Dans le très bel l’hémicycle de la Halle aux grains, la conférence inaugurale lance officiellement cette 26e édition des Rendez-vous de l’histoire de Blois dont le thème est, pour cette année 2023, « Les vivants et les morts ». S’il peut surprendre au départ, ce thème entre pleinement dans les programmes du secondaire. Du collège au lycée, l’évocation voire l’étude des sites funéraires antiques, du régicide d’Henri IV, des victimes et des bourreaux de la Saint-Barthélémy ou de la Shoah, en faisant appel aux morts comme aux vivants, nous questionnent et nous renseignent sur l’évolution des sociétés à travers les âges. Si le public attend avec une grande impatience l’intervention de l’historien du président du conseil scientifique Jean-Noël Jeanenney, les discours des officiels font partie intégrante de cette cérémonie et reflètent parfaitement l’insertion de l’évènement à toutes les échelles, du local au national.

Francis Chevrier, le directeur des Rendez-vous de l’histoire, introduit cette séance en annonçant le lancement d’un podcast. Ces archives sonores, issues des éditions de 1998 à nos jours, doivent être l’occasion de découvrir ou redécouvrir plus de 25 ans de conférences et de débats ayant eu lieu au festival ! Francis Chevrier propose ainsi un court extrait du discours de Simone Veil lors de la conférence de clôture de l’édition 2004. Dans l’hémicycle de la Halle aux grains, claquent alors ces quelques phrases :

« Je ne suis pas historienne, et pourtant, pour moi, l’histoire est la matrice de la vie politique. On ne peut appréhender la société dans laquelle nous vivons, prendre des décisions de caractère politique qui s’imposent sans référence à l’histoire. Pour ma part, je regrette que l’histoire ne soit pas plus présente dans l’éducation scolaire ou, en tout cas, que son enseignement ne laisse pas plus de traces. En maintes occasions, l’histoire est bonne conseillère si l’on sait en tirer les leçons. »

Le directeur des Rendez-vous de l’histoire souligne le rôle essentiel des enseignants dans le bon fonctionnement d’une société et d’un État. Francis Chevrier évoque ici toute l’importance pour l’Etat de veiller à une bonne, continue et nécessaire formation de ses enseignants ! En s’adressant à un public large, ce festival est bien sûr un outil (gratuit) indispensable afin de s’armer intellectuellement à l’heure des vérités alternatives. Enfin, Francis Chevrier ne peut que déplorer l’absence d’un partenariat avec le Ministère de la Recherche. Cette absence à bien sûr une portée symbolique très forte et la communauté des historiens ne peut que s’en émouvoir.

Parmi les nombreux discours des représentants politiques, notons celui, très réussi et inspiré (et inspirant), du maire de Blois, Marc Gricourt, honoré d’accueillir le plus grand festival d’histoire dans sa ville. Pour lui, la mort qui touche tous les vivants est diverse et nous apprend beaucoup sur nos sociétés. Elle est universelle, en faisant fi des origines, des classes sociales ou des croyances. Elle est aléatoire, on a beau prendre soin de soi, la vie a aussi ses imprévus qui peuvent faire surgir la mort à tout moment. Elle est profondément inégalitaire, certains finissent isolés, d’autres ne peuvent faire face au coût des funérailles, tout le monde n’a pas la même capacité à faire son deuil, … Enfin, la mort se nourrit des dérèglements et dysfonctionnements de nos sociétés. Les génocides ou l’extinction des espèces en sont le triste reflet. Parce que la mort est multiple, la communauté des historiens a, ces dernières années, largement élargi les champs de travail et d’investigation sur cette question, ce qui est tout particulièrement souligné par la très grande diversité des conférences et temps proposés lors de ce festival. Marc Gricourt clôture en rappelant que certains vivants sont, d’une certaine manière, morts  … il cite les prénoms de certains de ses administrés en situation précaire. Une belle manière de leur rendre hommage et une part de leur dignité.

Enfin, Jean-Noël Jeanneney prend la parole pour une intervention pleine d’esprit et ponctuée de traits d’humour. Pour lui, et malgré le thème, cette édition ne sera pas funèbre ! Il débute en citant la phrase d’Auguste Comte « les morts gouvernent les vivants ». Lors de cette édition, Jean-Noël Jeanneney souhaite s’inscrire en faux car, malgré la fatalité qui plane au dessus de chacun, il faut parler de vitalité ! A propos des morts « hasardeuses » (« Sa Majesté le Hasard » d’après Voltaire), il raconte celle du tragédien grec Eschyle, tué par une tortue tombée des serres d’un rapace !

Vivants, nous tenons entre nos mains notre destin … et parfois notre mort. D’où, bien souvent, le refus de se soumettre à la mort et parfois la volonté de la réussir. L’historien, en s’appuyant sur des phrases célèbres prononcées quelques minutes avant le rendez-vous fatal, nous donne un bon conseil afin de la réussir … l’humour. C’est Pierre-François Lacenaire lançant avant d’être guillotiné : « Voilà une semaine qui commence mal », Malesherbes butant sur un pavé : « mauvais présage, les romains auraient dit rentrez chez vous » ou le député Bodin sur la barricade : « Vous allez voir comment on meurt pour 25 francs ». Parfois la petite phrase est prononcée par d’autres, c’est Clémenceau à propos du général Boulanger qui se suicide sur la tombe de sa maîtresse : « Il est mort comme il a vécu, en sous-lieutenant ».

Pour Jean-Noël Jeanneney, il y a une liberté de choisir sa mort. Celles de Molière et d’Eric Tabarly permettent d’en dresser une géographie symbolique (en mer, sur scène). Toujours en termes de liberté, il ne faut pas oublier la question très actuelle autour du suicide assisté. Il existe bien un mystère autour du suicide qui nous rappelle que nous ne sommes … que des historiens ! La liberté de donner la mort (à un autre) a parfois pu être revendiquée afin de légitimer une cause comme celle du régicide. On peut citer tout le débat autour des textes de Saint Thomas d’Aquin utilisés afin de justifier la mise à mort d’un tyran.

Finalement, pour Jean-Noël Jeanneney la mort est bien un sujet profondément historique et fait appel à tous les domaines : les sciences, la médecine, les religions ou l’administration (notaires et ouverture des testaments). Cette diversité, cette richesse, ces certitudes et ces interrogations sont bien la preuve de la vitalité de la mort ! La dernière citation sera de Victor Hugo, Jean-Noël Jeanneney concluant avec malice « Ce n’est rien de mourir, c’est affreux de ne pas vivre ! »

Pour les Clionautes, Armand BRUTHIAUX