Le conflit nord-irlandais, du début des années 1970 à ses échos au début du 21e siècle en passant par ses racines révolutionnaires, est marqué par l’exploitation de pratiques culturelles ancrées dans un passé religieux et politique que mobilisent les groupes militants et paramilitaires. L’histoire des groupes républicains et nationalistes, qui s’opposent à l’unionisme des groupes loyalistes, est marquée par une mobilisation des morts par les vivants, lesquels sont obligés par ces premiers : la généalogie du conflit, ses causes et ses solutions sont ainsi comprises à travers le récit et la mise en scène de la mort, pratiques qui se veulent tant subversives que communautaires. Opposant alors au discours politique britannique dominant, et à ses diverses mises en œuvre militaires, une “culture de la mort” propre à l’espace nord-irlandais, les morts occupent les discours, les luttes et les vies des républicains. C’est un ensemble de pratiques éprouvées tout au long du 20e siècle qui nous intéressera : la transmission de techniques de résistance, la relation à l’emprisonnement, la grève de la faim, l’enterrement paramilitaire… Des discours de Patrick Pearse aux poèmes de Bobby Sands, sans oublier les célèbres murals dans les rues de Belfast et de Derry, la rencontre des morts et des vivants nous donne à analyser le rôle de l’historicisation d’une lutte organisée par ses martyrs : le passé façonne le présent au prisme de ces corps “hantés”.

L’intervenante

Louise Gerbier est ancienne élève de l’ENS de Lyon, après deux ans en CPGE littéraire au lycée Descartes (Tours), agrégée d’anglais. Membre de la SOFEIR (Société française des études irlandaises), actuellement doctorante à l’Université Sorbonne Nouvelle (laboratoire CREW).

Spécialisée en histoire politique contemporaines des îles britanniques, je travaille plus particulièrement sur le conflit nord-irlandais et l’implication du corps physique dans la construction du corps politique au 20e siècle. J’ai travaillé sur les pratiques de grève de la faim chez les républicains irlandais, sur les pratiques de torture au tournant du conflit et m’intéresse désormais à la théorisation et la perception de la violence politique par ses acteurs.

La conférence

Ce conflit commence en 1969 et s’achève en 1998. C’est la réémergence d’un très vieux conflit entre l’Irlande et le Royaume-Uni. C’est un conflit civil, un vivant c’est un mort en suspens. Les morts sont des « objets » de représentation collective et des « outils » politiques .

Mise en place d’un processus en 4 étapes:

  • théorisation
  • expérience, application
  • observation
  • récit mémoriel

Ce n’est pas seulement un conflit religieux, mais en partie. On assiste à des massacres répétitifs de la part des Britanniques. Les Républicains ont recours aux grèves de la faim.

Nombre des morts au cours de la période : –

  • index Sutton(1994): 3532 morts
  • index Mac Kittrick (1999) : 3700 morts

Des penseurs parlent de « morts nécessaires » qui justifient la violence des patriotes républicains irlandais. Par exemple le discours de Patrick Pearse à des obsèques. En 1916 on assiste à une répression très violente de la part des Britanniques qui entraîne une réaction de rejet de la part des patriotes irlandais . « Sans effusion de sang il n’y a pas de rédemption » James Connoly .

La violence est perçue comme la réponse à la violence de l’État britannique.

En 1981, il y a grève de la faim de Bobby Sands qui se conclue par sa mort. À partir de 1976 les prisonniers républicains sont considérés comme des prisonniers de droit commun. Est instituée une « généalogie des héros » qui donne naissance à l’émergence de futurs « martyrs ». Les funérailles donnent l’occasion de pérenniser le souvenir des morts précédents. Elles sont utilisées à cette fin par les Républicains dans les années 1980.

De plus il y a la transmission familiale de la mémoire des luttes et des morts. On assiste aussi à l’appropriation du gaélique par les prisonniers politiques et au recours à un passé fantasmé. Les vivants sont « obligés » par les morts. Des liens de solidarité se tissent entre les grévistes de la faim et les libres.

Assiste-t-on à une culture de la mort ?

Environ 400 personnes sont tuées par an .

C’est une question genrée : les combattants et les morts sont essentiellement des hommes. Les femmes et les enfants ont le rôle de « porter » la voix des morts. Les hommes manifestent, combattent, sont emprisonnés ou tués.

Des comités inter-communautaires finissent par se mettre en place . Puis entre 1994 et 1998 ont lieu des négociations qui aboutissent à des accords de paix approuvés par référendum en 1998 .

L’art et la muséographie sont utilisés pour commémorer les vivants et les morts .