Le 11 mars 2020, l’OMS déclare le Covid-19 comme maladie pandémique mais très vite les services hospitaliers sont débordés et la valse des confinements et des mesures sanitaires bouleverse notre quotidien. Depuis, Pfizer, Moderna, Astra-Zeneca font figure de solutions providentielles mais la guerre des vaccins semble parallèlement déclarée. Qu’en est-il ? Retour sur une conférence d’une heure qui a laissé un peu trop de place aux généralités et aux pétitions de principe sur le multilatéralisme et la solidarité européenne.

Intervenants :

  • Sébastien COGNAT, Chef du bureau de l’OMS à Lyon, pharmacien et biologiste diplômé de Lyon I. 
  • Véronique TRILLET-LENOIR, Députée au Parlement européen, cancérologue, vice-coordinatrice du groupe Renew Europe en charge de l’environnement, de la santé publique et de la sécurité alimentaire (ENVI)

Modérateurs (association GEM En Débat) :

  • Ophélie Guibert
  • Steven Pauchet

Y a-t-il une guerre des vaccins ?

Sébastien Cognat : Plusieurs problèmes se superposent : l’insuffisance de la production pour couvrir les besoins de la planète, les velléités des puissances productrices d’obtenir une priorité pour leur pays, etc. Parler d’une guerre est effectivement à la mode, mais ce n’est pas l’OMS qui utilise ce vocable. Tant que la planète n’est pas immunisée, on sera vulnérable aux variants, à l’impossibilité de revenir aux flux commerciaux et humains antérieurs. Donc, on doit avoir conscience qu’une guerre éventuelle éloigne forcément de cet objectif qui est la seule solution.

Véronique Trillet-Lenoir : Effectivement, une guerre des vaccins est totalement contre-productive sur le plan sanitaire. Si tout le monde n’est pas protégé, alors le problème ne sera pas réglé. Il y a aujourd’hui une compétition, qui peut être saine, mais qui ne doit pas se transformer en guerre vaccinale. Gardons en mémoire qu’être capable de proposer des vaccins aussi rapidement est un exploit. Nous mettons d’habitude entre cinq et dix ans habituellement. Cette réussite scientifique incontestable ne doit pas être amoindrie par des postures nationales. Le Royaume-Uni s’est lancée dans une campagne précipitée, apparemment efficace avec 50% de la population vaccinée mais se trouve aujourd’hui paralysé par les problèmes de réapprovisionnement depuis l’Inde. Nous devons continuer à soutenir par ailleurs l’initiative Covax qui soutient les pays en développement. L’immunité globale est à ce prix.

Une guerre demain alors ? Une coopération ? 

Véronique Trillet-Lenoir : L’arme géopolitique des vaccins paraît une arme transitoire. Cette crise a bien réévalué les enjeux de sécurité publique, les enjeux de solidarité internationale, etc. L’Union européenne doit reconnaître sa déficience en matière d’investissements publics et de soutiens à la recherche. Nous sommes très dépendants des États-Unis et de la Chine.

Sébastien Cognat : L’économie est mondialisée et la recherche aussi. Les matières premières, les savoir-faire nécessaires à la santé ne se trouvent dans aucun pays exclusif: la collaboration est une réalité. Le Covax est une excellente initiative: certains pays font des dons de dose, d’autres apportent un soutien financier, etc. Mais la réalité, c’est que dix pays centralisent 75% des doses administrées.

Même si le terme doit être relativisé, quelles formes pourraient prendre cette « guerre des vaccins » ? Une guerre interétatique ? Une guerre commerciale ? 

Sébastien Cognat : La vaccination est importante mais ce n’est pas la seule solution face à l’épidémie. Plusieurs maladies n’ont d’ailleurs pas de vaccins; je pense au VIH. Donc, certes il faut mettre l’accent sur la recherche médicale, sur les inventions pharmaceutiques, mais il ne faut pas oublier les mesures de distanciation sociale et de fermeture. La lutte prend plusieurs formes et en cas de nouvelle pandémie, nous aurons une grille de méthodes très étoffée.

Que se passera-t-il après le Covid-19 ? 

Véronique Trillet-Lenoir : Au parlement européen, nous travaillons à une réponse à une question de la Commission européenne qui nous demande comment créer un mécanisme de réponse globale en cas de nouvelle épidémie. Nous devons à la fois auditer ce qui s’est passé et anticiper l’avenir.

La solution de l’achat groupé que l’Europe a adoptée n’offre par exemple que des résultats mitigés, même si on imagine bien que sans cette solution commune, la situation actuelle serait certainement pire. Plusieurs pays membres, les plus petits et les moins avancés, bénéficient de la solidarité européenne. Il faut travailler encore sur la coopération pour la recherche, sur les échanges de données, sur les dispositifs transfrontaliers, sur l’approvisionnement et la capacité de production sur le sol européen.

Les États-Unis possèdent une agence de recherche biomédicale commune particulièrement dynamique qui permet de financer et accompagner tout au long du processus d’élaboration et de fabrication des vaccins. La puissance publique prend des risques certes mais à l’arrivée, les États-Unis ont encore une souveraineté sanitaire là où nous sommes nous dépendants de producteurs extra-européens. Nous devons nous inspirer des Américains.

Sébastien Cognat : Nous ne sommes pas sortis de l’épidémie donc difficile de poser des bilans. Soyons humbles. Beaucoup de mesures prises ne permettent pas de retours précis sur leur efficacité. L’investissement dans les systèmes de santé publique a été oublié ces dernières années et il est certain que c’est un problème. Le suivi des cas contacts s’est révélé plus facile dans des pays en développement qui avaient été touchés par Ebola que dans les pays développés. Les soins de santé primaires ont été négligés chez nous.

Le règlement sanitaire international qui gère l’alerte et la réponse face aux épidémies a été trop sous-traité à des départements de ministères de la Santé des États, là où dans le feu de l’action, on se rend compte que des interactions avec le ministère de l’Industrie ou de l’Intérieur sont autant nécessaires. On doit viser la coopération multi-sectorielle, tout comme on doit envisager une plus forte mobilisation en amont de la société civile et des éventuelles communautés en présence.

Comment comprendre la réticence à la vaccination dans nos sociétés ? Cette réticence peut-elle être surmontée ?

Véronique Trillet-Lenoir : L’hésitation vaccinale est certes un problème européen mais reste surtout un mal  français. Toutefois gardons-nous de généralisations trop hâtives. Il y a une forte demande vaccinale. Les sociétés n’ont pas oublié l’époque de la rougeole ou de la tuberculose. Beaucoup reprochent aux gouvernements le manque de transparence, sur les accords, sur les données, sur les intérêts financiers. L’Union européenne doit d’ailleurs prendre ses responsabilités et informer les sociétés sur la vaccination. Chacun doit prendre sa part dans le combat contre les fake news sur les réseaux sociaux.

Sébastien Cognat : La société civile doit s’approprier la vaccination. Elle est invitée à participer à l’accélérateur ACT. L’OMS est présente sur les réseaux sociaux. L’éducation à la santé se fait très en amont. Le vaccin a été une révolution dans l’éradication de beaucoup de maladies infectieuses infantiles. La demande mondiale en vaccin est telle que je ne suis pas inquiet par cette hésitation vaccinale.

La solidarité autour du vaccin peut-elle accélérer la solidarité tout court entre les États ? 

Sébastien Cognat : On comprend que les États cherchent d’abord à privilégier leurs populations mais clairement, si on en reste à des solutions dispersées, le risque est qu’on ne sorte jamais du covid. Il y aura de nouveaux variants, des réinfections, etc. Je pense que le message est passé mais c’est vrai que le passage à la pratique laisse à désirer. Au mois de mai, nous aurons l’Assemblée mondiale des ministres de la santé. L’amélioration de la collaboration internationale est dans tous les débats. Le multilatéralisme revient en force.

Véronique Trillet-Lenoir : Le dispositif ACT-COVAX doit être maintenu et ne doit pas être une variable d’ajustement de la production mondiale. C’est une évidence humanitaire et médicale. Les États-Unis y sont revenus. Deuxièmement, l’UE, à travers le président du Conseil européen Charles Michel, l’OMS doivent être à la pointe sur ces sujets. L’équité d’accès aux soins n’est pas atteinte. Certes le problème ne date pas du Covid-19 mais il va falloir s’y atteler. L’initiative achat groupé est intéressante; elle préfigure malgré ses limites une capacité à négocier face au Big Pharma qui abuse aujourd’hui de sa position alors que ses productions sont en réalité cofinancées par les États. Il faut être moins dépendant d’un capitalisme mondial de la santé.

Quelle est la place de la Chine et de la Russie dans cette coopération internationale ?

Véronique Trillet-Lenoir : Ces deux pays sont gravement touchés par la maladie. Ils disposent de moyens sanitaires et de recherche importants. Les vaccins mis au point relèvent d’une technologie ancienne mais éprouvée. En Europe, si nous arrivons à vérifier leur qualité et à obtenir des stocks, nous n’avons pas de raisons de nous en passer. Curieusement, les populations de ces pays ne sont pas si vaccinés que cela, soit du fait d’une défiance vaccinale éventuelle soit d’une incapacité de production.  La Russie est clairement intéressée par le marché européen.

Sébastien Cognat : Pour l’instant, les vaccins russe et chinois ne sont pas éligibles au programme Covax.

Questions des participants :

Face à la raréfaction de l’offre de vaccins, en faire un bien commun est-il la solution ?

Véronique Trillet-Lenoir : il n’y a pas de raréfaction. L’Europe fournit beaucoup d’efforts pour doper la production. Il faudrait creuser la piste de la licence obligatoire, c’est-à-dire la cession de droits des brevets d’un laboratoire aux Etats, mais pour l’instant cette piste n’est pas retenue parce qu’elle prendra du temps. Par ailleurs, il ne suffit pas d’avoir accès au brevet pour pouvoir réellement fabriquer. Le vaccin Astra-Zeneca suppose un environnement préalable pour être fabriqué et cela ne va pas de soi.

Ne doit-on pas reprendre le contrôle sur certaines parties de la chaîne de valeurs pour corriger les défauts actuellement observés ?

Véronique Trillet-Lenoir : nous avons abandonné des pans entiers de la production, moins pour le vaccin que pour d’autres mais quand même. Nous avons délocalisé la production des substances actives, à des sous-traitants difficiles à tracer. Il faut restaurer des chaînes de production sur notre sol. Dans ce domaine, l’UE a des failles mais elle est en train de les repérer.

Est-ce que l’OMS ne devrait-elle pas directement avoir une capacité de recherche & développement en matière vaccinale ?

Sébastien Cognat: Ce n’est pas faisable, d’abord parce que ce n’est pas le but ou la fonction de l’OMS. L’OMS stimule l’activité de recherche en fixant par exemple des priorités de recherche mais on en reste là. L’OMS n’est pas un laboratoire. Elle est un secrétariat à la disposition des États membres.