Conférence sur l’agriculture urbaine à Montréal: historique, projets et actions actuels, défis pour demain

Conférence d’Eric Duchemin, professeur associé à l’Institut des Sciences de l’Environnement de l’Université du Québec à Montréal

Après les présentations liminaires, E. Duchemin présente le  « CRAPAUD » dont il est un des acteurs clés, sigle suggestif s’il en est, en matière d’agriculture urbaine, qui est le « Collectif de Recherche en Aménagement Paysager et en Agriculture Urbaine Durable » (CRAPAUD), un comité du Groupe de Recherche d’Intérêt Public (GRIP-UQAM, Université du Québec à Montréal). Un collectif dans l’action, « autogestionnaire » qui travaille avec des groupes, communautés sur Montréal.

Son exposé débute par une très belle photo de San Francisco au milieu de la 2ème Guerre Mondiale, où un cheval attelé laboure une terre avec en toile de fond les gratte-ciels de cette célèbre ville de la côte ouest des États-Unis. Fait étonnant, cette « agriculture urbaine » fournissait, à l’époque, 45% des besoins alimentaires de la ville !
Pour se replacer dans le présent, E. Duchemin nous précise que 42% de la population dit utiliser/pratiquer d’une manière ou d’une autre l’agriculture urbaine à Montréal. Soit une superficie de 30has de terres tout de même…
Qu’est-ce qui explique ce renouveau cet intérêt actuel pour l’agriculture urbaine à Montréal ? Tout d’abord elle n’est pas nouvelle. Apparue très tôt, elle se voit sur une magnifique carte de 1735 que nous présente E. Duchemin. Derrière chaque maison, immeuble, on distingue nettement des jardins potagers et ce, sur pratiquement tout l’espace clos de la ville en ce début du XVIIIème siècle.
Puis l’agriculture urbaine recula à Montréal jusqu’aux années 70. Mais avec les années 90 et les défis de l’obésité chez les jeunes générations nord-américaines comme la multiplication des « déserts alimentaires »(« Food deserts ») qui frappaient particulièrement des quartiers et les populations défavorisés, l’ idée de créer des « oasis », des jardins communautaires ou familiaux refit surface. Les chercheurs mirent en évidence que de mauvais produits alimentaires y étaient bon marché, mais que les légumes et les fruits étaient chers ou inexistants. De plus, ces jardins seraient autant de pompes à CO2 et à chaleur en purifiant l’air et abaissant la température de la ville (1° de moins dans un rayon de 300m) retenant l’eau au lieu de favoriser les engorgements des bouches d’eaux pluviales qui provoquent des inondations de certaines voies de circulation. Enfin, l’ agriculture urbaine est très bénéfique pour les sols en leur rendant leur nature, une fonction qu’ils n’avaient plus depuis longtemps. Une pétition parvint à réunir 30000 signatures et l’AU retrouva petit à petit plus d’adeptes, d’audience et de jardins.

L’auteur rappelle que, dans les PED comme au Congo, au Xxème siècle, l’agriculture urbaine représentait 80% de l’alimentation à Kinshasa ; la guerre civile a fait augmenter l’utilisation de l’agriculture urbaine. L’auteur évoque ensuite des jardins ouvriers dans le quartier d’Hochelaga à Montréal en 1940, remis en culture pour répondre aux méfaits prolongés de la crise de 29, puis montre des jardins d’immigrants cultivés au bord d’un échangeur en construction et d’une voie rapide (4 voies) à Montréal en 1948. Il nous confie que le jardin de l’UQAM (Université de Québec à Montréal) s’est créé à l’insu des autorités universitaires qui s’y opposaient jusque là ! les créateurs cachèrent les semis sous la pelouse découpée secrètement, avant d’être découvertes ensuite et acceptées plus tard par les responsables de cette Université à Montréal.
Il existe aujourd’hui à Montréal pas moins de 97 jardins communautaires municipaux (sans but lucratif) où des jardiniers travaillent sur des parcelles de 15m2 environ pour la modique somme de 10$/an. Parcelle qui leur est attribuée (c’est donc un lieu public « privatisé » en quelque sorte). Mais vous devez le cultiver car il y a une liste d’attente. Il existe aussi un « circuit jardins »(6 au total pour l’instant) créé pour permettre aux habitants de pouvoir y déjeuner ou s’y détendre, faire un pique-nique l’été avec des artistes et groupes musicaux dans le cadre des « Midis musique »deux jours par semaine. Cette initiative a été récompensée par le prix « Phénix de l’Environnement » en mai 2012 à Montréal.

On trouve aussi des jardins collectifs distincts des Jardins communautaires. En effet :le jardinage collectif se distingue du jardinage communautaire par le fait qu’il est pratiqué par des groupes de personnes qui cultivent ensemble un potager au lieu de s’occuper chacun d’une parcelle individuelle.
Ces Jardins collectifs constituent la mise en commun de jardinets dont la responsabilité relève de tous les participants. La plantation, l’entretien et la récolte sont partagés entre les membres du groupe. Dans les Jardins collectifs, on cultive et on récolte des légumes, mais aussi des habiletés sociales comme l’autonomie, l’entraide et le respect. Ils ont beaucoup d’importance dans le cas des personnes défavorisées qui peuvent y trouver des légumes, des aliments sains frais et diversifiés qu’elles ne pourraient se payer régulièrement ailleurs ;
Les Jardins communautaires relèvent de l’administration de la Ville de Montréal et offrent des parcelles de terre où chacun cultive et récolte individuellement le fruit de son travail.
Les jardins de l’UQAM représentent 250m2 en superficie. Il y a même des ruches, E. Duchemin se déclarant avoir lui-même deux ruches !… l’auteur ajoute que l’UQAM pourrait avoir des poules (on en amène 1 ou 2 fois par an…), mais cela n’est pas, pour l’instant admis ; l’autre grande université Mc Gill a « prêté » de l’espace. On a fait venir 800T de terres, mis des bacs à double fond sur les balcons, les terrasses; 38% des citoyens du Grand Montréal affirment « pratiquer » l’agriculture urbaine ! de même, dans les Cégeps (équivalents Terminales et 1ère année d’Université), l’université Concordia, et les écoles primaires.
http://ville.montreal.qc.ca/portal/page?_pageid=5798,107739606&_dad=portal&_schema=PORTAL
     Des écoliers ont demandé 1 jardin « camp d’été » sur l’agriculture urbaine sur le terrain de l’Université (même sur du béton !). Mais ce projet a été abandonné.
      Un autre projet de quelques millions de $ a été mené à son terme à Brooklyn, mais avec un budget conséquent ! il a été finalisé car aux États-Unis il y a urgence actuellement avec les problèmes de surpoids, de surcharge pondérale chez les jeunes défavorisés. Ce projet c’est l’Edible Schoolyard NY des Alice’s workers. A New York, c’est 3500 jardins pédagogiques qui ont vu le jour aujourd’hui ! des espaces ont été adaptés ( les semis générant de l’humidité voire des champignons). Autre problème : que faire des déchets verts ? Il faut de l’espace encore pour cacher les composts.

Et en France ? Exemple à Montreuil. 1 expérience a été conduite « De la semence (grain de blé) au pain cuit que l’on a sur la table ! sur 1 ha ; c’est comme beaucoup de jardins communautaires, parler… Et entre générations différentes en plus ! autre projet, à Paris Ecobox, des vergers urbains (Londres, Paris,)et ce projet « Not far from the tree », « fruits défendus » à Montréal. Ainsi, on a récolté 10 T de fruits glanés dans les arbres sur un an dans la ville… ces récoltes réparties de la façon suivante : 30% pour les cueilleurs, 70% pour les organismes communautaires.
     E. Duchemin nous parle ensuite de la récolte de 200kg de cerises faîte sur UN arbre à Montréal ! il a fallu un roulement de bénévoles pour permettre de récolter et manger toutes ces cerises !…

      Autre exemple : les ruchers urbains. Il y a 45 ruchers et pas moins de 184 ruches aujourd’hui à Montréal. Cela fait deux ans qu’elles sont arrivées à Montréal. 1 rucher ce n’est pas une tomate, cela demande une règlementation très stricte, et des acteurs regroupés. Une coopérative a été créée et on commence à produire du miel ! (3T de miel à Montréal l’an dernier). C’est certes peu., mais c’est déjà pas mal. L’auteur rappelle, en outre, que les apiculteurs ne produisent que 10% du miel qui est consommé au Québec !
     Encore une initiative d’agriculture urbaine à Montréal, sur le plateau royal : un organisme communautaire a créé un « Jardin sur le toit ».  Entre « grange et ciel », le « Santropol roulant »….
« Le Santropol Roulant a pris racine dans la communauté par la création d’une « popote roulante », un service de repas chauds livrés au domicile de personnes âgées ou en perte d’autonomie. Son virage vers l’agriculture urbaine s’est amorcé lorsque l’organisme s’est intéressé à la provenance de ses aliments » Voir le lien suivant :
http://agriculturemontreal.com/le-santropol-roulant–lier-ville-campagne
D’autres expériences existent, les « toits verts intensifs » : les hôtels, traiteurs, les restaurateurs font des bacs et des jardins sur leurs toits ! mais problème la t° peut y atteindre 50° celsius. Il faut donc arroser deux fois par jour en été ! sinon tout meurt… Exemple de « toits intensifs » la Ferme Lufa qui travaille avec 40 agriculteurs ; un investissement de 25 millions de $ a été fait, cette ferme n’est pas rentable encore, mais elle nourrit 2500 personnes tout de même ! été comme hiver !.. Un projet de serre a été envisagé . Elle sera rentable à partir de 8000 personnes.
     Un autre problème se pose avec l’intégration de l’agriculture urbaine dans la ville, au bâti urbain.
Voici quelques exemples de projets immobiliers qui intègrent l’agriculture urbaine. A Londres, c’est le « BedZED », mais on a pas utilisé ces jardins (cela demande énergie et temps disponibles…). Autre exemple le « Window’s farming », un système hydroponique pour laisser sur la fenêtre pour la lumière. Il existe aussi des modules de production autonomes (comme le Ben Greene 2010) ; un autre exemple c’est la réutilisation d’un espace inutilisé à Vancouver, les parkings des ex-J.O. d’hiver de Vancouver, pour y cultiver dans des bacs et de 1 à 2 has sur l’asphalte après y avoir mis de la bonne terre… Ainsi on peut réutiliser même des sols contaminés, à conditions d’isoler cette agriculture urbaine de ces sols ( avec des couches de terres isolantes avant de recouvrir le tout par la terre à cultiver ! (ex : une ferme productive à Brooklyn). Autre projet d’intégration, le « Stand farming »,  avec cet exemple de  « Green City » en banlieue de Vancouver où un fermier gagne 80000 $ par an, en vivant très confortablement. Cela se développe beaucoup au Canada anglais du reste. 
      On voit qu’il y a à Montréal et  en Amérique du Nord beaucoup de projets en agriculture urbaine.  Et pour permettre cette intégration de l’ agriculture urbaine à la ville, 1 comité , le PDMA  a été créé regroupant un nombre important d’habitants. Pour devenir agriculteur, il faut d’énormes mises de fond pour se lancer… Une idée a été proposée, celle de travailler 1 ha et être rentable. Des « fermes petites » mais viables. Des exemples existent, où l’agriculteur gagne 65000 $ par hab/an.
       Comment intégrer encore ? Par des « couloirs verts, ou cultivés, travaillés «  en agriculture urbaine, qui sont des territoires productifs identifiés sous cette forme de « couloirs » (CPLU) Le but est aussi de créer des projets « intereliés » depuis des espaces les moins jusqu’aux plus urbanisés.

       Enfin quels liens avec les systèmes alimentaires ? Vendre  cette « food urbanism » ? Il faut veiller à une meilleure répartition des cultures, et cultiver un peu plus ce qui rapporte. L’urbanisme est taxé sur les déplacements, il n’y a plus de places pour les voitures, ni pour de nouveaux parkings ; il faudrait  laisser plus de place à l’agriculture urbaine. C’est-à-dire faire des villes différentes.

       Construire ou aménager un nouveau quartier de 15000 habitants avec 1 espace réservé  à l’agriculture urbaine. Envisager la mobilité comme reliée aux aliments, et parvenir, nous dit E. Duchemin à un « Urban food system typology »
Pour conclure, quels défis à relever ?
– Défis en terme d’espaces (urbanisme, architecture règlementaires, analyses des sols –parfois contaminés-
– Ressources humaines (pour la gestion des projets, horticulteurs, agriculteurs, agronomes..)
– Technologies/innovations (pour la gestion de l’urbain, matériels, sols, eau..)
– Enfin le système alimentaire (car beaucoup de productions se perdent nous dit E. Duchemin…) à travers les productions de l’AU, la distribution …..