Dans cette table-ronde, nous proposons d’explorer les possibilités, difficultés et choix requis pour parvenir à dépasser/transcender les contraintes posées par le « retour de l’environnement » et faire de ces dernières des sources d’opportunités fondées sur une vision collective et des relations apaisées entre les acteurs économiques. En partenariat avec la Chaire Paix économique et bien -être au travail de Grenoble École de Management.

Intervenants :

Gustavo PIERANGELINI (GP)

Ingénieur et titulaire d’un MBA de la Warwick Business School, il est Directeur de l’Innovation Stratégique auprès de Becton Dickinson, multinationale américaine du secteur médicale. Il intervient également dans des universités et écoles de commerce françaises (Grenoble École de Management, Université Aix-Marseille…) sur les thèmes de l’innovation et de la veille marché. Le rôle stratégique de l’innovation collaborative est au centre de ses travaux de recherche, en particulier la capitalisation des connaissances et la gestion stratégique des ressources externes.

Éric DOS SANTOS (EDS)

Directeur des Achats Stratégie et Innovation dans la Business Energy Management de Schneider Electric, spécialiste mondial de la gestion de l’Energie & en Automatisation. Il travaille plus particulièrement sur la transformation des achats pour mettre en place des pratiques & compétences autour de l’innovation et du digital dans les offres/solutions du groupe. Démarrant aux achats en 2006, Il a occupé divers responsabilités et rôle au sein des organisations Achats Projets et Industriels. Ingénieur en Génie Industriel à l’INP de Grenoble, il a débuté sa carrière, en 1996, dans l’automobile, au sein du département Engineering comme pilote de développement de l’instrumentation de bord, puis dans l’innovation en charge du système véhicule sans clé jusqu’en 2006.

Hugues POISSONNIER (HP)

Économiste et docteur en Sciences de gestion, Hugues Poissonnier est Professeur à Grenoble École de Management, où il enseigne la stratégie, le contrôle de gestion et les achats. Il intervient également dans plusieurs universités et écoles de commerce françaises et étrangères. Ses travaux de recherche portent principalement sur la collaboration dans les relations inter-organisationnelles, sujet sur lequel il accompagne régulièrement des dirigeants et est auteur ou co-auteur de nombreux articles de recherche et de vulgarisation, ainsi que d’une trentaine d’ouvrages.

Nota bene: le micro d’un des intervenants était de très mauvaise qualité, certains passages sont manquants.

Introduction

HP: L’environnement évoqué n’est pas dans une acception écologique mais plutôt dans le sens de l’analyse stratégique. Depuis quelques années, des entreprises sont confrontées à cet environnement instable et de plus en plus instable. Une série de difficultés vient impacter les entreprises. Ces contraintes peuvent être dépassées notamment en travaillant collectivement.

Pourquoi vous avez tout de suite été intéressés par cette table ronde ?

EDS: pour tous ces phénomènes du changement des environnements et des contraintes, mon entreprise est directement impactée par sa dimension mondiale (leader mondial de l’énergie management et des automatisation). Par la taille et par la position de Schneider, nous sommes contraints et soumis au niveau des supply chain.

GP: notre activité est focalisée sur le long terme. On anticipe au maximum. L’environnement, les changements politiques sont une source très importante de dépendance. On ne peut pas anticiper, mais on se doit de mettre en place des systèmes d’adaptabilité et de flexibilité.

HP: l’environnement a beaucoup été pris en compte dans les années 1980. Depuis plusieurs années, c’est un peu oublié. On se concentre sur l’interne, sur les forces et les faiblesses en oubliant un peu les opportunités et menaces. Il y avait une confiance dans la robustesse de la supply chain. Le retour de l’environnement signifie cette accélération du changement.

I-Les évolutions de l’environnement 

EDS: on parlait de la complexité des mondes. Aujourd’hui, cette nouvelle normalité, le renouvellement de l’environnement, est devenu presque une normalité. Un axe directeur dans nos stratégies. Si on prend l’exemple de la COVID-19, cette catastrophe n’ a pas réellement changé notre position, les engagements stratégiques et les lignes directrices. Cette catastrophe COVID n’a pas changé l’axe directeur sur l’innovation, mais cela a certainement créé de nouvelles opportunités d’innovation. Chez Schneider on a des stratégies très long terme. Fondamentalement, quand on est leader dans un marché, on doit travailler avec des opérateurs économiques plus régionalisés. Typiquement les catastrophes et impacts géopolitiques régionalisent de plus en plus nos économies, notre business et nos clients. Mon message: le monde dans lequel on est est devenu une normalité et nos organisations doivent être plus flexibles sans changer fondamentalement notre stratégie.

GP: au-delà de l’anticipation, l’organisation doit être suffisamment agile et structurée pour pouvoir tirer profit de la situation. L’innovation est un ensemble de collaborations successives. L’environnement est une source d’innovation inépuisable. L’analyse du marché est une clé pour l’innovation et pour l’anticipation.

HP: vous témoignez de ce renforcement des contraintes tout en montrant l’intérêt de dépasser ces contraintes. Le risque est grand à renoncer à la stratégie. Certaines entreprises étaient accusées d’être court termistes parce qu’il y a des actionnaires qui ont des attentes à court terme. La rentabilité, ça joue par . En même la plus grande des pressions pour le court terme découle de cette incapacité à imaginer l’avenir en ayant raison.  Aujourd’hui c’est difficile d’imaginer ce que sera l’environnement. Si on fait une stratégie à long terme, il faut être capable de naviguer à vue, de changer régulièrement le cap. Naviguer entre les contraintes et les opportunités.

II-Les contraintes et opportunités qu’apportent ces changements

Comment on fait pour naviguer entre contraintes et opportunités ?

EDS: on parle de plus en plus de la capacité à être résilient et non uniquement dans les entreprises mais aussi chez les politiques à toutes les échelles. Aujourd’hui si on est pas capable d’avoir une vision à long terme de nos stratégies, on peut difficilement transformer nos outils de production. L’approche à court terme rend compliqué la mise en oeuvre des outils de production. On ne peut pas dissocier l’approche économique des contraintes environnementales quand on veut avoir une certaine indépendance dans notre stratégie d’entreprise. Dans notre entreprise par exemple, on a pu s’adapter en apportant notre expertise dans les hôpitaux.

HP: des évolutions étaient prévues dans les entreprises et la crise sanitaire a permis d’accélérer ces évolutions notamment en ce qui concerne la digitalisation ou encore la localisation au plus près de la consommation.

GP: je peux reprendre l’exemple de la COVID. Par la nature même de notre activité, on est appelé à soutenir les activités des maisons pharmaceutiques. Aujourd’hui on s’aperçoit en regardant le marché que des technologies délaissées commencent à être rafraichies car elles permettent d’accélérer les campagnes de vaccination. Prévoir une stratégie à long terme et l’anticiper proprement c’est très compliqué.

HP: la stratégie mise en place dans une entreprise c’est une vision à long terme et il y a aussi des stratégies émergentes. Il y a des contraintes qui font que l’on va abandonner des idées, mais il y a aussi des opportunités qu’il faut saisir. Les stratégies émergentes sont celles dont on fait preuve quand on est opportunistes. C’est la capacité à être agile. généralement quand on s’appuie sur les partenaires, c’est plutôt des stratégies émergentes au sens de Henry Mintzberg. Le fait de s’appuyer sur des partenaires doit relever de la stratégie délibérée.  Ce qui poursuit le succès sur le long terme c’est quand on se donne les moyens de bâtir de vrais stratégies collectives avec les fournisseurs, les clients et parfois les concurrents.

III- Les réponses que l’on peut apporter collectivement

Avez-vous des exemples de stratégie que vous avez pu bâtir ?

EDS: je vais prendre l’exemple du développement durable. Pour atteindre cet objectif de développement durable, on doit être fournisseur de technologie. Pour mieux gérer nos ressources, la dépense énergétique pour nos clients et partenaires, il faut d’abord le faire à soi-même. Dans la chaine de valeur du développement durable on ne sait pas faire autrement qu’avec nos partenaires. Si ce n’est pas inscrit dans la stratégie cela ne fonctionne pas.

Sur la partie innovation, l’exemple des technologies. Nous étions centrés au départ sur notre coeur technologie, sur notre propriété intellectuelle. Aujourd’hui ça va tellement vite qu’on ne peut pas faire autrement que de travailler avec des partenaires technologiques, académiques pour développer ces technologies et créer de la valeur autour de ça. Si cela ne s’inscrit pas dans une vraie stratégie long terme, on ne sait pas faire de l‘open innovation. Il faut ouvrir l’écosystème.

HP: on peut faire une distinction entre la collaboration de développement et celle de crise. La première c’est quand tout va bien et que l’on essaye de faire mieux ensemble. La collaboration de crise, ce que l’on attend c’est d’être capable de survivre plus que de créer de la valeur ensemble. Le fournisseur veut qu’on respecte les délais de paiement qu’on lui tende la main. Tous les psychologues nous disent que quand il y a une difficulté, une émotion de peur surgit. Ce réflexe a pu être salvateur pour l’Homme, mais le problème c’est que dans une entreprise cela réduit le champ intentionnel. On est focalisé sur le court terme, on se concentre sur notre propre survit au détriment de notre écosystème et c’est là qu’on paye les fournisseurs de plus en plus tard.

SKF (équipementier auto) est un contre exemple: il a réduit sa propre activité. L’entreprise s’est dit que leurs fournisseurs allaient encore plus mal qu’eux. Ils ont décidé de réduire leur activité afin d’alimenter leurs fournisseurs avec cette activité. On appelle cela de la sous-traitance de capacité. C’est l »intérêt économique bien compris car si les fournisseurs disparaissent, ils meurent aussi.

GP: en général on cherche à collaborer avec nos PME, les start-up. L’idée est d’étendre la collaboration pour arriver à déceler la perle rare qui va nous permettre d’avoir de nouveaux produits. La collaboration ne passe pas uniquement par le don de moyens financiers, mais surtout par le fait de partager des informations et des expériences. L’environnement est important et le fait de collaborer les autant. Une transparence d’infos et de partage permet d’aller plus loin.

EDS: dans une stratégie de partenariat, si la stratégie c’est d’être opportuniste, de négocier uniquement des termes de paiement, on arrive jamais à avoir une supply chain robuste. C’est une vision à court terme. Il ne faut pas dévoyer le sens sain des collaborations. Ceux qui faisaient uniquement du court terme avec leurs fournisseurs ne sont pas ceux qui vont rester.

HP: plus aucune entreprise ne peut innover toute seule dans son coin. On a besoin d’innover ensemble. Toutes les entreprises vont de la co-innovation. La résilience ne peut se faire qu’avec de la collaboration.

GP: je suis partisan de la collaboration de crise. C’est au moment de la crise que l’on a la meilleure innovation. Mettre en place des stratégies de co-innovation dans des groupes  est la meilleure façon d’obtenir des résultats si on a les moyens de mettre en place une stratégie à long terme. Pour moi les deux approches sont importantes, mais les deux ne peuvent fonctionner que si on a des relations stables avec les partenaires économiques. Il faut être ouvert et agile. Les structures doivent être souples pour pouvoir être restructurée et pour faire face à des évolutions de l’écosystème, de l’environnement ou des réglementations.

HP: les relations de long terme passent par la confiance. Cette crise donne l’occasion de construire des relations d’une stabilité et d’une robustesse beaucoup plus grande que celle que l’on peut accueillir en temps normal.


IV- Question du public

Question 1 : comment pouvez-vous parler de retour de l’environnement, il a toujours été là ?

HP: l’environnement a toujours été là, mais avait été un peu oublié.  On avait élaboré des stratégies en en tenant compte de moins en moins pensant qu’on était capable dans un monde globalisé de s’affranchir des contraintes physiques. Fukushima, la crise de la COVID  et l’instabilité politique et géopolitique ont montré qu’on ne pouvait pas vraiment s’en passer.

Question 2: quelle est la politique de Schneider par rapport à l’énergie en lien avec le nucléaire nouveau.

EDS: le positionnement n’est pas d’être dans les décisions sur le production d’énergie. Schneider se positionne au milieu. Il ne s’agit pas de prendre la place du fournisseur. La consommation énergétique est très carbonée et doit être plus électrique et un des moyens de rendre beaucoup plus efficient sa consommation énergétique passe par le digital. C’est cette position que Schneider pousse.

On a dans notre ADN le développement durable. Chez Schneider on a pris l’engagement en 2025 d’être en carbone neutre. C’est grâce à nos technologies que l’on veut embarquer nos partenaires, nos clients dans cette transformation. On a un partenariat avec ST pour réduire l’empreinte carbone.

Question 3 : quelle est la place des start-up dans l’innovation ?

GP : elles ont un rôle important sur la perspective de croissance et sur toutes les nouvelles technologies. Notre rôle est de les mettre en mesure de s’exprimer au mieux sans créer des barrages dans leur développement. Le plus important est de créer une atmosphère de confiance. Leur rôle est très important, on cherche à le développer en général. Les entreprises structurée ont du mal à travailler avec les start-up qui ont un temps de réaction, un degré de liberté que n’ont pas les entreprises structurée. Il faut chercher à mettre en place des règles pour collaborer avec eux, leur donner de l’espace pour collaborer sans les bloquer.