Commerce, espionnage et intrigues politiques au temps de Laurent de Médicis.

Conseil départemental, 18h15 (1h30)

Après une introduction, par ordre chronologique, les trois intervenants brosseront trois portraits de marchands-espions au temps des Médicis.

La période qui nous intéresse est la deuxième moitié du XVe siècle où les Médicis s’inscrivent dans le grand négoce international (commerce dont épices, banque et spéculation…). Les sources de revenus sont alors considérables.

Les différentes interventions montreront que les les intérêts de l’Etat / des Médicis sont mêlés.Or, les Médicis sont à la tête de l’une des cinq grandes puissances méditerranéennes. Le rôle politique de Florence est important et l’adresse diplomatique des Médicis mise en avant dans une politique extérieure habile. On note alors une nouveauté : des ambassadeurs résidents et donc permanents. Ce sont des hommes nouveaux, souvent plus professionnalisés qu’au siècle précédent et ils sont liés aux Médicis. La pratique de cette diplomatie est très importante.

Ingrid HOUSAYE MICHIENZI : Benedetto Dei, marchand-espion à la cour ottomane au service des Médicis ?

Comment le connaît-on ? Principalement par deux de ses écrits : ses mémoires et sa chronique (1470). Sa chronique fait part de son séjour à Constantinople. La dimension politique, la glorification constante de Florence et la haine anti-vénitienne sont omniprésentes. C’est un écrit partial. Un corpus de lettres existe aussi (200 autographes et 400 qui lui sont adressées).

C’est dans le contexte de la croissance ottomane et d’un commerce à son apogée pour Florence en Méditerranée orientale que Benedetto Dei est connu. Au départ, les Vénitiens commercent avec les ottomans. La politique navale florentine en place est la cause majeure de l’inimitié entre Vénitiens et Florentins. Un consul florentin est installé en 1461 à Constantinople. Mais la position de Florence demeure fragile. Vers 1460, Benedetto Dei séjourne à Constantinople et rencontre le sultan Mehmet II mais les sources ne révèlent pas l’enjeu de cette rencontre. Est-il un émissaire secret auprès du sultan ? Est-il chargé de nuire aux intérêts des Vénitiens ? Ce séjour est-il missionné par les Médicis ? Les lettres à Laurent de Médicis et les chroniques vont en ce sens. Aucun document ne permet cependant d’établir de manière certaine que Laurent de Médicis le missionne.

Francesco GUIDI BRUSCOLI : Laurent le Magnifique et la banque des Medici à Rome

Les sources proviennent de la correspondance de Lorenzo et des directeurs de banque (Giovanni Tornabuoni, oncle de Lorenzo et Nofri Tornabuoni, neveu de Giovanni) et avec Pier Filippo Pandolfini par exemple.

Elle met en relief que la faveur du pape est essentielle aux succès financiers à Rome.

Ainsi la réconciliation avec la papauté se fait grâce au mariage entre sa fille et fils illégitime du pape. Le lien avec la papauté améliore le financier. Mais cette alliance implique un lourd fardeau financier cependant.

Des stratégies financières se mettent en place. Activités financières de la banque et intérêts diplomatiques de Lorenzo sont fortement liés. Les crédits accordés au Pape et à son fils mettent la filiale romaine de la banque en péril ; or, cette dernière ne pouvait pas compter sur les autres filiales, elles-mêmes en difficulté voire fermées.

Quelques extraits de lettres sont projetés à la salle :

« L’honneur en devrait pas être moins considéré moins que le profit » (Nofri Tornabuoni).

« Martellare il papa » = insister auprès du pape.

1492 : mort de Lorenzo puis pape Innocent VIII.

Agnès PALLINI-MARTIN : Guiliano da Gagliano, homme de l’ombre à Lyon

Cet homme s’inscrit dans le contexte difficile des guerres d’Italie (1490). Il est conseiller auprès des rois de France. Il mène des affaires à Lyon, à la fois d’ordre économique et politique. La présence du roi à Lyon le lui permet. Agnès PALLINI-MARTIN fait alors un bref rappel historique : le 2 septembre 1494, le roi de France franchit le mont Genève et le 17 novembre, il arrive à Florence. On assiste à la déroute des Italiens. Charles VIII entre dans la ville. Pierre et sa famille sont chassés et ne rentreront qu’en 1513.

Les tensions ont débuté à Lyon. Le Roi y était présent avec ses conseillers ministres. Depuis 1466, il existe une filiale de la banque des Médicis à Lyon. Elle doit faire frais de l’hostilité de Brissonnet vers 1490. En 1492, Laurent meurt et Pierre cherche à maintenir une bonne entente (il fera don de 54 faucons). Guiliano da Gagliano participe à cette activité. Mais ce ne sont que de bons rapports de façade avec Charles VIII. En 1493, le Roi a pour projet de chasser les marchands florentins si Florence n’envoie pas de soldats. Les facteurs de la banque des Médicis sont ainsi expulsés, leurs biens confisqués et la filiale est fermée. Pierre est alors en exil. Notre homme de l’ombre rentre en action. Il vend toutes les marchandises des Médicis, organise des transferts de fonds pour les Médicis en exil à Rome. Il tente de refaire le crédit des Médicis. Entre 1490 et 1496, il ouvre un livre de comptes pour ses propres opérations et des commanditaires sont inscrits sous des noms de code.

Deux fils rouges sont à retenir des trois biographies proposées :

  1. le thème de la diplomatie parallèle ;

  2. le recours à la lettre privée (= sources historiques). Ces lettres ne passent pas par les canaux de la Chancellerie qui sont plus longs et risquent de rendre des informations connues. C’est un appareil d’Etat secret et caché.

Suite aux trois exposés, une discussion avec la salle a lieu:

1) Concernant les sources qui sont des documents compromettants : pourquoi n’ont-elles pas été détruites ?

Francesco GUIDI BRUSCOLI : il n’y a pas de comptabilité pour la banque. En fait, ces lettres sont une activité de routine et ne sont pas perçues comme dangereuses. C’est une correspondance mercantile et diplomatique courante.

Agnès PALLINI-MARTIN: les livres de comptes ne sont pas détruits. Pour cacher les opérations, on a recours à un code (initiales des concernés par exemple).

Ingrid HOUSAYE MICHIENZI  : de plus, les Florentins sont des maniaques de l’écrit (on a un exemple de 150000 lettres pour un simple marchand). Benedetto Dei : ses lettres ne sont pas compromettantes car sa position anti-vénitienne est partagée par tout le monde et sa chronique écrite en fin de vie.

2) Est-ce que nous avons connaissance d’espions / commerçants… dans l’autre sens ? Du côté ottoman, non. Ils attendaient les émissaires étrangers car ils étaient en position de supériorité. Il y a trace de réception surtout. Dans les pages de Benedetto Dei, on note un côté didactique pour expliquer aux ottomans ce qui se passe en Italie, ce qui montre la non connaissance des ottomans.

En France pas de personnages équivalents à Florence ce qui tient sans doute à la spécifité de Lyon qui est un centre politique, financier, d’affaires… la structure de Florence est différente : les Médicis dominent mais n’en sont pas souverains.

3) Pourquoi Guiliano est-il discret ? Agnès PALLINI-MARTIN : on veut montrer sa réussite par les vêtements (couleurs vives / soie…) par exemple mais une discrétion est nécessaire comme dans les livres de comptes.

4) Giiuliano : comment expliquer la fidélité aux Médicis dans le contexte de fuite des Médicis à Rome? Agnès PALLINI-MARTIN : c’est une tradition familiale et il ne faut pas sous-estimer les avantages que cela pouvait procurer.

Ingrid HOUSAYE MICHIENZI : si les Médicis sont exilés, cela entraîne le déplacement de leurs réseaux d’affaires mais tout ne s’écroule pas. L’effondrement politique n’est pas synonyme d’anéantissement.

Si le propos est intéressant, il n’en demeure pas moins que l’aspect chronologique et biographique laisse quelque peu sur sa faim… Des recoupements sont faits lors des échanges avec le public mais une réelle problématique, certes annoncée en fin d’exposés, trouverait son sens en introduction.