L’Euro, une monnaie unique, née de justesse avec le referendum de Maastricht qui promettait de concurrencer le dollar – au moins au départ par son logo un E barré d’un trait double à la manière du dollar et du yen – devise émise par une banque européenne sise à Francfort, compensant ainsi dans l’esprit de l’Allemagne réunifiée l’abandon du Mark, mais orpheline dès le départ d’un ministère et d’un budget. Une monnaie forte donc, et qui ne permettrait plus les petits ajustements d’antan avec des critères de convergence trop léonins pour les économies du sud et peu armée techniquement pour affronter la crise de 2008….

Guillaume Duval : Eh bien, où en est-t-on ? 

Agnès Bénassy-Quéré : à la suite de la crise de 2008, on voit que les mécanismes de stabilité, la solidarité et union bancaire sont en cours. 

Ce qui ne va pas : la régulation ne se fait pas ; les coûts politiques étant très dangereux : demander de l’aide à l’UE implique des conditions de prêt léonines ; comme il n’y a pas ou peu d’inflation, les gouvernements concernés ne peuvent procéder à des ajustements monétaires.  

Lucas Guttenberg : il y a eu la volonté politique après la crise de 2008 que l’Euro survive. Depuis 2012-13 les outils techniques sont là, mais pas de lecture commune de la crise et de ses origines, sauf avec l’appel de janvier 2018 des 14 économistes franco-allemands : 

https://www.telos-eu.com/fr/economie/reconcilier-solidarite-et-discipline-de-marche-dan.html

Conséquence : pas de vrai contrôle européen, mais le veut-on ? 

Shahin Vallee : devant un auditoire venu à Blois pour l’histoire, rappelons ce qu’ont écrit Harold James (« The Euro and the Battle of Ideas ») sur les débuts de la jeune histoire de la construction européenne et Adam Tooze dans « Crashed: How a Decade of Financial Crises Changed the World » : incompréhension et ambiguïté constructive avec la politique de Delors de construire une économie monétaire sans budget commun et qui se fracasse sur la crise de 2008. Il est vrai que les symptômes ont être traités mais pas les causes profondes. Pour mémoire, le parallèle avec les possibilités d’action du gouvernement fédéral américain et de la Banque centrale est éclairant. 

Gérard Duval : La situation des banques italiennes est à son tour toxique….

Agnès Bénassy-Quéré : le risque est grand (énormes dettes accumulées qui s’élèvent à 20 points de PIB et faible croissance) ! Scénario 1 : sortie de la zone euro pour créer de l’inflation et une souplesse monétaire. Scénario 2 : comme la Grèce. Scénario 3 : rachat de la dette publique par les ménages italiens (70%). Or les 2 derniers sont explosifs politiquement. 

Le groupe des 14 proposait une règle de renflouement commune qui ne peut marcher qu’avec un budget qui sera de toute façon limité par rapport au budget fédéral des EU (entre 15 et 20% du PIB US), sans compter que ces propositions avaient été faites dans une période plus stable que maintenant.

Lucas Guttenberg : Allemands et Français sont d’accord sur le principe d’un budget commun pour la zone Euro (déclaration franco-allemande du 19 juin 2018) qu’il faudrait mettre en place avant les élections européennes. Mais la faiblesse politique vient du fait qu’on ne partage pas de vision macro-économique. Néanmoins l’intérêt de l’initiative de Macron est qu’elle pose un principe, ce qui installe une base de discussion commune :

https://www.ofce.sciences-po.fr/blog/apres-la-declaration-de-meseberg/

Pour l’Italie c’est politique avec un gouvernement qui va à un conflit ouvert avec l’UE. Les marchés devraient contrer ce gouvernement sinon les outils techniques seront inopérants. 

Shahin Vallee : sur le temps long, le fait de créer un budget de la zone Euro est une avancée importante mais pas partagée, car déjà rejetée par plusieurs pays. L’ambiguïté persiste dans cette déclaration : Il faudrait mutualiser l’assurance chômage ; penser un mécanisme de transferts et de compensations qui était initialement prévu à la naissance de l’UE. Or cette question est taboue… une fois qu’on a un budget, apparaît un point central mis sous le tapis : la question démocratique du contrôle d’un budget européen, qui  montre une divergence de fond entre Français et Allemands. 

Pour l’Italie ? Deux mauvais choix possibles : le coup d’état des marchés financiers et la prise de pouvoir de l’UE ; la sortie de l’Euro et le maintien d’un gouvernement proche d’Orban et de Poutine avec Salvini. 

Lucas Guttenberg : et si le gouvernement italien actuel se rendait compte avant les élections européennes du coût politique et économique de ses options anti UE ? L’option raisonnable est encore envisageable. 

Agnès Bénassy-Quéré : le cas italien est quand même très différent du cas grec, car les Italiens épargnent beaucoup, et son PIB est quand même le 3e de la zone Euro, « Too big to fail »…

Questions du public : 

Q1 : Donner la main aux marchés ou à la Commission européenne come dans le cas grec, n’est pas faire peu de cas des dégâts collatéraux pour les peuples ? 

LG : les dégâts collatéraux ce sont les victimes de la crise ainsi que les institutions démocratiques. 

GD : le populisme s’est nourri des politiques monétaires expansives, laxistes qui ont sauvé les banques qui avaient joué avec les « hedge fonds » en paupérisant les classes populaires et moyennes. 

ABQ : L’argent des épargnants est importante mais ne sait plus où aller en Italie (service de la dette : Italie : 4% et France : 1,7%). Les marchés continuent à jouer leur rôle régulateur avec des instruments de gestion malheureusement insuffisants faute de volonté politique.

Q2 : la montée des populismes est-elle liée à l’€ ? Les citoyens pourraient-ils aider leurs Etats ? 

GD : L’Euro ne permet pas de mécanismes compensateurs pour les économies moins industrielles et technologiques. D’où un grand scepticisme qui gagne les pays en difficulté. L’Italie, membre fondateur de l’Europe a longtemps été l’un des plus europhiles…

ABQ : on fête Erasmus aujourd’hui : imaginons la mutualisation d’une assurance-chômage européenne qui serait un grand succès… 

Q3 : l’Euro, c’était trop tôt ? 

LG : l’AFD en 2013 est euro-sceptique est fait 8% aux élections. Son cheval de bataille qui paie aujourd’hui est l’immigration, pas l’Euro. 

Q4 : L’UE n’est-elle qu’une technocratie économique ? 

LG : La politique économique est bien sûr politique mais les technocrates font aussi leur boulot, notamment en Italie. 

Q5 : les peuples européens sont ils prêts à des réformes ? 

SV : Il y avait des bonnes raisons d’aller vite dans les années 90 après la réunification allemande ; il y a aujourd’hui des outils qui le permettent en gros ; tout dépend de la vertu des citoyens. Les élections du printemps 2019 seront un test important. 

Q6  Ne pourrait-on pas penser une UE à plusieurs vitesses ? 

SV : Avancer à 27 ou à 19 pour l’Eurozone est très difficile, mais comment décider d’exclure des pays qu’on a accepté ? Faisons avec… 

LG et GD : les eurosceptiques de l’Est européen pourraient être une bonne chose : les Allemands se préoccuperont moins des Polonais et les Britanniques partis, reste l’accord avec la France qui retrouve ainsi une nouvelle légitimité. A condition d’être validé par les 17 autres Etats-membres de la zone euro…

Les élections du 26 mai 2019 pourraient être les plus politiquement clivées depuis le premier vote de 1979. Un mal pour un bien ?