Ce débat est proposé par les éditions du Seuil à l’occasion de la parution des trois premiers volumes de la collection Histoire de la France contemporaine, dirigée par Johann Chapoutot.

Il réunit autour de Philippe-Jean Catinchi, journaliste au Monde, qui a une fâcheuse tendance à accaparer la parole, voire à interrompre les auteurs :

– Ludivine Bantigny, maître de conférences à l’université de Rouen, qui sera l’auteur du dernier volume à paraître à l’automne 2013, La France à l’heure du Monde. 1981-2012 ;
– Johann Chapoutot, maître de conférences à l’université de Grenoble, directeur de la collection ;
– Quentin Deluermoz, maître de conférences à l’université de Paris XIII, auteur du troisième volume, Le crépuscule des Révolutions. 1848-1871 ;
– Bertrand Goujon, maître de conférences à l’université de Reims, auteur du second volume, Monarchies postrévolutionnaires. 1814-1848 ;
– Aurélien Lignereux, maître de conférences à l’IEP de Grenoble, auteur du premier volume de la collection, L’Empire des Français. 1799-1815 ;
– Jean Vigreux, professeur à l’université de Bourgogne, qui sera l’auteur de l’avant dernier volume, à paraître à l’automne 2013, Croissance et contestations. 1958-1981.

Les volumes ne seront pas publiés dans l’ordre chronologique des périodes traitées. À l’automne 2013, paraîtront les deux volumes qui couvrent la période 1958-2012 ; à l’automne 2014 les deux volumes qui couvrent la période 1871-1929 ; les trois volumes concernant les années 1930 (Johann Chapoutot), les années de la Seconde Guerre mondiale et de la IVe République paraîtront à l’automne 2015.

Johann Chapoutot précise qu’il s’agit à l’origine d’un projet des éditions du Seuil qui l’ont contacté avec pour objectif « de proposer au public une histoire totale de la France contemporaine, à l’imitation de la série nouvelle histoire de la France contemporaine, que Michel Winock avait lancé en 1972. L’ambition est identique : offrir au plus grand nombre les acquis des travaux les plus récents et les plus pointus sous la forme d’un récit accessible et agréable ». Johann Chapoutot a réuni autour de lui une équipe composée de trois jeunes historiennes et de six autres jeunes historiens, choisis sur des critères de compétence scientifique et de « viabilité humaine ». « Nous constituons en effet » affirme le directeur de la collection, « une véritable équipe dont les membres aiment à se rencontrer pour discuter, travailler, mais aussi pour le plaisir de vivre ensemble ». C’est donc en équipe que se sont faits les choix fondamentaux, et originaux, qui vont structurer la collection.

L’ambitieux objectif de cette équipe est de rédiger une histoire totale, qui ne néglige aucun des domaines essentiels du renouvellement historiographique des dernières décennies, histoire politique, culturelle, sociale, économique, histoire du genre, histoire coloniale, histoire de la mémoire, etc. Trois axes historiographiques fondamentaux ont guidé l’ensemble des auteurs :
– écrire une histoire non linéaire et non téléologique
– poser en permanence la question de l’identité nationale
– tenir le plus grand compte de l’interdisciplinarité entre les sciences sociales tout en restant des historiens et en s’intéressant à la chronologie.

En effet, pour le large public cultivé qui est le lectorat visé, il faut que les césures soient politiques et reconnues. D’autre part la périodisation politique a pour fondement le rôle d’impulsion du politique, le fait qu’en France, « l’État central est moteur dans l’avènement de la Nation et de la citoyenneté ». Les approches seront multiscalaires, du transnational au local. Chacun de ces volumes proposera donc un tableau historique qui sera à la pointe de l’historiographie la plus récente, mais qui sera néanmoins « un vrai livre d’auteur », qui ne néglige pas la qualité d’écriture, qui n’oublie pas que l’histoire est un récit, et qui soit agréable à lire.

Aurélien Lignereux justifie avec force les choix qu’il a faits pour ce premier volume, et qui ont été discutés par l’équipe, à commencer par la date de 1799 qui marque le point de départ de cette histoire. Du point de vue institutionnel, la période révolutionnaire à glissé dans le champ des modernistes, qui d’ailleurs ne s’arrêtent pas tous en 1799 selon leur angle d’approche. « Les modernistes font valoir que ce qui se produit en termes sociaux, en termes d’émotions politiques, d’ordre social et de remise en cause de cet ordre social pendant la décennie révolutionnaire appartient à un l’univers mental et social qui est le prolongement du XVIIIe siècle. De fait, ils ont profondément renouvelé le regard que l’on portait sur cette période » (Johann Chapoutot, Le Monde, 19 octobre 2012).

La date de 1799 est la moins embarrassante, elle parle à un large public et elle s’appuie sur une tradition historiographique solide. Mais c’est aussi une réflexion historique qui a présidé au choix de cette date de départ. « 1799, c’est l’arrivée au pouvoir d’un personnel politique, d’une génération qui va créer les conditions d’exercice de la nation politique et de la France contemporaine et institutionnaliser la Révolution (…) Et puis, 1799, c’est aussi une forme de synthèse entre ordre et mouvement, innovation et réaction, révolution et institution. La France contemporaine, en somme. », Johann Chapoutot, Le Monde, 19 octobre 2012 ». La période traitée dans ce premier volume s’arrête en 1815, tandis que le second volume commence en 1814.

Bertrand Goujon insiste sur sa volonté, partagée par les autres auteurs, d’éviter à tout prix une vision téléologique de l’histoire, et de vouloir montrer toutes les potentialités qui existent à un moment donné, de ne jamais oublier que « rien n’est écrit », de considérer le présent qui est décrit comme « un champ des possibles ». À cet égard, la période 1828-1832 voit culminer les incertitudes, « l’indétermination est consubstantielle à la période », période qui voit émerger beaucoup d’utopies. Comment faire une monarchie après la Révolution ? Ce sont toutes ces réflexions et interrogations que le titre, Monarchies postrévolutionnaires nous invite à suivre.

Quentin Deluermoz a voulu mettre en relation les deux dernières révolutions du XIXe siècle par le choix des deux dates classiques, 1848 et 1871. Si la première est celle d’une révolution européenne, la seconde est celle d’un événement français. Dans son exposé, l’auteur montre que l’État-nation s’est constitué dans les années 1860, que la IIIe République s’installe dans un paysage politique déjà formé, et que l’historiographie européenne s’est beaucoup développée sur cette période.

Ludivine Bantigny et Jean Vigreux évoquent quelques-uns des grands thèmes des ouvrages sur lesquels ils sont en train de travailler. Le projet initial prévoyait de traiter la période 1958-2012 en un seul volume, ce qui s’est avéré impossible. Le choix de 1958, c’est-à-dire celui d’une césure politique, a été fait pour séparer les deux volumes qui paraîtront à l’automne prochain. Jean Vigreux tiendra compte du renouvellement historiographique sur la violence d’État sous la Ve République et des enjeux de la décolonisation. Ludivine Bantigny accorde la plus grande importance à l’apport des autres sciences sociales.

On lira avec grand intérêt dans Le Monde des livres du 19 octobre 2012, l’entretien croisé de Joël Cornette, qui a dirigé chez Belin les 13 tomes illustrés d’une Histoire de France et de Johann Chapoutot, au sujet de la parution de ces histoires nationales à l’heure de l’Europe et de la mondialisation. « Ces dernières années, les historiens ont en effet beaucoup parlé de perspective « transnationale » (…) Mais le « transnational » présuppose, par définition, la nation comme premier élément de l’échelle ; du reste, elle a été et persiste à être un fait majeur et structurant du monde contemporain. » écrit Johann Chapoutot.

© Joël Drogland