Pour décrypter l’évolution des paysages et des activités humaines dans le Sahara avec précision, les images satellite sont d’une utilité redoutable. Pastoralisme et nomadisme, oasis et irrigation, urbanisation ancienne et contemporaine, pistes et circulations, tourisme… Elles permettent de saisir des phénomènes parfois méconnus et qui ont pris récemment une ampleur inédite, comme la ruée vers l’or et les murs de sable aux frontières.

  • Rhoumour AHMET TCHILOUTA est géographe saharien et doctorant. Ses travaux de recherche porte sur une analyse géopolitique des relations qu’entretiennent le Niger et l’Europe à l’aune de la « crise migratoire » de 2015. Il étudie notamment l’impact de ces relations sur les politiques nationales de gestion des frontières du Niger.
  • Adrien BRUGEROLLE est cartographe
  • Laurent GAGNOL est géographe, MCF à l’université d’Artois et spécialiste du Sahara & Sahel (en particulier Niger et Mauritanie). Il est notamment auteur d’un article en lien avec la conférence publié au Bulletin de l’Association des Géographes Français intitulé « Géohistoire des frontières sahariennes. L’héritage nomade enseveli sous les murs de sable »

Le travail de ces trois géographes s’appuie sur et complète l’ouvrage de Marc Côte datant de 2012 intitulé Signatures sahariennes : terroirs & territoires vus du ciel .

Leur étude du désert vu du ciel, 10 ans après l’ouvrage de Marc Côte s’organise en une typologie de 9 thématiques :

  1. Le nomadisme pastoral caravanier
  2. Les oasis et périmètres agricoles irrigués
  3. Le mode d’habiter sédentaire : village, ville
  4. Les infrastructures de transport
  5. Le tourisme
  6. Les guerres et conflits
  7. La fermeture des frontières étatiques
  8. L’exploitation minière industrielle
  9. L’exploitation minière artisanale : la ruée vers l’or

AB : Les images satellites du Sahara sont accessibles et facilement analysables avec une précision de 1 à 10 m par pixel pour analyser des réalités anthropiques comme l’orpaillage artisanal du Gofat ou les traces à dos de chameau car on y retrouve peu de couverture nuageuse et de végétation.

1/ Le nomadisme pastoral caravanier

AT : La problématique inhérente au milieu est liée à la question des ressources en eau. Celles-ci peuvent se voir sous plusieurs formes par les photos vues du ciel : Le Guelta d’Archei au Tchad est le seul endroit au Sahara où on peut trouver des crocodiles.

En septembre à la fin des saisons des pluies, tous les pasteurs convergent vers cet endroit pour célébrer ensemble ce moment important. De plus en plus de traces de véhicule motorisé et de troupeaux convergent vers sa source.

Cette croissance des flux est à mettre en lien avec l’exploitation de la mine d’uranium chinoise d’Azélik et se fait au détriment des cheptels.

D’autre part, les puits pastoraux sont les points d’eau dominants au Sahara. Ce sont des puits qui se créent après le passage de la pluie.

On peut en trouver un exemple dans la plaine d’épandage de l’oued Zagado, avec des campements qui se mettent à l’abri des pluies sur de petites buttes. Ces plaines sont éphémères, ne se constituent pas tous les ans et ne se remplissent pas tout le temps.

On retrouve aussi en bordure de la daya des cuvettes d’eau argileuse, elles se remplissent après le passage de la pluie, comme à Sessao.

Pour l’exploitation des salines de Tegidda, on façonne des trous ou des cuvettes d’eau et on laisse l’eau s’évaporer puis on enlève les croutes de sels qui seront vendues par la suite sur le marché.

On remarque une évolution de la carrière de saline de plus en plus vers l’ouest.

Vestige d’un ksar médiéval marocain visible près des salines et qui prouve l’exploitation ancienne de la zone.

2/ Les oasis et périmètres agricoles irrigués

LG :  On retrouve dans le Sahara des jardins irrigués traditionnels avec des palmiers dattiers notamment, ici il se caractérise par un oasis de source, avec une corbeille de source, un canal principal et un bassin de décantation. On les retrouve au pied de l’Atlas, dans le Sahara septentrional et l’Egypte.

Il y a aussi des oasis fluviatiles à Zagora au Sud du Maroc, ou aussi dans la vallée du Nil ou du Niger. Dans celles-ci, la répartition de la palmeraie et des jardins se fait de part et d’autre de l’oued, avec des villages et des canaux pour les jardins.

Les oasis de gorge se trouvent au pied de l’Atlas, avec un écoulement régulier, un cône de déjection, des canaux et palmeraies en éventail, dans le sud du Maroc.

Dans le Sud du Sahara il y a des oasis de vallée, comme dans l’oued, avec jardins de part et d’autre et des puits de maraichers qui remontent l’eau à une dizaine de mètres pas plus !

Les Foggaras se trouvent surtout en Algérie, elles captent une nappe et ramènent l’eau par une galerie souterraine. On assiste à une crise de la foggara car elle représente beaucoup de travail et de main d’œuvre. Ainsi des forages ramènent de l’eau pour pouvoir les continuer.

Les oasis alvéoles se trouvent dans l’oued souf. Elles sont aussi en crise et un périmètre irrigué sous forme de cercle les remplacent de plus ne plus.

Les oasis forêts ne demandent pas beaucoup de travail et sont servies par le nomadisme.

Enfin il n’y a pas que des oasis dans le Sahara, on y retrouve une agriculture plus moderne irriguée, sous l’égide de sociétés nationales ou d’Etat comme en Libye avec Kadhafi. Exemple d’Oubari dans le sud libyen, depuis l’effondrement de l’Etat libyen en 2011, il est toujours là.

Il existe aussi des périmètres irrigués en cercle qui font plus de 50 hectares. Ce sont des cultures céréalières sous pivots. Cela épuise très vite la terre aussi.

3/ Le mode d’habiter sédentaire : village, ville

Dans les villes étapes du commerce caravanier au XIXème siècle, les Ksars sont des habitats typiques avec des rues tortueuses et des fortifications. On en retrouve beaucoup de vestiges sur les images satellites.

On assiste à une explosion urbaine à Tripoli, puis Ghadamès, ville caravanière par excellence, avec des quartiers en rivalités. On y retrouve au milieu des marchés et des sources.

Dans la ville de Ghât, le ksar a été ruiné et dépeuplé par les habitants. Dans celle de Djanet du côté algérien, on retrouve une réunion de hameaux le long d’une oasis de gorge. Puis dans la ville d’Iferouāne, dans l’actuel Niger, les habitants se sont installés sur la plus haute montagne de l’Aïr.

Agadez est très connue pour sa mosquée en terre cuite dans le Nord Niger, le marché était au centre.

La ville de Kano est la plus grande ville Touareg aujourd’hui, les caravanes y aboutissaient. Le Palais du sultan y est à la marge par rapport au marché situé au centre.

Comme type d’habitat dans les villages on retrouve également des concessions.

Il y a des villes particulières, nouvelles, créées ex nihilo et pas que coloniales : c’est celles minières, comme Zouérate, très cadrée, avec des Français coopérant, puis des quartiers ouvriers, ceux des ouvriers locaux non qualifiés et tout autour des bidonvilles non planifiés.

C’est la même chose à Arlitt avec les mines d’uranium, on retrouve une ville très planifiée.

Cette ville princière a été construire par le prince Amdjarass alors qu’il n’y passait que 2 semaines par an.

L’Egypte a décidé de créer sa nouvelle capitale à côté du Caire en mode monarchie pétrolière et infrastructures énormes et pas du tout dans l’objectif d’une ville durable.

Beaucoup de villes sahariennes ont des problèmes d’ensablement avec des cordons dunaires qui avancent.

Grand Projet au Sud de l’Egypte, le projet nouvelle vallée pour remplir des lacs et des rivières.

Gated communities dans une ancienne orangerie, char el cheikh dans la péninsule du Sinaï…. Golf, Tunisie, abandonné depuis les terrorismes et les problèmes de sécurité.

4/ Les infrastructures

Les infrastructures de transport aussi sont mangées par l’ensablement, donc il faut construire des palissades pour le contrer. Les infrastructures sont peu développées, et en plus elles sont ensevelies donc cela enclave d’autant plus ces territoires.

Les « frontières no man’s land » sont censés être gérées par la mission des Nations Unis entre la Mauritanie et le Maroc, mais c’est surtout un point de blocage avec une portion de route non goudronnée.

La transsaharienne fait 4800 km.

On trouve aussi quelques rares infrastructures ferroviaires en Mauritanie de Nouadhibou à Zouerate. Un des trains les plus longs du monde. Et un aéroport construit par Kadhafi mais ensablé et abandonné…

6/ Guerre et conflit

AB : L’ancien fort de Madama sert de camps de réfugiés, par exemple pour les Maliens en Mauritanie, à Mbera, avec l’espoir de retourner au Mali, souvent après une déstabilisation.

On assiste des suites de conflits à des incendie de palmeraies dans le nord du Tchad, d’origine criminelle souvent donc.

7/ La fermeture des frontières étatiques

Ce sont le plus souvent des murs de sable qui ferment le tripoint des frontières sahariennes entre l’Algérie, la Tunisie et la Libye.

Les Algériens se barricadent aussi derrière des murs de sable construits en 2018. Ainsi le long de la frontière algérienne au Sahara il y a peu de points de passage dans ce mur de sable. Ce sont des bulldozers qui érigent ce mur, entre l’Algérie au Sud, le Mali et le Niger.

8/ L’exploitation minière industrielle

L’exploitation des ressources sahariennes se concentrent autour du gaz et de l’extraction minière. Arlit est une mine qui ferme,  mais que faire de ses habitants ?

Certains Etats cherchent à développer la manne solaire de ce désert en construisant des centrales solaires également, comme ici au Maroc.

9/ L’exploitation minière artisanale : la ruée vers l’or

La phase 1 de cette exploitation aurifère consiste à la découverte de pépites dans le Sahara perfectionnée par l’utilisation de détecteur de métaux.

Puis dans une phase 2, la mécanisation de l’exploitation arrive très vite pour excaver l’or alluvionnaire sous la forme de grain et de pépite après la découverte de quartz aurifère en filon.

Ces gisements sont orange sur les images satellites. Quand on trouve ce minerai, il faut le traiter, mais le milieu dispose de peu d’eau, qui doit donc être importée…

Tchibarakaten au Niger est la plus grosse mine d’or du Sahara, plus de 40 000 personnes y logent dans un « bidonville champignon » et y travaillent sur 2 filons d’1,5km de long.

Les patrons qui ont trouvé l’or cherchent à mettre des permis pour ne pas que leurs exploitations soient volées et y font des murs de sable pour les baliser. Ces entrepreneurs miniers s’y prennent vite car ils ont peur de vendre à des multinationales étrangères. Presque tout cet or est exporté vers Dubaï puis vers des bijouteries suisses. Le mercure ne capte qu’une partie de l’or, il faut par la suite le traiter au cyanure dans des bassins de décantation. Ce sont des Burkinabais qui pratiquent cette technique très toxique…