonctionnement d’une guilde permet à Marine Macq d’interroger le processus de création des jeux actuels.

La guilde est dirigée par un maître qui est propriétaire des instruments et outils de travail comme de la matière première. L’atelier est hiérarchisé avec le maître, des apprentis et des compagnons. Il fonctionne sur le principe de la bodega, la boutique, un espace ouvert dans lequel entrent les passants mais également les clients. Ce sont ces derniers qui commandent les oeuvres. Ce fonctionnement a des incidences sur la perception des contemporains de l’époque, sur l’opposition entre arts libéraux et arts mécaniques et sur le statut indifférencié entre artisans et artistes, puisque « l’artiste n’est finalement qu’un exécuteur » (Marie Macq).

Dans le monde du jeu, adossé au monde de l’entreprise, la hiérarchisation est importante. Les lieux de création sont comme dans les guildes, ouverts et le travail collaboratif. L’art de la commande existe, bien que la commanditaire soit le marché et non le prince. Pas plus qu’à la Renaissance selon Marine Macq, les concepteurs de jeux vidéos ne sont considérés ou reconnus comme des artistes pour leur créativité. Les créateurs de jeux sont en fait noyés dans la masse.

L’exposé de Marine Macq et Romain Vincent, montre donc que les jeux vidéo permettent d’accéder à différentes réalités de la Renaissance, mais que produit pour un marché, leurs fonctionnalités prennent le pas sur l’authenticité historique.

Cette conférence laisse en suspens de nombreuses questions. En effet, les jeux possèdent de forts ressorts narratifs que sapproprient les joueurs. Leurs récits constituent ainsi des « images sociales » (Marc Marti) révélatrices de représentations liées à la société actuelle, qui posent de nombreuses questions. Pourquoi joue-t-on peu « dans ou avec » la Renaissance? Qu’est-ce qui est mis en avant, qu’est-ce qui est tu dans ces jeux? Productions culturelles, les jeux sont également porteurs de mémoires ou d’enjeux mémoriels, qu’ils révèlent et contribuent également à diffuser. Quelle vision de la Renaissance avons nous, à travers les jeux vidéos?

Pour aller plus loin

  • Marc Marti « L’Histoire dans le jeu vidéo, une généalogie narrative problématique ? Le cas de la guerre dEspagne (1936-1939) et de sa ludicisation », https://journals.openedition.org/sdj/1041 (consulté le 15 octobre 2109)