Les Rendez-Vous de Blois 2018

Table ronde proposée par l’Association Française d’histoire économique -1h 30-

L’impact économique des crises sanitaires, de la peste antonine aux crises actuelles

Monique Bourin-Derruau, professeure émérite d’histoire à Paris I, spécialiste de l’histoire économique et sociale du monde occidental. Référence bibliographique : « Les disettes dans la conjoncture de 1300 »

Benoît Rossignol, maître de conférence à l’université paris I spécialiste du règne de Marc-Aurèle

Alessandro Stanziani, directeur d’études à l’ESHESS et directeur de recherche au CNRS, référence bibliographique « L’histoire de la qualité alimentaire du XIXe au XXe siècle »

modérateur Mathieu Scherman

Les trois spécialistes, selon la chronologie du IIe siècle après J.-C. jusqu’à l’époque actuelle, présentent et analysent les impacts économiques des crises sanitaires dans la longue durée.

Les crises sanitaires font partie des sujets très étudiés et qui concernent de très nombreux domaines : la pollution, les maladies, les conflits environnementaux et difficultés des entreprises agro-alimentaires…

Il suffit de se rappeler des conséquences économiques de la crise de la vache folle ,par exemple, pour s’intéresser aux aspects économiques des crises sanitaires.

Comment les différentes structures économiques font-elles face à ces crises ?

La conférence porte sur :

  • une maladie qui est présente durant de longs siècles à intervalles réguliers

  • les disettes dans les environs de 1300

  • une crise alimentaire et une maladie à l’époque contemporaine

    Les crises ? Les impacts économiques ? La résilience des acteurs ? A quelle fréquence les sociétés doivent-elles faire face aux crises sanitaires ?

    Comment les structures économiques font-elles face à ces crises ?

  1. Les pestes (Benoît Rossignol)

Dans l’histoire de l’empire romain, on compte trois grands épisodes épidémiques :

-la peste antonine sous Marc Aurèle. En fait, il s’appelle Antonin (Marcus Aurelius Antoninus) et règne de 161 à 180. La peste a lieu à partir de 166.

-la peste de Cyprien qui se déroule vers 250. Saint Cyprien a donné une image frappante de la maladie.

-la peste de Justinien  à partir de 542 : c’est la plus importante.

La peste antonine (ou peste galénique du nom de Galien). Galien (129 – vers 216 p J-C) a été un témoin exceptionnel de cet épisode. Il est médecin et a laissé une  source très implrtante: il décrit très bien cette maladie car il a vu énormément de malades.

-La 1ère attestation de la maladie remonte à 165 à Smyrne en Asie Mineure (Turquie actuelle).

-En 166, elle est signalée parmi l’armée romaine qui combat en Mésopotamie à Séleucie (Irak actuelle) et arrive à Rome. Galien quitte Rome, car il applique le remède donné par Hippocrate en cas de peste : « pars vite et reviens tard ».

-Vers 167-168, on a des attestations d’un état de peste important en Egypte : des villages sont dépeuplés.

-En 169, elle frappe les armées romaines qui sont massées au Nord de l’Italie prêtes à aller guerroyer contre les barbares. La guerre ne peut avoir lieu car les armées romaines sont incapables de combattre du fait de l’épidémie. Ensuite, la peste est perdue de vue …

  • En 179, elle est de nouveau repérée : des villages sont dépeuplés en Egypte à Soknopaiou Nessos. On sait, grâce à des papyrus, qu’en deux mois, 32 % des hommes adultes sont morts dans un village.

  • En 182, des morts dans le Norix (Bavière actuelle).

  • en 189-190 : Rome est frappée. Un témoin évoque 2000 morts par  jour. Ce peut être un chiffre réel.

Puis, suivent 60 ans de paix biologique jusqu’à la peste de Cyprien.

Ce premier épisode est bien documenté et les témoignages sont de bonne qualité.

L’utilisation du mot « peste » est courant, mais il est peu probable que ce soit vraiment la peste. Quand on parle de peste aujourd’hui, nous parlons d’un microbe identifié : Yersinia Pestis. C’est celui de la peste médiévale de 1348 , celui de la peste de Justinien mais les analyses ADN actuelles ne permettent pas d’identifier le microbe de la maladie de l’époque de Marc Aurèle. Surtout, la description de la pathologie par Galien ne ressemble pas à la peste. Le consensus permettrait plutôt d’identifier la variole. Galien connaissait par ailleurs la peste que nous connaissons aussi. Il faut attendre des analyses ADN. L’idée qui faut associer une maladie à un microbe est une idée qui n’apparaît qu’avec Pasteur et Koch fin XIXe siècle.

La maladie antique est individuelle : c’est la perturbation des humeurs qui correspondent aux 4 éléments : l’eau, l’air, la terre et le feu. Si le dosage des 4 humeurs est solide, on n’a rien à craindre.Les maladies ne passent pas d’individu à individu. C’est le cosmos entier qui est déréglé, donc il faut chercher l’origine de la contamination. C’est un problème avec les dieux, un complot ou des magiciens empoisonneursc; l’air est vicié… Il faut alors résoudre le problème par la collectivité. Il faut une prise en charge civique, politique et religieuse. Il est donc difficile de retrouver nos repères actuels dans les indications d’un médecin comme Galien. C’est pour cela que l’historien compte sur les prélèvements dans les tombes et les analyses ADN de la pulpe dentaire : les micobes y sont piégés. Pour la peste, on peut reconstituer l’histoire du microbe mais la variole reste encore à découvrir. Les maladies ont une histoire…

Evaluer le bilan de cette épidémie pour en comprendre le sens.

Pourquoi cette histoire a-t-elle attiré l’attention? L’histoire économique de l’empire romain a beaucoup évolué depuis un quart de  siècle. On s’est rendu compte de l’extraordinaire prospérité de l’empire romain au Ier et IIe siècle. La situation économique était très particulière avec une croissance per capita : une sorte de PIB rapporté à la population très fort.

Pourquoi cette croissance s’est-elle arrêtée ? Quelques chercheurs ont relié ce fait à la peste antonine. Un choc malthusien aurait-il  frappé l’empire romain ?

On a trouvé une abondance de sources pointant cet impact. Un article majeur en 1996 a repéré que les sources disparaissent à partir de 165 : le nombre de papyrus s’écroule, les contrats de vente des mines de Dacie , les dates sur les pierres, sur les briques et  les amphores espagnoles en Allemagne disparaissent. L’absence de sources pointe l’impact économique de l’épidémie.

On est dans une situation de guerre et  de disettes récurrentes. Gallien décrit les carences entraînées par ces disettes.

Question des liens : est-ce par la disette qui l’ on devient malade ? Ou bien est-ce que les disettes arrivent parce qu’on est malade et que plus personne ne peut moissonner les champs ?

Les conséquences sur l’économie ? Peu de sources…sauf le chiffre des 2000 morts à Rome car on enterre les morts.

En Égypte, on peut trouver quelques archives économiques : les papyrus. La population décède. Les archives : des contrats de fermage. Les prix sont divisés par deux. Le prix de la terre baisse. On suppose un impact, mais pas forcément catastrophique.

Les recherches actuellement s’orientent vers une identification du facteur pathogène pour savoir comment il se transmet…Il faut donc fouiller les nécropole pour séquencer de l’ADN. Il faut décrire une histoire environnementale qui prenne en compte les chocs mais aussi la résilience. Kyle Harper, chercheur américain, montre que l’histoire de l’empire romain s’inscrit dans une série de chocs suivis de résiliences… Mais à chaque choc, le palier de résilience est un peu moins haut et l’empire décline.D’après lui, les 3 « pestes » et la dégradation climatique ont entraîné des difficultés de résilience. Ici, c’est un enjeu de confrontation des différentes disciplines scientifiques.

En conclusion, la peste antonine est un sujet qui revient par une nouvelle approche des sources grâce aux  avancées scientifiques (histoire biologique), par l’intérêt nouveau pour l’histoire environnementale et la recherche d’éventuels déclencheurs ou accompagnants climatiques de ces crises sanitaires. Cela se voit pour la peste Justinienne de 541 : dès 535, la planète a perdu ,pendant 2 décennies, 2 degrés à cause d’éruptions volcaniques en Indonésie. C’est le petit âge glaciaire de l’Antiquité tardive! Celac semble corrélé à la peste de Justinien. Ces réflexions font aussi écho à  nos inquiétudes contemporaines.

  1. Les disettes (Monique Bourin-Derruau)

    Sur le sujet des crises sanitaires, on peut s’attendre à étudier la peste de 1348, car c’est la crise majeure et démographique qui modifie, peut-être moins qu’il a été dit, l’histoire économique et sociale du Moyen-Age.

    L’archéologie funéraire progresse lentement, car les obstacles sont nombreux : du coût, à la peur ou même à l’hostilité de quelques personnes face à l’idée, par exemple, de réveiller les fantômes d’un cimétière à fouiller.

    L’image que nous avons de la peste médiévale est en train d’évoluer, notamment par son repérage sur le plateau tibétain. La Route de la Soie aurait modifié le genre de vie des habitants des plateaux Tibétains. La vie nomade dominante limitait l’impact de la peste, car les puces détestent l’odeur des chevaux. Tant que les tibétains étaient nomades, il ne se passa rien mais la sédentarisation des tibétains ,le long de la Route de la soi, a entrainé la libération du bacille de la peste. C’est une hypothèse…L’histoire environnementale est en cours.

    Quand nous avons commencé les études environnementales, ce qui a été important, c’était la découverte par les économistes, après les travaux d’Amartiya Sen (économiste indien), d’une nouvelle image de la disette. L’idée malthusienne de la disette semblait évidente. Les médiévistes anglais, Michael Postan, et français, Georges Duby puis E. Leroy-ladurie pensaient que l’occident avait atteint les limites de sa croissance démographique et avait souffert de « ciseaux malthusiens »,  ce qui revenait à ce que la terre était capable de nourrir.

    La disette apparaît plutôt comme un phénomène politique et social. A la lueur des images nouvelles du monde médiéval de la fin du XIIIe siècle et du XIVe siècle, il fallait vérifier si l’hypothèse malthusienne suffisait ou s’il existait d’autres pistes pour expliquer les disettes et leurs conséquences sur l’histoire de l’Europe. Un groupe d’historiens anglais (après Postan) a montré que l’image de régression de la fin du Moyen-Age était discutable.

    En fait, certes la population est moins nombreuse, mais on vit beaucoup mieux. Les standards de vie ont changé. A partir du XIIIe s, le monde du MA est très actif du point de vue du commercel. L’économie s’oriente vers le commerce dans les villes : les foires sont très actives et il existe une multitude de marchés. Les commerçants vont s’approvisionner loin et la connaissance des prix est intense, et pas seulement chez les marchands. On connaît les prix à longue distance : 15km, 300 km ou 600km…L’interconnaissance des échanges est donc forte.

    Ces historiens (anglais et américains) se sont focalisés sur un événement extrême : la disette de 1314-1316. Pendant 3 ans, il a plu sur l’Europe du Nord et l’absence de récoltes a été catastrophique. Les crises alimentaires surviennent car le moment de disette n’est plus contrôlé. Une disette d’un an, de deux ans est gérable mais après 3 ans, cela devient épouvantable. Il fait également très froid.

    Attestation d’une surmortalité humaine : 10% de la population à Ypres et en Angleterre, 5% à Bruges.

    Cette disette est suivie par une mortalité animale qui détruit les cheptels. Il ne reste que 10% de ce qu’ils étaient avant l’épidémie. Une crise de production est flagrante. Mais on constate une grande résilience : en 3 ou 4 ans, l’économie repart et le niveau d’avant est retrouvé. Ce phénomène est limité à l’Europe du Nord.

    Et dans l’Europe du Midi ? Il semblerait que les disettes se sont multipliés.  Modification climatique ? Autre hypothèse ?

    On meurt peu de disette dans le Midi. Cependant, les famines deviennent plus nombreuses.

    Mais qu’est-ce que la disette ? On lit « la caristia » :

    -on manque (carere)

    -la cherté

    Souvent, quand il y a manque, les produits deviennent chers. On constate que les prix peuvent se multiplier par 10. Globalement, les morts par sous-alimentation sont rares. On meurt de la maladie en 1348 mais pas de la disette. L’historien a donc ananlysé le modèle de la disette et il semble que le processus d’Amartya Sen y est adaptable. C’est un monde de commercialisation, où le salariat est énorme, où l’urbanisation est considérable et où une grande partie de la population souffre de la cherté des produits. Toute la production est orientée vers le marché urbain. Or, si le prix des céréales augmente, la population agricole et tout le salariat est fortement touché.

    Le début d’une disette peut être une mauvaise récolte ou une guerre maritime qui bloque un approvisionnement. Florence ne se nourrit de son comtat que 5 mois par an. Les 7 autres mois, il faut aller chercher plus loin : Sicile, Italie du Sud…

    Alors, l’équilibre déjà fragile est ruiné. Ce qui crée la disette, c’est la spéculation. Dès que l’on entend que la récolte sera mauvaise ou que des événements militaires perturbent l’approvisionnement, alors certains spéculent et stockent. Les prix montent. Cette spéculation cesse dès que la bonne récolte ou qu’un bateau s’annonce.  Les spéculateurs remettent les produits sur le marché. Il y a bien des événements environnementaux, des événements politiques et militaires, mais l’essentiel est le poids de la spéculation. La disette est cependant contrôlée par l’Etat et les autorités municipales vont acheter à prix fort les céréales et les revendent à prix accessibles, donc à perte. Il leur faut faire baisser la pression. Les archives de comptabilité de l’archevêque de Narbonne montrent que la ville de Béziers impose à l’archevêque de Narbonne qui a de gros silos de les ouvrir et de vendre à moindre prix. Les silos sont ouverts assez rapidement avant que la révolte n’apparaisse. On anticipe les disettes et on fait venir des bateaux des mois à l’avance. Globalement, on évite le pire de la malnutrition, même si on n’évite pas toujours les révoltes urbaines.

    C’est pour cela que la population ne meurt pas de la disette. C’est le contrôle qui fait la différence entre avant 1270 et après. Avant, on meurt de disette : les sources montrent cette forte mortalité. Ensuite, les autorités municipales ont su organiser le marché.

    Les grandes Halles commencent d’ailleurs à s’installer : Barcelone, Perpignan …

    Certes, le climat a son importance, une baisse d’un degré au début du XIVe siècle, ce qui paraît énorme, pouvait entraîner une disette un an sur trois. Mais cela n’apparaît pas. On observe une disette un an sur dix, ce qui est déjà beaucoup.

    L’impact climatique est sans doute différent :

    – dans le Nord, beaucoup de pluie = catastrophe.

    -dans le Sud (sauf épisode cévenole), la pluie est plutôt bénéfique et on craint davantage la sécheresse.

C’est plus un problème d’adaptation qu’un problème climatique.

Les conséquences de ces disettes : l’agitation urbaine. C’est pour ces raisons que les municipalités sont attentives à contrôler les disettes car  les élites sont menacées physiquement. Il existe des situations de pillages et d’agressions par la population urbaine. Les élites municipales sont prêtes à utiliser jusqu’à 15% des impôts municipaux pour alimenter les marchés (chiffres de Valence au début du XIVe siècle).

Cependant, l’impact économique est considérable car une partie de la population consacre tout ce qu’elle possède à se nourrir. Autre conséquence, cette population n’achète rien d’autre. On voit même de nombreuses situations de transferts de propriétés : vente à d’autres propriétaires dont on devient fermier ou métayer.

Autre problème : la malnutrition. Le lien entre malnutrition et développement de la peste est contesté par les spécialistes actuels alors que les chroniqueurs médiévaux les relient.

Conséquences de la malnutrition sur les enfants ? Cela expliquerait la baisse de la démographie ? On s’interroge pour savoir jusqu’à quel point la baisse de la natalité est causée par la malnutrition.

  1. Au XIXe et XXe siècle : étude du marché de la viande sur une longue durée (Alessandro Stanziani)

    Comment organiser un marché tout en tenant compte des enjeux sanitaires ? Étude de cas d’épizootie (épidémie qui frappe les animaux) et de maladies transmises par la viande.

XIXe s : la tuberculose / la trichinellose

XXe s : le bœuf aux hormones

a) Comment les acteurs eux-mêmes identifient-ils la bonne viande de la mauvaise viande ? Ce n’est pas une question de goûter, mais il existe plusieurs classifications de la qualité selon les acteurs : les bouchers, les autorités…

b) Comment une crise sanitaire survient-elle? Les structures des marchés permettent d’expliquer les crises sanitaires. Elles arrivent quand il y a des changements importants entre la demande et l’offre et quand on met en place un marché national et international : ce sont les espace de marché qui sont en cause.

c) Il existe des changements dans les techniques :

-élevage

-sélection des races

-le découpage de la viande

d) Comment faire face à ces crises ?

-Mesures d’interdiction face aux incertitudes scientifiques

-Non information

-Information

e) Les conséquences économiques ? Restructuration des filières à l’avantage de certains et trop fort coûts pour d’autres. Qui gagne et qui perd ?

f) Usage de l’argumentaire scientifique. Les scientifiques sont toujours en désaccord entre eux.

g) Le rôle des experts en amont et en aval : quels critères ?

1er exemple : la trichinose du porc au XIXe siècle

On en parle depuis les années 40 du XIXe siècle : débats scientifiques mais pas de débats publics.

Dans les années 1870, ce problème explose dans les médias. Pourquoi ? Le contexte est particulier : le marché de la viande commence à stagner + soit-disant invasion des salaisons américaines → un marché en baisse et une offre qui augmente.

Plusieurs acteurs : les éleveurs, les producteurs français, journaux locaux s’opposent à l’importation des salaisons. Un argument économique qui s’appuie sur un argument scientifique qui date de 30 ans. Brusquement, on est dans le débat : y-a-t-il des trichines dans la viande ? Sont-ce les mêmes chez le porc et chez l’Homme ? La transmission entre animal et être humain ? Le porc l’attrape par le rat;  si cela se transmet du rat au porc, cela peut se transmettre du porc à l’être humain. Est-ce qu’il y a une continuité dans les espèces ? Débat Darwiniste ? Intervention des catholiques et des scientifiques. Incertitude !

Si la trichine se transmet : comment l’élimine-t-on ?

-1er argument : la cuisine. Il suffit de cuire longtemps. Mais est-ce que tous les consommateurs vont savoir le cuire suffisamment longtemps? C’est un principe de précaution. Les autorités veulent interdire le porc. Les américains interviennent et prétendent que les porcs (américains) n’ont pas de trichine. Donc, menace américaine : si la France stoppe les importations de salaisons américaines, les américains bloquent les importations de fromage! Donc, débat. Pendant des années, on ne bloque pas les importations car les commerçants ne le souhaitent pas. Les éleveurs, eux, veulent bloquer. Les salaisons sont destinées plutôt aux ouvriers (viande des masses) qui ne consomment pas d’autre viande, donc, il n’y a pas de problème pour les éleveurs.

Début des années 1880 : nouvelle crise économique. Le poids des lobbies permet d’arrêter les importations.

Début des années 1890 : le marché repart à la hausse. Le marché américain est réouvert, mais les salaisons sont tombées en désuétude : la demande a vraiment chuté. D’autres types de viandes ont été accessibles « en remplacement ».

Au final, français et américains sont satisfaits.

2e exemple : la tuberculose

Elle est partout dans le monde, donc pas de possibilité de protectionnisme.

Est-ce que la tuberculose se transmet de l’animal à l’humain ? C’est un enjeu de masse. Que fait-on des animaux atteints de tuberculose ? Est-ce la même maladie humain / animal ?

Soit on examine les bêtes, soit on examine les morceaux.  Jusqu’où arrive la tuberculose dans l’animal ? Est-ce qu’on peut consommer les morceaux non atteints par la tuberculose ? On considère alors que les bons morceaux ne sont pas contaminés : le rumsteak, l’aloyau…Ils deviennent des morceaux de luxe. Une seule partie de la bête est détruite.

Après un temps, les cas de maladie se multipliant, il est décidé de se débarrasser de la bête entière en cas de tuberculose au nom de la Santé Publique .

Si on élimine la bête entière, qui va payer ? Débat immense sur les assurances. On élimine la bête entière et les éleveurs se cotisent, créent une mutuelle. Au bout de quelques années, on est sous la IIIe République, on commence à penser que l’État doit intervenir . Mais il faut que la maladie soit classée parmi les maladies contagieuses ayant un impact sur la Santé Publique. Qui dédommage les éleveurs ? Ainsi, les petits éleveurs disparaissent et les élevages se concentrent, car eux seuls peuvent payer. Les commerçants, alors, organisent et paient les contrôles sanitaires. Les commerçants prennent ainsi le pouvoir sur la filière (comparaison avec la grande distribution actuelle). On anticipe les assurances, on anticipe les contrôles et on explique ce qu’il faut produire. Le débat est national.

Pasteur découvre le vaccin contre la tuberculose et les animaux sont vaccinés. Les éleveurs vaccinent et sont dédommagés, dans le cas contraire, ils sont laissés à leur problème : la bête est perdue et l’argent aussi. Les éleveurs se plaignent alors du lobby des vaccinsc, car il y a débat sur l’efficacité du vaccin. En France, le vaccin est accepté à l’inverse de ce qui se passe en Grande-Bretagne. Les animaux anglais ont la tuberculose également (le lait, la viande sont contaminés), mais les anglais pensent que le marché réglera la situation. Ils pensent qu’il faut régler le problème par l’hygiène : lavage des mains, nettoyage des élevages… Le vaccin n’est introduit qu’en 1940. Ils ont éradiqué au XIXe siècle sans vaccin.

Questions :

mondes pleins / mondes vides ?

Benoît Rossignol

Sous l’Antiquité : deux visions

  • Tertullien : ubique populus. Il y a du monde partout.

  • Cyprien : le monde se vide.

Tertullien veut montrer que tout va bien pour ne pas attirer l’attention. Cyprien dit l’inverse, car il souhaite que le monde devienne chrétien. L’archéologie montre qu’il y a des faits réels et que certains ont intérêt à ne pas être jetés aux lions… Même si une partie pensait que cela permettait de gagner le paradis.

Y-a-t-il trop ou pas assez de population ? La peur majeure de l’Antiquité, c’est l’oliganthropie, la crainte qu’il n’y ait pas assez de citoyens. Il faut créer des corps pour la cité; l’Antiquité est nataliste. Ce sentiment est présent dans les sources, mais est-ce réel ? Observe-t-on des dynamiques démographiques ?

Monique Bourin-Derruau :

La crainte au M-A, c’est qu’il n’y ait pas assez de monde. En étudiant des plaidoiries de l’élite municipale de Béziers ou Narbonne, on constate autant de population qu’au XIXe siècle, le seuil démographique est extraordinaire. La crainte, c’est que la population parte en Catalogne pour travailler…et qu’il n’y ait plus personnes pour continuer à faire le travail sur place. Les élites souhaitent maintenir les populations. Dans les années qui suivent la peste, personne n’imagine qu’on reste à cet étiage. Quand les villes se fortifient, ap 1356 surtout, on s’aperçoit que les plans de fortification sont gigantesques.

On craint la perte de population. La nature sauvage fait peur.

La réaction des autorités face à la peste antonine ?

C’est un trouble réel dans la population, car la contagion n’est pas imaginée. Il faut résoudre le problème au niveau de la collectivité : la réponse la plus courante est religieuse.

Si l’air est perturbé, alors il faut purifier l’air : de grands feux d’herbes odorantes sont allumés à chaque carrefour de la cité. Ce traitement médical n’a aucune efficacité mais la population est convaincue.

Le traitement majeur est religieux et politique pour recréer une communauté, car c’est elle qui est attaquée : l’espace du vivre-ensemble est minée par la colère des dieux, par un complot d’étrangers ou un complot de magiciens qui utiliseraient des poupées maléfiques (Éphèse). On le savait par un sanctuaire, Claros, qui donnait des oracles expliquant qu’il fallait construire des statues d’Apollon (Alexikakos) qui chassent le mal + faire des offrandes + faire chanter les enfants…

Autre réponse : qui peut mettre en colère les dieux ? Certaines personnes pensent qu’il n’y a qu’un seul dieu…les autorités chrétiennes sont « persécutées » localement. Exemple : Lyon en 177, contexte de disette, guerre, maladies, besoin de personnes pour les fêtes du culte impérial, il faut des gladiateurs et des spectacles. Quelques chrétiens donnés aux lions sont utiles. Les émigrés (de Phrygie) chrétiens sont choisis (Blandine…) dans ce cadre-là.

La réponse est donc d’apaiser les inquiétudes et de créer de la résilience. Cela fonctionne plutôt bien car l’épidémie se calme naturellement.

L’autre réponse à l’époque de Marc-Aurèle : payer les funérailles pour éviter l’impureté. On sépare toujours les morts des vivants. Les funérailles ont lieu la nuit. L’incinération commence à décliner et l’inhumation se développe.

On ne pense pas que l’incinération ait été prophylactique, car dans le cas de la variole (peste antonine ? ), l’individu est contagieux dès le 1er jour d’incubation. Les romains pour se saluer s’embrassaient sur la bouche, donc la variole passait très bien…Elle touche les enfants et les vieux. Le cœur de la démographie n’est pas touchée. Mais la variole de Marc-Aurèle fonctionnait-elle comme celle du XXe siècle ?