Le FIG, dans le cadre du thème « Pouvoir », invite à une rencontre Michaël Pardon, auteur et enseignant et Claude Vautrin, écrivain et journaliste. Un dialogue attendu par un public nombreux venu de bon matin remplir la salle de l’Hôtel de Ville de Saint-Dié.
Les séries, objets-culte
Il faut dire que le sujet, « Comment est représenté le pouvoir dans les séries ? », est devenu tendance depuis l’explosion de la production mondiale de cet objet hybride de la vidéo sphère. Car la série, pas sa capacité de multiplier les récits et de sonder en profondeur chaque personnage – fût-il secondaire, s’apparente à mon sens plus au roman qu’au film.
Cette complexité narrative s’étirant sur plusieurs saisons pour les plus patients ou en Binge-watching pour les plus voraces, a paradoxalement fait son succès populaire, à l’instar des feuilletons des journaux de la Belle Époque.
« Les séries se sont multipliées depuis l’avènement des plateformes de streaming. Elles occupent une place de choix dans notre culture populaire et s’imposent, pour certaines, comme des références absolues. Elles ont bel et bien pris le pouvoir ! 4e de couverture « Le pouvoir dans les séries » l’Etudiant éditions, octobre 2023, 160 p., 14,90 €. ».
Géopolitique et séries, un mariage réussi en classe
Les Clionautes s’en sont emparées dès l’avènement dans les programmes de lycée de l’option HGGSP (Histoire-Géographie, Géopolitique et Sciences Politiques en 1ère et en Terminale). L’évidence de travailler les thèmes de l’option avec la pop culture et entre autres Les séries aux côtés de la SF, de la Fantasy, des Mangas, de la Pop Music… les séries s’imposait.
Saison 1 – Une année en HGGSP (et plus si affinités)
Épisode 1 – Des films, des séries TV : des outils indispensables en HGGSP
Pour analyser les rapports de pouvoir dans les séries, Mickaël Pardon nous propose un choix subjectif de quelques séries-cultes. Sons of Anarchy, Game of Thrones, La Servante Écarlate, Narcos, Vikings : toutes ces séries ont en commun leur volonté de représenter le pouvoir sous diverses formes, et d’engager une véritable réflexion sur son exercice, ses enjeux et ses dérives.
5 séries emblématiques des rapports de pouvoir
Claude Vautrin (CV) : chaque jour, 817 000 séries sont diffusées dans le monde. Pourquoi ce choix de 5 séries ?
Mickaêl Pardon (MP) : j’ai eu carte blanche de ma responsable éditoriale. J’ai donc choisi 5 séries que j’apprécie particulièrement pour la complexité qu’elles donnent du pouvoir et les peurs d’une époque.
Séries vs pouvoir autoritaire
Ce qui m’a conforté dans ces choix, ça a été en 2024 le fait que des adolescents ont été condamnés à 10 ans de travaux forcés en Corée du Nord pour avoir visionné des séries sud-coréennes. Ce qui signifiait clairement pour la dictature Kim une menace pour la cohésion des populations. Car au hard power de la Corée du Nord, répond avec beaucoup d’efficacité le soft power de son voisin du Sud La Corée du Sud exporte avec succès ses séries dans le monde entier (cf. Hunger Games)..
Le futur sera dystopique
Dans The Handmaid’s Tale (« La servante écarlate »), un Etat politico-religieux patriarcal abat la démocratie et soumet les femmes, réduites à enfanter.
Les répliques-cultes des séries s’installent en politique
Stephen King choisit d’interpeller l’opinion publique américaine et mondiale par un “Welcome to the Handmaid’s Tale!” à propos de la fin du droit fédéral à l’avortement avec la fin de la jurisprudence Roscoe / Wade.
Tandis qu’un dirigeant, leader des Etats-Unis, utilise les codes des séries plutôt que les codes diplomatiques : Donald Trump se met en scène en héros de la pop culture. Avec la volonté manifeste de casser les anciennes pratiques pour indiquer qu’il veut clairement entraîner son pays dans une nouvelle ère. La série Games of Thrones devient par son détournement un symbole de reconnaissance du peuple («MAGA ») et de son leader contre les élites.
CV : manifestement, les penseurs politiques du passé inspirent les auteurs des séries, le pouvoir étant intemporel. On pense tout de suite à Hobbes et à son ouvrage-phare, « le Leviathan », écrit en 1661.
Les séries au miroir de la philosophie politique
MP : Dans Sons of Anarchy, qui raconte l’épopée de bikers américains rejetant les lois communes, l’auteur s’est largement inspiré de Hamlet pour son héros, pris entre la fidélité à son père droit et moral et son oncle sans foi ni loi. L’univers carcéral US est présenté dans la série à l’image de la célèbre citation de Hobbes, « l’Homme est un loup pour l’Homme ». Vision sombre mais réaliste, à laquelle l’auteur de la dérive adhère. L’ouvrage de Hobbes est contemporain de la 1ère Révolution anglaise, période troublée qui voit le roi Charles Ier vaincu par l’armée du Parlement et condamné à mort. La postérité des Lumières n’a pas été tendre pour Hobbes, détesté par JJ Rousseau.
CV : on a aussi Hannah Arendt « Sur la violence » (1972)
MP : il y a aussi un double discours systématique des pouvoirs totalitaires. On impose un langage et on abolit l’ancien (le démocratique). Dans 1984, de George Orwell, « Grand Frère vous regarde » (Big Brother is watching you) : « la démocratie, c’est la dictature ; la paix, c’est la guerre ; la liberté, c’est la servitude ; l’ignorance, c’est la puissance »
CV : notre monde pourrait-il revenir à l’état de nature ?
Vers des mondes apocalyptiques
MP : la question environnementale s’est largement invitée dans les séries. On y retrouve les grandes peurs apocalyptiques : peurs d’un virus mortel ou d’une catastrophe technologique qui mettrait fin à l’humanité ou laisseraient les survivants dans un monde de « tous contre tous ».
Telle la peur des dégradations environnementales irréversibles. Dans « La servante écarlate » l’État totalitaire a succédé à une catastrophe nucléaire On signalera dans la même veine l’excellente série Fallout.. Les femmes récalcitrantes à la maternité obligatoire sont envoyées « nettoyer » les zones contaminées pour y mourir.
Dans The Walking Dead, La série commence après les ravages d’une apocalypse causée par un virus transformant les humains infectés en zombies Voir également The Last of Us. Après qu’un champignon a contaminé et dévoré ou réduit en zombie une grande partie de l’humanité, 2 survivants cheminent dans une Amérique dévastée et rendue à l’état de nature. À noter que ces 2 séries sont tirés de jeux vidéos. La porosité entre ces médias vidéos a suscité maintes analyses passionnantes, mais dont ce n’est pas l’objet ici.. Ces derniers poursuivent sans relâche les derniers êtres humains encore vivants dans le but de les dévorer.
CV : et les liens entre pouvoir et territoires ?
La géographie, ça sert à faire la guerre
MP : on pensera ici à l’apport fondamental de Yves Lacoste sur les enjeux de pouvoirs sur les territoire à différentes échelles. C’est typiquement le cas de Game Of Thrones ou de Yellowstone qui l’a battue en audience aux Etats-Unis. Kevin Costner y joue le rôle d’un fermier qui défend son territoire contre les Indiens, les promoteurs immobiliers, ses concurrents. Tout se joue à l’échelle du Montana et on y note qu’il n’est jamais question de l’Etat fédéral Une série qui colle avec l’Amérique de Trump ?
CV : dans la série Narcos, vous explorez les liens entre fiction et réalité.
Où la frontière entre réalité et fiction se brouille
La série se veut fidèle au parcours de Pablo Escobar, puis au circuit de la cocaine au Mexique. Pourquoi ? Parce que ces personnages de narco-trafiquants sont complexes à saisir : criminel parmi les plus violents, corrompant la police et les politiques au plus haut niveau ; mais aussi héros du petit peuple abandonné du pouvoir. Dans la série, il y des images d’archives qui montrent au grand jour que le PRI Parti issu des protagonistes de l’indépendance du Mexique et longtemps seul parti politique à exercer le pouvoir. a fait un pacte avec les groupes criminels pour se maintenir au pouvoir. La confusion entre le camp du Bien et celui du Mal se brouille. On se demande qui a intérêt vraiment à en finir avec la drogue comme menace existentielle pour la société mexicaine.
Dans Game of Thrones, les marcheurs blancs sont eux aussi la menace existentielle ; or force est de constater que tous les royaumes ne sont pas près à coopérer et s’unir pour la vaincre.
CV : les séries actuelles n’hésitent pas à mettre en avant l’affirmation du pouvoir féminin. Ça change de celles de mon enfance…
L’avènement des femmes de pouvoir dans les séries
MP : dans ces séries anciennes, les femmes étaient des potiches ou des faire-valoir de héros virils. Ça correspondait en grand partie à l’époque.
Ça change complètement avec Games Of Thrones, et Cercei Lanister, symbole féminin du Prince de Machiavel. Elle est la véritable architecte du pouvoir de la famille Lanister alors que la saga se déroule dans un monde médiéval dominé par la chevalerie, essentiellement masculine. L’autre grande figure féminine de la série est Sansa Stark, jeune femme préparée à un rôle de reine faire-valoir au caractère effacé et totalement opposée à la forte personnalité de Cercei. C’est pourtant elle qui à la suite d’épreuves terribles qu’elle saura dépasser devient la dirigeante la plus complète.
CV : pour conclure, un mot sur Dune, votre autre livre ? C’est ce qui vous a intéressé, toujours cette question du pouvoir ?
Dune, ou la géohistoire en saga
MP : le roman, enfin le 1er tome puisqu’il s’agit d’une saga, paraît en 1965. Franck Herbert place la saga dans un futur très lointain On pourrait s’interroger sur le choix d’un futur aussi lointain. À noter que le roman d’Orwell, 1984, a été écrit en 1949… – le XIe millénaire – revenu à un système féodal et interrogeant les rapports pouvoir et religion.
Dans l’adaptation de Denis Villeneuve, le désert est vraiment le territoire par excellence, celui du repli vers la renaissance. On pense à Laurence d’Arabie au XXe, à l’épopée du poivre et du clou de girofle aux XV-XVIe, aux terres rares au XXIe, ces ressources qui structurent tout, de la géohistoire.
CV : il y a enfin, et heureusement, cette note d’optimisme qui parcourt ces récits : dans la réalité comme dans les séries, un pouvoir responsable peut éviter que le pire soit certain.
Questions du public
Q1 : en quoi des séries comme « La fièvre » et « Le baron noir » ont impacté la classe politique française ?
MP : ce sont des séries très proches de la réalité qui montrent des protagonistes toujours sur les marges de la légalité. Au passage, on a ici des illustrations possibles du thème de 1ère sur « S’informer : un regard critique sur les sources et modes de communication ».
Q2 : quelles séries regardent les jeunes au collège ?
Je cloisonne complètement avec mes élèves. J’ai juste appris qu’ils regardaient des séries sud-coréennes. Et les séries que j’aborde dans cette discussion ne sont clairement pas pour les enfants. Ceci dit, GoT, ce n’est pas de la violence gratuite. Celle employée donne du sens, c’est très net pour Sansa Stark.
Pour approfondir :
Guerre cognitive et pop culture – Essai sur la métastratégie des consciences