Vendredi 15 octobre 2O11, Joël Cornette était accompagné de quatre universitaires qui ont travaillé sous sa direction à la réalisation de l’histoire de France en 13 volumes

De Clovis à Jacques Chirac : le regard neuf des historiens d’aujourd’hui sur « l’histoire de France ».
Vendredi 15 octobre 2O11, Joël Cornette était accompagné de quatre universitaires qui ont travaillé sous sa direction à la réalisation de l’histoire de France en 13 volumes
http://clio-cr.clionautes.org/spip.php?article2612
dont les éditions Belin ont entrepris la publication : Geneviève Bührer-Thierry (« La France avant la France 481-888 » avec Charles Mériaux), Florian Mazel (« Féodalités, 888-118O »),
http://clio-cr.clionautes.org/spip.php?article3053

Hervé Drévillon (« Les rois absolus, I629-I7I5 ») et Christian Delacroix (« La France du temps présent, 1945-2005 » avec Michelle Zancarini). http://clio-cr.clionautes.org/spip.php?article3288
Vincent Duclert «La République imaginée (1870-1914)»
Histoire de France, sous la direction de J. Cornette, Editions Belin, 2010, 861pp.
http://clio-cr.clionautes.org/spip.php?article3445
Sylvie APRILE
«LA RÉVOLUTION INACHEVÉE 1815-1870»http://clio-cr.clionautes.org/spip.php?article3050

L’objectif de cette vaste fresque (I3 volumes de plus de 800 pages chacun) est de faire le point sur la recherche historique, de proposer un récit agréable à lire, solide sur le fond, richement illustré (les illustrations sont conçues comme des documents qui soient un véritable matériel historique), proposant aussi des cartes originales. Chaque fin de volume propose un « atelier de l’historien » qui « démonte le mécanisme des temporalités historiques » en montrant comment travaille l’historien et comment s’écrit l’histoire : les sources, l’historiographie, les problématiques d’aujourd’hui. Une vingtaine d’auteurs s’est mise au travail, disposant d’une réelle liberté d’écriture (avec évidemment un cahier des charges global).

Chaque volume s’efforce donc de faire le point sur l’état actuel de la recherche. Les auteurs sont de jeunes historiens (ils l’étaient encore plus il y a dix ans !) qui donnent à un large public la possibilité de « connaître une nouvelle façon de faire de l’histoire »

Le sujet n’est pas la France : la France est le « terrain d’expérimentation de l’analyse historienne ». Le découpage chronologique peut étonner dans la mesure où il n’est pas strictement conforme à la tradition ; il donne aux périodes « une pulsation autre » mais n’est pas vraiment révolutionnaire.

Geneviève Bührer-Thierry a travaillé avec Charles Mériaux sur une période allant de Clovis à la dissolution de l’empire carolingien : « La France avant la France » 481-888. Il s’agit d’expliquer « d’où sort la France qui va exister un jour » : en 888, la France n’existe pas encore. Une grande partie des problématiques ont été entièrement renouvelées par l’apport de l’archéologie depuis trente ans : la construction du TGV Paris-Strasbourg qui traverse le berceau de la puissance mérovingienne ainsi que celle de la ville nouvelle de Marne-la-Vallée et d’Eurodisneyland ont permis la mise à jour de formes d’habitats ruraux étudiables sur des siècles, d’autant plus que certaines ont été abandonnées à la fin du Moyen Age. Le renouvellement a porté sur les problématiques d’identité et d’ethnicité (qu’est-ce qu’être Franc ?), sur les rapports sociaux, sur les formes de l’habitat. Les sources écrites existent et sont connues. Mais depuis vingt ans, elles ont été déconstruites et reconstruites en fonction des problématiques liées à l’histoire politique, religieuse et sociale. Ainsi Grégoire de Tours et les nombreuses « Vies de saints » ont-elles été étudiées avec ces méthodes nouvelles et ont fournies de riches matériaux sur la christianisation et sur la société ; l‘atelier de l’historien montre cette démarche et aussi, par exemple, comment les Mérovingiens ont été instrumentalisés, depuis les Carolingiens jusqu’au régime de Vichy, comme étant les racines de la vraie France. On apprend que la francisque de Pétain a peu à voir avec celle des Francs qui était une petite hache de jet !

Florian Mazel, dans « Féodalités, 888-118O » montre l’émergence d’un royaume de France (et non plus un royaume des Francs depuis Louis VI et Louis VII). L’espace de ce royaume n’est pas celui de la France actuelle. Les dates de 987 et de l’an 1000 ont du sens mais ne sont plus ici des dates charnières. Les règnes sont peu connus, et pourtant, ils sont longs. Pourquoi ? Les sources sont rares ; le royaume de France n’est pas un acteur majeur de la géopolitique de cette époque (le centre du monde et ans l’empire, viendra ensuite la puissance des Plantagenêts) les rois ne disposent pas d’un entourage qui valorisent une idéologie dont il seraient le centre. Ici aussi, l’archéologie et une nouvelle lecture des sources ont bouleversé le tableau que l’on peut faire de cette époque. La dynamique rurale et la reconstruction des églises sont antérieures à l’an 1000 (Raoul Galber revisité !) ; la renaissance urbaine est tardive et régionalement localisée ; les pouvoirs politiques ont une emprise faible sur ces dynamiques profondes.
L’auteur évoque le poids de l’historiographie fondée par les travaux de Georges Duby qui font de l’an 1000 une charnière. Il prend partie en renonçant à cette charnière au profit d’une date plus tardive fondée sur le politico-religieux et les dynamiques urbaines.

Hervé Drévillon dans « Les rois absolus, 1629-&7I5 » doit prendre en compte de nombreux travaux d’historiens. Tout a été revisité depuis 50 ans et les travaux de Goubert. Curieusement, pourrait-on penser, l’auteur insiste sur les guerres ; mais il montre le lien entre la guerre, l’Etat et la société. Il s’agit d’un « moment de l’histoire de France marqué par le fait que l’absolutisme a transformé la société et constitué territorialement la France ». Les guerres, la constitution du « pré carré » ont contribué à distinguer extérieur et intérieur des frontières, et donc à légitimer l’autorité du roi à l’intérieur. L’espace intérieur est soumis à la police ; la guerre est à l’origine de plusieurs institutions.
Sur le plan des relations internationales, le règne de Louis XIV est celui de la fin d’un ordre, celui de l’illusion westphalienne, qui consistait à confier à la monarchie espagnole ou française le soin de garantir la stabilité. Or le roi de France est devenu un « prédateur universel ». On voit donc apparaître la notion d’équilibre ; les relations internationales deviennent un jeu de forces. L’image de la France s’inverse durablement. La Prusse et l’Angleterre émergent comme puissances. La distinction s’établit entre la monarchie française et la couronne de France.

Christian Delacroix qui a coécrit « La France du temps présent, 1945-2005 » pose évidemment la question de l’histoire du temps présent qui utilise les mêmes méthodes mais qui doit prendre en compte l’intensité des représentations, la profusion des informations et le fait que les processus ne sont pas terminés. Il justifie la date de 2005 par un moment que caractérisent le vote de la loi sur les aspects positifs de la colonisation et l’unanimité dans l’opposition des historiens ; la multiplicité des revendications mémorielles et le déclenchement des émeutes dites de banlieues. Cette époque est celle d’une crise des représentations partagées du passé national, une crise du rapport au passé.
Christian Delacroix expose sa réflexion sur le découpage du temps. La date de 1958 et celles qui limitent les Trente Glorieuses peuvent et doivent être remises en cause ; l’historiographie récente y contribue. Une vraie rupture semble se produire vers 1965 ; il évoque aussi « les années 1968 ». Ce volume essaie aussi de mieux prendre en compte la dimension coloniale et impériale ; la France est en guerre. Des événements comme le massacre d’octobre 1961 et celui de Charonne sont largement pris en compte.

Ces quelques notes ne peuvent rendre compte de la clarté, de la profondeur et de la force des convictions des auteurs qui se sont exprimés. Il est réconfortant de constater que des ouvrages aussi riches et ambitieux constituent un véritable succès d’édition. Une bonne nouvelle pour terminer : Joël Cornette a laissé entendre qu’après les deux ouvrages qui doivent terminer l’ensemble de la collection et qui vont bientôt paraître, on pouvait s’attendre à un premier tome qui précéderait les tome 1 et qui revisiterait « nos ancêtres les Gaulois » !

© Joël Drogland