Résister dans les camps
Intervenants :
– Marie-José Chombart de Lauwe : résistante, déportée à Ravensbrück.
– Charles Baron : Déporté à Auschwitz en 1942.
– Floréal Barrier : résistant, déporté à Buchenwald en 1942.
– Claire Andrieu : professeur d’Histoire à Sciences Po Paris
– Joëlle Dusseau : Membre du comité national du concours de la Résistance et de la Déportation.
– Aleth Briat : APHG

« Résister dans les camps nazis » est le sujet du concours de la Résistance et de la Déportation pour l’année 2011- 2012. Les débats sont menés par Mme Dusseau et les témoignages et la mise en perspective de Mme Andrieu sont organisés autour d’un plan en trois parties :

  • I L’arrivée dans le camp et les premiers phénomènes de survie et de Résistance.
  • II La Résistance dans l’action.
  • III Sabotage/révolte/libération

Après que Mme Briat ait recommandé aux enseignants qui participent au concours avec leurs élèves de ne pas abuser des documents audio, qui ne permettent pas de cadrer le sujet, les témoignages s’engagent.

I L’arrivée dans le camp et les premiers phénomènes de survie et de Résistance.
M. Baron arrive à Auschwitz à l’âge de 16 ans et 2 mois et insiste sur le passage immédiat de la civilisation à l’absence de civilisation. Le premier acte de Résistance consiste à sortir du camp les mains propres, c’est-à-dire en n’ayant pas commis d’actes contraires à sa morale. Il signale le respect et l’aide que les hommes tentaient d’apporter aux femmes et le fait que le camp, constitué de 15 baraques contenant 600 à 800 déportés chacun, permettait un certain anonymat. Les SS ne pouvant se souvenir de tous, la première des choses consistait à ne pas se faire remarquer.
M. Barrier arrive à 20 ans à Buchenwald. Il voulait vivre. Il précise : « on entre un homme dans le premier bâtiment, et dès qu’on sort, on est un numéro et les SS ont droit de vie et de mort ». Il signale l’importance de se discipliner en se lavant – les Français ont, semble-t-il à l’époque, une mauvaise réputation à ce sujet -, en lavant ses vêtements pour rester des êtres humains. Il est détenu dans un bloc international, comptant peu de Français et la Résistance permet de survivre : aide aux camarades blessés tant physiquement que moralement. Ainsi, un lieu de mort est transformé en combat pour la vie jusqu’en avril 1945. Rester un être humain a constitué pour lui la plus grande des Résistances.
Mme Chombart de Lauwe a fait de la prison avant d’être déportée et est donc une ennemie. Dans les camps, ils sont des « Stück », sont épuisés et survivent dans un mépris total. Il est fondamental de rester des êtres pensants et les moyens pour y parvenir sont multiples : la chorale, fêter les anniversaires, écrire des poèmes…
Mme Andrieu pose la question suivante : survivre, est-ce de la Résistance ? L’historiographie a évolué à ce sujet. La Résistance d’assistance appartient à la Résistance (groupe d’entraides par exemple). La Résistance dans les camps n’a pas encore été étudiée. Il faut replacer cette Résistance dans son contexte : l’Europe est occupée, donc résister, c’est nuire à l’ennemi. Mais quelle définition en donner dans les camps ? les internés sont considérés comme des animaux et donc la définition de la Résistance est à chercher dans ce contexte. Le camp est un système de terreur clos, il faut survivre, mais pas n’importe comment, en respectant certaines valeurs morales.

II La Résistance dans l’action.

Mme Chombart de Lauwe précise que les activités étaient tournées vers les autres, l’objectif principal étant de sauver des vies. Elle cite l’exemple de femmes victimes d’expérimentations – « des lapins »- sauvées an changeant leurs numéros alors que le chef du camp voulait les liquider. Des vies ont été sauvées à la naissance, les bébés ne sont plus tués à partir de 1944 : les femmes ont obtenu du lait en poudre, la solidarité du camp a permis de rassembler des petites bouteilles en guise de biberons et un vol de gants en caoutchouc permet de créer des tétines. Mais très peu de ces bébés ont survécu. Des femmes signalées comme devant être exécutées ont été sauvées grâce à des changements de numéros et de baraques, et les tatouages ont été masqués sous des phlegmons.
M. Barrier insiste sur l’importance pour le moral des poèmes, des dessins, réalisés dans la salle d’eau ou la salle des toilettes. Des orchestres de musiques militaires rythment les déplacements dans le camp, mais un quatuor a été reconstitué à Buchenwald, un orchestre de jazz tchèque jouait « en douce » (sic) dans les blocs. La chorale se produit en présence des SS. Lorsque Auschwitz est évacué durant l’hiver 1944-1945 vers le camp de Ravensbrück par les trains, 900 enfants de 4 ans à 16 ans arrivent. « Un de nos camarades, le Kapo, demande la création d’une école de maçon : deux prix Nobel en sont sortis : Elie Wiesel et Imre Kartesch.
M. Baron précise que les règles étaient totalement floues, ils ne savaient pas ce qu’ils pouvaient faire ou non.
Mme Andrieu s’interroge sur la notion de solidarité dans un camp de concentration. Les populations sont très différentes : les Résistants arrivent souvent ensemble dans les camps et sont donc plus forts, 30 à 40 % de gens ont été raflés dans des situations diverses. Les juifs viennent de tous les milieux. Si bien que les langues mais aussi les normes morales et sociales sont différentes. La solidarité déborde-t-elle les limites du groupe ? Germaine Tillon se demande si les non Résistantes vont résister dans les camps. Il s’avère que les femmes déportées de droit commun sont solidaires des résistantes. Mme Chombart de Lauwe précise qu’un bébé a été nourri au sein par sa mère, puis le lait manquant par une Russe, puis le lait manquant par une Tsigane.

III Sabotage/révolte/libération.

Mme Chombart de Lauwe précise que les femmes ne travaillent pas dans des usines et donc n’ont pas d’armes. Mais elles travaillent pour l’armement chez Siemens et se demandent s’il faut travailler ou laisser quelqu’un y aller qui travaillera bien. Le sabotage consiste le plus souvent à se présenter comme incapable et à ne pas comprendre ce qu’on lui dit. Un des Kommandos de Ravensbrück travaille pour la guerre, les machines ont été cassées et les trois responsables bastonnées devant toutes, puis tuées.
M. Barrier indique qu’à Buchenwald, il fabrique des armes, mais travaille à 40% du rendement prévu. La Résistance intérieure est organisée dès 1942-1943, par les Allemands anti-nazis. Un Français a voulu organiser la Résistance en rassemblant les 32 familles différentes de résistants présents dans le camp. Ils prennent les camps des SS tués par les bombardements des usines – ces bombardements étaient préparés par la Résistance intérieure du camp -. Le camp est sécurisé, les SS prisonniers et livrés aux Américains. 20 000 survivants dans le camp de Buchenwald.
M. Baron témoigne qu’à l’époque les mots de Résistance, sabotage, ne sont pas connus.
Mme Andrieu confirme qu’avec ces thèmes (sabotage/révolte/libération), les historiens sont en terrain connu. Même dans le contexte des camps, il y eut des soulèvements de ceux qui étaient dans les situations les plus perdues : ghetto de Varsovie (il y eut des survivants), Treblinka, Sobibor (800 insurgés, 50 survivants), Mathausen (les prisonniers de guerre soviétiques qui se révoltent sont assassinés un par un). Les citoyens autrichiens ont aidé à traquer les déportés enfuis. Elle remarque également que la Résistance féminine est moins organisée, moins hiérarchisée que celle des hommes, mais parfois, l’absence d’organisation est plus efficace que l’organisation. Les archives nazies signalent que les femmes résistent mieux que les hommes, sont plus difficiles à tenir, s’évadent plus, se fondent plus facilement dans la population. Il y a donc une réflexion à mener sur le genre.

Questions du public :

– Qu’est-ce que l’économie de survie dans les camps ? la solidarité. Mme
Andrieu indique que certains sociologues ont présenté les camps comme un lieu sans aucune solidarité, mais que les témoignages démentent cette vision.
– Quel fut le rôle des organisations politiques dans la Résistance à l’intérieur des camps ? Selon Mme Andrieu, c’est une étude à mener camp par camp. Par exemple à Ravensbrück, les Françaises ne sont pas organisées politiquement, les Polonaises si. A Buchenwald et Mathausen, le rôle est important. Les résistants français arrivent dans les camps vers 1944 et sont soit communistes, soit déjà en accord avec l’union des résistants prônée par le CNR, créé en 1943.
– Qui tient l’organisation interne du camp ? Les Nazis, pour cause de main d’œuvre, cèdent l’administration du camp. Les SS n’entraient pas dans les camps dans la journée. Par exemple à Ravensbrück, ce sont des Tchèques et des Polonaises, qui aident les « lapins ». L’organisation du camp est importante, elle décide du changement du travail s’il est trop dur. A Buchenwald, le camp est tenu par des Allemands triangle vert, d’une très grande brutalité. A la fin de 1942, les Allemands anti-nazis créent un comité des intérêts allemands puis comités internationaux (comité des intérêts français créés en 1944). En février 1943, les Allemands anti-nazis, déportés depuis 1937, se sont révoltés et ont tué les triangles vert.

L’engagement des Résistants et Déportés, pour la défense des valeurs morales, s’est poursuivi après la guerre : Marie-José Chombart de Lauwe, Geneviève de Gaulle, Stéphane Hessel.
La question qui se pose alors : Peut-on éduquer à la Résistance ?