Conférence animée par Pierre Serna

Cette conférence propose une présentation de la Nouvelle histoire de la révolution française de Jean-Clément Martin publié aux éditons Perrin mais aussi sur l’évocation de ses ouvrages, le tout animé par Pierre Serna.

Il est tout d’abord rappelé qu’en 2012, on célèbre le 75ème anniversaire de l’institut de l’histoire de la révolution française, fondé par Georges Lefèvre et dont les sixièmes et les septièmes directeurs sont Jean-Clément Martin et Pierre Serna. L’enseignement historique de cette période se fait depuis 1885, à l’époque où la légitimité et le fondement historique de République devait être inscrit dans la mythographie révolutionnaire.

La conférence s’articule autour de deux questions centrales: Qu’est – ce que l’écriture de la révolution aujourd’hui? Quelle est l’évolution de l’historiographie, et des images et idées reçues sur la période révolutionnaire qui ont traversé les deux derniers siècles ?

Pierre Serna interroge tout d’abord Jean Clément-Martin sur le titre de son ouvrage: Pourquoi ce titre? Pourquoi une nouvelle histoire? Et pourquoi est-elle rédigée dans ce style, avec cette manière d´écrire?

Pour Jean-Clément Martin, il y avait la nécessité de ne pas s’enfermer dans une écriture savante mais de se tourner vers un public plus large. Le titre de l’ouvrage n’est pas de lui. L’éditeur le lui a imposé et sa première réaction a été de trouver que c’était un mauvais titre. Cette histoire aujourd’hui nouvelle, dans 6 mois, dans un an elle sera déjà vieille. Mais finalement ce titre ne lui semble pas être si idiot. Écrire l’histoire c’est écrire à un moment présent avec une vérité qui sera remise en cause plus tard. D’ailleurs, l’écriture universitaire sur la Révolution a cent ans, accumulant différentes strates dont fait partie Jean-Clément Martin.

C’est une nouvelle histoire car depuis 20 ans, suffisamment de travaux ont été publiés pour renouveler le champ de la recherche. Il y a donc une prise en compte de cette production, notamment de travaux confinés dans des articles et des thèses qui ne seront jamais publiés. Le livre comprend également des citations et des débats tirés des travaux de recherche américains et italiens. Ils fournissent un renouvèlement des approches de l’histoire de la Révolution, et ce jusque dans ses détails.

Cette nouvelle histoire repose sur une démarche cohérente. C’est un récit à l’ancienne comme ceux produits il y a 20, 30 ans. En effet, on peut reprocher le manque d’une synthèse rédigé par un historien de la génération de Jean-Clément Martin. On utilise encore les synthèses de Lefèvre, Soboul, ou Furet produites il y a de cela 25 ans au minimum. Or, cette synthèse apparait nécessaire aujourd’hui que se pose la question du récit national dans la production de manuels ou de divers ouvrages. Pour Jean-Clément Martin, il est d’ailleurs regrettable de disposer de si peu de temps pour pouvoir écrire un tel récit en France par rapport à ses collègues des universités américaines. Cette nouvelle histoire, c’est un récit différent. Elle propose un retour sur la chronologie, une articulation autour de régions oubliées, notamment celles de la contre-révolution : il faut montrer que la réussite de la révolution, c’est une réussite locale, régionale. Le livre embrasse alors dans une lecture mondiale la spécificité de la révolution française.

Le titre original de cette synthèse c’était « Les quatre révolutions françaises »

La première révolution c’est celle des années 1770, celles du despotisme éclairé de Louis XV, inscrit dans un temps des révolutions allant du Pérou jusqu’à la Pologne, et passant par l’Atlantique. C’est l’expérience de la réforme, qui est un échec en France

La seconde révolution, celle des années 1788-1789, c’est la « dernière révolution » issue de celles des années 1770 et débouchant sur le 14 juillet. Cette révolution semble être anormal en France, ce pays monarchique fermé. C’est la dernière révolution et en plus c’est celle qui réussit. Cette révolution est d’ailleurs une régénération produite sans révolutionnaires et dont une suite de conflits jusqu’en 1792 débouchent sur une seconde révolution.

Cette seconde révolution c’est la vraie révolution, celle de la guerre et de la terreur. C’est une période qualifiée de dictature de guerre qui échoue en 1794 à la mort de Robespierre, marquant l’échec de sa tentative de coup d’état moral.

Enfin la quatrième révolution, c’est une révolution de palais. La révolution est alors reconnue par l’Europe et confisquée. Cependant le Directoire ce n’est pas une révolution de turpitude, comme l’a laissé croire l’historiographie classique. C’est une période scandée par le coup état et la montée en puissance de l’armée mais c’est aussi une confirmation des révolutions précédentes, dont l’héritage est finalement capté par Bonaparte. Avec sa victoire à Marengo, Bonaparte obtient une confirmation de sa victoire de Brumaire, et provoque un changement d’époque.

Pierre Serna nous apprend que sa rencontre avec Jean-Clément Martin ne s’est pas faite autour de la Vendée mais avec son livre Contre-révolution, Révolution et nation, représentant pour lui un des plus grands apports historiographiques, ayant fait bouger les lignes sur la Révolution.
Le fil directeur de l’œuvre de Jean-Clément Martin c’est se demander qu’est-ce que la violence? Celle des individus, et celle des foules. La Révolution c’est la naissance d’un citoyen responsable de ses actes face à la naissance de la violence du régime. Pierre Serna pose alors la question suivante : « une typologie de la violence est-elle possible? ».

Pour Jean-Clément Martin, la violence est une question centrale. Comment les gens sont entrainés dans un mécanisme dont ils sont responsables et qui leurs échappent? Son essai tente de comprendre ces engagements, comment ils sont commis et comment on a pu qualifier ces actes de violence. Deux pièges menacent cependant: celui de l’amalgame, reposant sur l’idée qu’un mort c’est un mort …et celui de tout justifier. Or couvrir des excès non admis est un piège. Tout comme il ne faut pas être prisonnier de ce que l’on pense aujourd’hui face aux actes des hommes du XVIIIème siècle. Sur la Vendée, plus particulièrement, il était nécessaire d’établir la gravité des actes qui s’y étaient déroulés, les chiffres de morts et des disparus donnés dans son ouvrage étant les plus élevés qu’on puisse trouver. Mais de telles exactions existent partout lorsqu’une armée est mal commandée. Le comité de salut public a laissé faire pour que la victoire arrive. Mais ce n’est en aucun cas un génocide. Il y a un écart avec les événements du XXème qui permet d’ailleurs de penser la Vendée. Mais pour Jean-Clément Martin, il faut refuser tout amalgame.

Pierre Serna évoque alors La machine à fantasme relire l’histoire de la révolution française qui n’est pas un récit continu mais un kaléidoscope, proposant un éclairage sur des moments clefs de la Révolution, cette machine à fantasme ayant produit des légendes.
Ce sont des enquêtes à rebours comme celle sur la mort de Bara, qui prend tous les écrans historiographiques et explique leur historicité de la troisième République jusqu’au tableau immédiat de David.

Jean-Clément martin dit alors que ce livre rassemble plus de 30 ans d’articles, tournant autour de la même problématique, l’idée que l’histoire est un réservoir à fantasme, fait de grands personnages et d’images. Si on fait l’histoire il faut accepter ces fantasmes, et que l’idée l’on ne se trouve pas dans le domaine de la vérité mais celui des relations affectives. Il s’agit alors de mener un travail sur la croyance, une réflexion et une production collective. Ainsi, il n’y a pas de frontière pour faire de l’histoire: affirmer « je suis historien » n’importe qui peut le dire et peut l’être. D’ailleurs sur la Révolution, les capacités universitaires ne sont pas toujours garante de vérité. L’adhésion dans l’histoire ne se fait donc pas par la vérité mais par l’image. C’est le plaisir d’entrer dans la machine à outil mais sans casser le jouet qui l’anime dans son ouvrage. Ainsi pour Bara, le tableau de David doit être replacé dans un contexte d’érotisation de la fin du XVIIIème siècle afin de comprendre cette représentation d’un martyr révolutionnaire sous les traits de son meilleur élève.

Des questions sont posées par le public

Tout d’abord Jean-Clément Martin approuve l’idée selon laquelle son travail présente une proximité avec la psychanalyse, reposant sur un vrai emprunt. D’ailleurs, son dernier article de La machine à fantasme insiste sur la nécessité de l’oubli pour que l’histoire passe.

Ensuite la notion de Révolution morale menée par Robespierre est évoquée. A partir de mai 1794, il y a une évolution de ce dernier vers l’idée d’épurer les principes de la Révolution et imposer de nouveaux cadres moraux voir religieux. Il veut un tisser un lien religieux chez les français sinon la société ne lui semble pas viable. Il propose d’ailleurs la création de la « fête du malheur ».En juin 1794, c’est une évolution vers une nouvelle Révolution très vertueuse se heurtant à d’autres groupes de la population à un moment où les amis proches de Robespierre arrivent au pouvoir, et où la force militaire parisienne tombe dans leurs mains. Cela provoque la peur des députes face à la montée d’un coup état potentiel. On est alors dans un affrontement de courants contre courants lorsque Thermidor éclate et illustre l’affrontement entre deux légitimités possibles.

On parle des chercheurs étrangers et de leur recours dans la Nouvelle histoire de la Révolution française. Ils ne sont pas impliqués dans nos querelles et constitue une mise en cause de l’historiographie française, notamment les États Unis et l’Italie. L’Italie c’est une terre de comparaison, une lecture des événements liés à Révolution dans un autre contexte.
On peut aussi prendre comme exemple le rôle des catholiques irlandais éclairés mais brimés par les protestants et donc du côté de la Révolution. De même, malgré son mauvais fonctionnement, le Directoire constitue un modèle de fonctionnement pour la République helvétique.

La question du positionnement historiographique de Jean-Clément Martin est posée. De quel côté se trouve-t-‘il entre Vovelle et Furet? Son travail est-il une forme de dépassement? Il répond alors que cela ne l’intéresse pas. Longtemps professeur du secondaire, il a pu en toute liberté y rédiger ses thèses et il n’a plus été furetien après le rapprochement de ce dernier d’avec Chaunu.

On aborde enfin la question des femmes en Révolution. Jean-Clément Martin revient 30 ans en arrière seuls des travaux de militantes existaient. L’histoire des femmes en Révolution a connu une venue tardive grâce aux américains et aux italiens. Cependant les violences faites aux femmes en Vendée ne sont pas dans les archives ce qui constitue une difficulté. La question générale, c’est celle de l’évolution des rapports entretenus par virilité et féminité. C’est le passage à une autre façon de vivre la virilité. Le rapport au corps et à son usage que l’on connait en 1780 est cassé par la Révolution. L’homme viril, c’est un patriote, le Contre-révolutionnaire, c’est le mou. La Révolution est alors une grande période d’obscénité au cours de laquelle les révolutionnaires s’ils sont virils sont donc des hommes, ce qui amène à partir de 1792 les femmes à être exclues de la vie politique. L’armée est virilisée, et les enfants et les femmes en sont exclus. Un nouveau modèle de virilité et de féminité s’impose, affichant la crainte des femmes.