Fabrice Arroyo : Le mix énergétique français est encore largement dominé par le parc nucléaire, avec 67.1% de la production en 2019. Pour autant c’est un vrai changement. Pour la première fois le nucléaire passe sous la barre des 70% dans le mix énergétique français. 

 

Q : Pourquoi s’intéresser à la question de la sécurité de l’approvisionnement en électricité en 2021 ?

 

Etienne Beeker : Pour rappel je travaille pour France Stratégie, qui est l’héritier du Commissariat au Plan. C’est un sujet revenu à la mode à la suite des questions de manque d’approvisionnement électrique au cours de cet hiver. RTE a lancé l’alerte avant le mois de novembre. De fait la COVID a perturbé la maintenance du nucléaire et cela va perturber l’approvisionnement.

C’est une préoccupation qui revient. Jusqu’aux années 1970, les pannes n’étaient pas inhabituelles. La consommation augmentait de 10%/an et l’offre n’arrivait pas à suivre à cette époque. Cela a disparu des préoccupations à partir des années 1980. Nous étions alors dans une surcapacité. Cette surcapacité se résorbe aujourd’hui, revenant à des états plus équilibrés. A cela s’ajoute le développement du renouvelable (solaire et éolien). Ce sont des énergies intermittentes, ce qui pose des soucis d’intégration au réseau. 

Nous nous sommes donc penchés sur cette question. Quand nous analysons les bilans de nos voisins européens, nous constatons que chaque pays compte sur les importations des pays voisins. L’idée est donc venu de faire un bilan à l’échelle européenne, pour tenir les équilibres. 

Q : Quels sont les principaux risques quant à l’approvisionnement ?

EB : Pour le public, la sécurité de l’approvisionnement tient à l’absence de coupure électrique. Cela peut aller des micro-coupures aux coupures de plusieurs jours.

Q : Nous sommes à 10% de la consommation issus des énergies renouvelables. A quel pourcentage peut-on parler d’une part importante ?

EB : Vous parlez de 10% de l’énergie. N’oublions pas que nous sommes sur des productions intermittentes, avec des puissances bien supérieures dans l’absolu. Ce qui pose donc un problème avec ces énergies, c’est la puissance, avec des pics qui peuvent poser des soucis : par exemple le solaire ne produit que durant 1/8 de l’année par exemple.

Nous établissons ainsi des règles : dans les îles, au delà d’une part des énergies intermittentes dépassant 30%, on incite à couper ces sources pour assurer la stabilité du réseau. Au delà de 40%, dans l’état actuel des technologies, nous sommes face à de grands problèmes. Ainsi l’objectif de 50% des énergies intermittentes dans le mix est complexe dans l’état actuel des technologies. 

Q : Pensez-vous que la France tournera aux énergies vertes à 100% en 2050 ? A quelles conditions peut-on imaginer des systèmes fonctionnant à au moins 50% d’énergies intermittentes ?

EB : Vous évoquez le rapport RTE très médiatisé. Ce rapport ne parle pas d’un parc 100% renouvelable, mais un parc à forte proportion d’énergie renouvelable. De plus il ne dit pas que cela est possible, mais ce qui est nécessaire en termes de faisabilité. Ce rapport met en avant 4 conditions techniques :

  • Ce sont des énergies qui n’ont pas d’inertie. Nous devons maintenir les machines de production synchrones et à 50 Htz. En cas de désynchronisation le système coupe les régions déphasés. Or en renouvelable, il est très difficile de maintenir la fréquence au delà d’une certaine puissance. L’interconnexion est donc très difficile et pas encore possible à grande échelle. 
  • La flexibilité à court terme. C’est le problème rencontré par les californiens cet été. Ce soucis peut-être réglé par un pilotage de la demande à distance, en activant ou éteignant des outils à distance. 
  • Le back-up. Il s’agit des moyens nécessaires pour faire face aux épisodes sans vent ou soleil sur une longue période (plusieurs jours). 
  • La question du prix et de l’acceptabilité. Nous ne connaissons pas le prix de tels aménagements, et même l’acceptabilité du pilotage de la demande et des prix nouvellement pratiqués, ou encore des grands champs éoliens ou solaires. 

Q : Comment l’hydraulique peut absorber les renouvelables ?

EB : Il y a trois sortes d’hydraulique :

  • L’hydraulique des barrages pour stocker de l’énergie sur plusieurs jours ou semaines.
  • L’hydraulique éclusé : petits réservoirs avant les fleuves pour garder l’énergie journalière
  • L’hydraulique au fil de l’eau : cela ne se stocke pas. L’eau coule et turbine. 

Q : Quid de l’hydrogène ? 

EB : L’hydrogène revient à la mode. Cela serait une sorte de formule magique pour stocker les excédents de l’énergie renouvelable et le restituer quand nous en avons besoin. Il y a cependant des soucis :

  • L’énergie n’est pas mûre dans ces dernières versions, en restant très chère (technologie PEM qui nécessite du platine).
  • Les rendements sont médiocres (perte de 40% durant le passage électrique/hydrogène, perte nouvelle de 50% dans les piles à combustible).
  • Peu rentable : quelques centaines d’heures pour des infrastructures immenses. On parle de facteur de charge. 

Q : Quelle stratégie préconisez-vous pour les aménagements à venir ?

EB : Nous ne répondons pas à ces questions. Nous restons sur des données techniques en indiquant quel pourcentage de l’énergie doit rester pilotable. Ainsi il y a eu des appels à différer les fermetures de tranches nucléaires. Nous ne demandons rien dans notre note, nous restons dans l’implicite.

Q : Quel est le bon compromis pour 2030 selon vous ?

EB : Je n’ai pas les outils pour analyser finement quel peut-être le bon compromis. EDF a établi des scénarios récemment où ils envisagent entre 30 et 50% de nucléaire, en étudiant les coûts/bénéfices. Il me semble difficile de descendre en deçà de 30% dans un mix, à un horizon plus ou moins lointain (2050). 

Q : Est-ce que la solution ne se trouve pas dans l’intégration européenne ? 

EB : Nous avons beaucoup travaillé sur ces questions, en constatant que l’intégration est très mal menée. Il n’y en a pas concrètement. Ainsi l’Allemagne sort du nucléaire en 2011 sans le dire, idem sur le charbon. Pareil pour la France. 

Q : Etes-vous confiant sur une intégration progressive ? 

EB : Ce qui rend optimiste c’est que le besoin de coordination est naturel car l’interdépendance est là. D’autant que les ENR vont y pousser.