Gouverner au quotidien

Carte blanche aux éditions Perrin : Existe-t-il une exception française dans cet art de gouverner au quotidien  incarné dans un pouvoir exécutif fort qu’il soit monarchique, impérial ou républicain ? Pour tenter de répondre à cette question, et en évoquer beaucoup d’autres, les éditions Perrin réunissent trois historiens de renom pour un échange comparatif portant sur trois grandes figures de notre histoire, à savoir Richelieu, Napoléon et De Gaulle.

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Cette table ronde s’ouvre par une soirée humide d’octobre, dans les entrailles de l’hôtel de ville. Il fait froid mais très vite Benoit Yvert, Arnaud Teyssier et Thierry Lentz réchauffent l’atmosphère avec un échange érudit, mais toujours accessible et passionnant.

Benoit Yvert, à la place du modérateur, propose d’aborder l’art de gouverner au quotidien à travers la figure de Richelieu, Napoléon et le général de Gaulle en trois temps : l’appel, gouverner au quotidien et enfin la postérité. Arnaud Teyssier va plus particulièrement s’occuper de présenter Richelieu et le quotidien du général de Gaulle, tandis que Thierry Lentz se propose d’aborder celui de Napoléon Bonaparte.

 

Peut-on parler d’une prédestination ?

Dans le cas de Richelieu, Arnaud Teyssier insiste sur le fait que l’homme de pouvoir eut avant toute une vocation religieuse et que sa conversion politique s’est faite par la nécessité des choses. Pour Richelieu, servir Dieu signifiait servir le roi. On peut donc affirmer que l’homme d’Église a trouvé une forme d’épanouissement dans le monde politique car la question religieuse était au cœur des préoccupations.

Dans le cas de Napoléon il n’y a aucune forme de prédestination mais plutôt l’ouverture de portes, au gré des circonstances. Dans ce cadre, Thierry Lentz insiste sur les événements de Toulon (1793) et ceux de Vendémiaire (5 octobre 1795) comme étant les deux moments au cours desquels le futur empereur a construit sa conviction face au pouvoir.

La figure du général de Gaulle, elle, est beaucoup plus limpide : il était convaincu de sa place, de sa destinée même s’il ne se voyait pas nécessairement agir seul. Il disposait d’un sens aigu de l’Histoire et d’une forme de génie des circonstances, à l’image de « l’homme du destin » cité par Churchill.

 

Quelle fut la place de la foi pour ces 3 hommes ?

Thierry Lentz précise d’emblée que, pour Napoléon Bonaparte, il est très difficile de percevoir réellement ses convictions personnelles. Cependant il est clair qu’il avait conscience de la place décisive des cultes comme corps intermédiaires, notamment dans le cadre d’une réconciliation après les crises révolutionnaires. Il s’agit donc dans son esprit une force de cohésion et Napoléon s’est particulièrement affirmé comme un organisateur des cultes en France.

Concernant Richelieu et le général de Gaulle, la place de la foi est beaucoup plus nette, ce qui ne constitue pas véritablement une surprise quand on connaît deux hommes.

 

Prendre le pouvoir est-ce provoquer le destin ?

Dans les trois cas, ce sont des hommes qui ont su se rendre nécessaires au moment opportun. Il y a cependant une légère différence dans le cas de Napoléon. Au moment des événements de brumaire, Napoléon Bonaparte n’était pas destiné à être le chef : ce rôle devait être dévolu à Sieyès. Mais, petit à petit, Sieyès ne faisant pas le poids, c’est l’homme d’action, Napoléon, qui s’est imposé.

Dans le cas de Richelieu, il s’agit pour Louis XIII de l’homme nécessaire, surtout après l’épisode de la « Journée des Dupes » (10-11 novembre 1630) où il parvient à affirmer son pouvoir de façon pérenne. Concernant le général de Gaulle, qu’il s’agisse de 1940 ou 1958, ce sont bien, selon Arnaud Teyssier, les événements et cette science à saisir le moment qui sont au cœur de l’accession au pouvoir. Dans ce cas là, il est aussi possible de parler de l’homme de la nécessité.

 

Comment peut-on appréhender le travail au quotidien de ces trois hommes ? Quelle était en quelque sorte la journée type ?

Pour ce que l’on peut savoir de Richelieu, c’était un homme qui dormait peu, qui travaillait beaucoup et qui bougeait énormément en tant que chef de guerre. Cette frénésie de travail et d’activité peut se comprendre si l’on garde un esprit que Richelieu avait peur d’être écarté du pouvoir par Louis XIII. Ceci explique d’ailleurs qu’il avait placé auprès du roi ses hommes de confiance. Dans le cas de Napoléon la situation est assez proche ; contrairement aux autres souverains qui passaient beaucoup de temps à la chasse plus qu’au travail, Napoléon était un homme qui travaillait énormément. Il dormait peut et, encore plus que Richelieu, il est possible de parler de boulimie d’activités de réflexion perpétuelle.

La situation du général de Gaulle semble à cet égard beaucoup plus réglée. De Gaulle était un homme qui aimait prendre le temps, qui appréciait la réflexion, et pour qui la nécessiter absolue était de ne pas subir les événements. Il était à l’écoute puis décidait seul.

 

Quelle était la condition physique de ses hommes de pouvoir ?

Pour Napoléon, le souverain devait être toujours au meilleur de sa forme. On peut parler très clairement selon Thierry Lentz d’athlète concernant le général puis l’empereur. Cependant, cette mise en avant quasi surhumaine ne doit pas occulter qu’il était fréquemment malade (hémorroïdes, épilepsie, infection urinaire …). C’est un homme qui s’est épuisé au pouvoir. À partir de 1809-1810, le tournant est brutal : Napoléon se sédentarise et devient totalement obèse.

Pour Richelieu, la sentence est relativement simple : il est mort d’épuisement, au pouvoir. Le général de Gaulle disposait quant à lui d’une bonne condition physique, ce qui s’explique par une vie beaucoup plus réglée, mais il voyait très mal. Il était aussi, insiste Arnaud Teyssier, extrêmement marqué par l’idée du vieillissement. C’est quelque chose qui l’obsède véritablement et pour lequel il a eu une forme de crainte.

 

Est-ce que ces hommes étaient aimés ou craints de leurs collaborateurs ?

Napoléon semble être un cas à part. Il n’est absolument pas connu pour avoir disposé d’un grand sens de l’humour et percevait les relations dans un sens strictement hiérarchique. On ne lui connaît pas d’amis véritables, mais il a généré une véritable admiration auprès de nombre de ses collaborateurs. Pour Napoléon, le but n’était pas de se faire aimer de ses collaborateurs, mais d’incarner un chef sérieux face à ces exécutants. Richelieu répond un petit peu aux mêmes approches, ce fut un homme admiré.

Concernant le général de Gaulle, la situation est relativement différente. C’est un homme qui a su générer une forme de dévotion chez ses proches. À l’image de Georges Pompidou, c’est un homme qui était beaucoup plus proche de nombreuses personnes tout au long de sa vie, avant, pendant et après qu’il fut au pouvoir.

 

Une étude la postérité de ces trois hommes ?

Il est ici possible de faire le parallèle entre Richelieu et De Gaulle : ce sont là deux hommes de pouvoir qui ont désiré transmettre des principes de gouvernement. De son côté, Napoléon indiquait sa mémoire et s’est présenté comme historien de lui-même, ce qui limite la portée de son message. Il y a donc une approche qui n’est pas comparable entre ces hommes. Richelieu et de Gaulle dans leurs écrits parlent peu d’eux-mêmes. Pour ces deux hommes, le pouvoir est une forme de sacerdoce et c’est bien l’exercice, la mise en avant de certains préceptes, qui ont guidé leur écriture.

 

Existe-t-il des modèles que ces hommes auraient suivis mis en avant ?

Napoléon était un fin connaisseur des grands hommes de l’Antiquité. Mais quant à choisir un modèle, plus que César ou Alexandre le Grand, c’est vers Charlemagne qu’il faut se tourner. D’ailleurs dans sa logique, il en était le successeur direct.

Richelieu était un homme qui cherchait une inspiration dans l’histoire religieuse plus que dans celle des hommes d’État. Enfin le général de Gaulle fut influencé par Frédéric II de Prusse et Napoléon, sans que ces deux hommes soient pour autant considérés comme des modèles. D’ailleurs Arnaud Teyssier précise qu’il n’avait pas véritablement de modèle ; il appréciait également particulièrement Richelieu.

 

Finalement quel est le legs de ces trois hommes de pouvoir ?

La table ronde touchant à sa fin, il est demandé de synthétiser au maximum la réponse. Le tour de force n’est pas aisé mais les deux intervenants y parviennent avec brio. Pour Napoléon, s’il ne devait rester qu’une chose, il s’agit d’une œuvre monumentale : le Code civil. Pour Richelieu c’est l’idée que les intérêts publics doivent l’emporter sur les intérêts privés. Quant à de Gaulle, c’est une certaine vision de l’État et le fait qu’il fascine toujours la sphère politique actuelle.

Arnaud Teyssier et Thiery Lentz sont d’accord pour dire que Richelieu et De Gaulle, plus que Napoléon, ont théorisé puis mis en pratique le pouvoir. Concernant le cardinal, la nuance est importante : tout au long de son exercice, il est dans la main du roi. Il organise la politique, peut prendre des initiatives mais dans tous les cas de figure c’est le roi qui tranche en dernier recours.

Pour chacun d’entre eux il faut prendre la mesure du temps, de saisir l’épaisseur de ce dernier. Si l’on prend le cas du général de Gaulle, entre 1958 1969, ce furent onze années extrêmement denses quant à la relation au pouvoir. En conclusion, et même si ce n’est plus véritablement à la mode, on peut véritablement parler pour ces trois personnages d’hommes extraordinaires, de grands hommes.

 

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