Le nucléaire et la pop culture, suite et fin de l’aventure. Cet article fait suite à l’épisode 2 que vous trouverez ici : Épisode II – Mad World

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Épisode III – La fin du monde, le trait d’union d’une pop culture par-delà les frontières

 

Si le Japon semble découvrir véritablement avec les attaques de Hiroshima et Nagasaki le concept de fin du monde sans retour possible, force est de constater que cette question dépasse largement dans la culture populaire le seul archipel du Soleil Levant. Ouvrons nos horizons et baladons-nous sur les chemins jouissifs des échanges culturels.

 

Temps Xs

 

Pour les heureux adolescents des années 80, Weird Science ne manquera pas d’arracher quelques sourires. Traduit en français par « Une créature de rêve », ce teen movie explore les expériences informatiques de deux jeunes garçons désireux de créer la femme parfaite … en d’autres termes de créer une bombe[1].

On pourra y trouver un questionnement sur les normes, sur la science mais ce film est clairement fait pour distraire plus que pour poser des questions majeures. Et bien qu’il sera bien question de bombe et de Weird Science dans ces lignes à suivre, c’est un tout autre chemin que nous emprunterons. Avant d’avoir été un film soucieux d’ancrer les questions adolescentes dans la révolution informatique en cours, Weird Science fut à partir de mai 1950 une anthologie bimensuelle de science-fiction. Le principe reposait sur une série de petites histoires de quelques pages traitant de questions scientifiques tournant généralement à la catastrophe, ou d’invasions extraterrestres. Publié par Bill Gaines sous son label EC Comics et édité par Al Feldstein, le titre connut 22 numéros. On y retrouvait des dessinateurs de premier plan tel Frank Frazetta, Harvey Kurtzman ou Jack Olesen pour ne citer qu’eux. Parmi les nombreuses histoires, assez inégales quant à leurs qualités, certaines méritent qu’on s’y attarde de plus près. L’un des axes centraux renvoie à des réflexions autour de fin du monde générées par le nucléaire ; les années 50 marquent, nous l’avons vu, le début d’une course à la bombe H et aux armements nucléaires sous toutes les formes possibles. Les histoires de Weird Tales rendent directement compte de ces essais nucléaires en soulignant les risques de fin du monde.

 

Weird Science – Anthologie éditée chez Akileos depuis 2012

 

Ainsi la nouvelle « Destruction de la Terre » de Bill Gaines et Al Feldstein, disponible dans le tome 1 paru chez Akileos, est sans ambigüité. M.Williams, un savant renommé tente de convaincre les autorités de ne pas effectuer un essai de la nouvelle bombe H. Le scientifique craint que la puissance ne soit trop forte et provoque in fine la destruction de la Terre. Outre les raz de marée générés, l’impact du recul risque de pousser la Terre vers le soleil … Bien entendu, les autorités ne le prennent point au sérieux et, bien entendu, comme l’invite le titre de la nouvelle, la Terre est finalement détruite. Les mêmes auteurs, accompagnés cette fois-ci de Wally Wood évoquent dans « Retour » une exploration menée par des humains ayant dû quitter la Terre après un vaste conflit thermonucléaire. Nous sommes 500 000 ans après les faits et tout a été détruit. Il ne s’agit pas de dévoiler la fin de cette histoire mais, encore une fois, cette nouvelle graphique met en avant le danger représenté par les armes nucléaires et la porte ouverte sur la fin du monde. « Repoussante », tirée du tome 3, reprend les mêmes bases. Le 1er novembre 1952 le premier essai thermonucléaire est à l’origine de la naissance d’un enfant atomique, suivi par d’autre. Les marins ayant assisté à l’explosion dans leurs navires sont contaminés et les auteurs explorent rien de moins que la fin potentielle de l’humanité du fait de mutations génétiques engendrées par les essais nucléaires.

Il est possible d’emprunter des chemins encore plus irradiés dans la série des Atomic War  parus durant la Guerre de Corée[2]. Ces comics explorent les ravagent engendrés par une potentielle Troisième Guerre mondiale.

 

 

Dans ce premier exemplaire paru en novembre 1952, le message est limpide. La fin du monde nucléaire est envisageable mais il existe une porte de sortie. Ainsi, permettre aux USA de développer un arsenal nucléaire encore plus puissant que celui de l’URSS offrirait le bouclier nécessaire à sa sauvegarde … la dissuasion par les Comics ou tout l’art de la propagande négligeant de traiter des dangers liés aux radiations ou aux civils, répondant aux injonctions du Comics Code Authority. Mise en place à partir de 1954, cette instance veille à surveiller ce qui peut être montré aux enfants via les Comics. Une approche à mettre en perspective avec la violence ultérieure du Gen d’Hiroshima ou les critiques françaises et les censures qui suivront via à vis des animes présentés dans le Club Dorothée au cours des années 90. De manière tout à fait limpide cet organe de censure veille à ce que la violence soit réduite à sa plus simple expression, tout juste suggérée à grands coups de texte du type « splash » et autres « booms !!! ». Il n’est pas étonnant de retrouver dès lors des destructions de villes multiples, des immeubles pulvérisés sans trouver chez un  Stan Lee ou Kurt Swann la moindre trace de civil éventré ou de cadavre … Le parallèle est d’ailleurs assez saisissant dans les dernières adaptations cinématographiques des Avengers, expurgés de toute forme de violence réellement démonstrative (Pegi 13 aux USA, tous publics en France, déconseillé aux moins de 12 ans ailleurs). On se demande d’ailleurs bien où sont les millions de cadavres générés par les extinctions de masse et autres champs de batailles citadins où « Thanos » et ses sbires viennent jouer à la faucheuse.

Ces questions liées au public ne sont pas accessoires. Occulter la violence permet de toucher un public plus large. Ceci permet aussi, d’une certaine façon, de minorer certaines questions plus obscures. Pour en revenir aux évolutions de la guerre froide, le nucléaire ne semble petit à petit plus représenter la même peur que la série des Atomic War des années 1950. Que ce soit « Hawkman » ou « The Atom », DC Comics surfe dans les années 1960 sur la vague de pouvoir et de confiance dans l’énergie nucléaire.

 

 

 

The Atom n°12, mai 1964 (couverture de Gil Kane) – DC Comics

Dans la même veine citons « Buck Roger » et son pistolet atomique, modèle U 235 ou U 238, décliné en jouet pour garçons des années d’après guerre.

 

 

 

Cette foi dans la science est avant tout celle d’une foi dans l’humanité, capable de vaincre les pires dangers, de repousser toutes les limites, ce qui colle parfaitement à la mythologie des USA, au mythe de la Frontière. Une approche chère aux Stranges Adventures, toujours chez DC Comics, au cours desquelles les humains, essentiellement masculins, finissent par trouver des solutions aux pires problèmes grâce à leur génie sans faille[3].

 

Stranges Adventures n°132, septembre 1961, Couverture de Murphy Anderson, DC Comics.

 

 

Nous retrouvons donc deux approches ; la première valorisant la course aux armements et à la science, rendue nécessaire par la folie communiste et une autre, beaucoup plus critique, soutenant dans les Weird Science que la fin du monde est proche du fait même des Bombes H et autres arsenaux nucléaires. Dans les deux cas l’atome occupe des pans entiers de la culture Pop et la Science Fiction va même jusqu’à envisager petit à petit la destruction totale de la planète. Perceptible dans « Destruction de la terre » dont il vient d’être question chez Weird Science, la fin du monde devient petit à petit un arc narratif classique. C’est l’époque de nombre de films de qualité très variable mais qui, à l’image du Tueur au cerveau atomique, surfent sur cette vague irradiante[4]. Dans ce cas, un ancien nazi utilise des déchets radioactifs pour mettre sur pied des zombies capables de permettre à un gangster de revenir aux affaires. Le film est loin d’être un chef d’œuvre mais il a le mérite de faire rentrer l’atome jusque chez les bandits classiques, plus habitués aux réflexions sur Al Capone et ses avatars.

 

 

Les adaptations de classiques comme Jules Verne ou Herbert Georges Wells introduisent également la Bombe et la possibilité de destruction totale au cœur des familles. Les années 50 voient Gojira sortir de sa léthargie et partir à la conquête du monde, enfantant même un peu plus tard des copies comme « Kongo » et « Gorgo ». Ces avatars prennent la forme de Comics et de films qui savent puiser dans la culture nippone dès lors que le marché devient juteux[5].

 

Gorgo n°4, 1961, Charlton Comics

 

Pour en revenir aux adaptations de classiques, le 20000 lieues sous les mers de Richard Fleischer[6] évoque la bombe atomique et la folie des expériences scientifiques humaines lorsque « Nemo » fait exploser son île avec une arme mystérieuse pour ne pas laisser ses découvertes être utilisées par les nations pour la guerre. Quant à La machine à explorer le temps de George Pal[7], la trame diffère du roman de Wells avec la séquence où Rod Taylor se retrouve en 1966 à Londres en pleine alerte nucléaire … Cette approche se retrouve chez E.P.Jacobs à grands coups d’Espadon et de machine à voyager dans le temps avec la série des Blake et Mortimer. Si « Francis Blake » est un héros classique dans son costume de membre des services secrets, son acolyte est un physicien nucléaire mondialement reconnu. « Philip Mortimer » illustre la figure de la science positive mais tout au long des aventures, Jacobs ne manque pas de souligner les dangers nucléaires. « L’empire jaune » est celui de la course aux armements et le neuvième album qui paraît dans le Journal de Tintin entre septembre 1960 et novembre 1961, le Piège diabolique, voit « Mortimer » découvrir avec stupeur un futur où une guerre nucléaire a tout ravagé à la fin du XXIè siècle[8].

 

 

Il est vrai que les années 1960 et 1970 offrent aux plus inquiets de quoi trembler. La miniaturisation permet de transporter des armes aux capacités de destructions exponentielles. La « Tsar Bomba » soviétique qui explosa en octobre 1961 de 50 mégatonnes soit plusieurs milliers de fois la puissance délivrée sur Hiroshima, semblait inutilisable dans la perspective d’un conflit car non transportable dans des conditions opérationnelles correctes. Tour à tour Soviétiques et Américains parviennent à faire des sauts qualitatifs dans la miniaturisation et la précision des armes. Le B-52 américain permet, à partir de 1955, de transporter la toute nouvelle « Mark 21 » de 4.5 mégatonnes en plusieurs exemplaires. La « Mark 36 » passe le cap des 9 mégatonnes pour un poids suffisant bas, 17500 livres pour les B52 dont la charge maximale était alors de 25000 livres.

Les sous-marins « Polaris A-1 » offre la possibilité au début des années 1960 de porter le feu nucléaire sous les mers[9]. Entre 1965 et 1973, la précision des ICBM (Intercontinental Ballistic Missiles) passe de 1km à 200m de la cible. D’un point de vue doctrinal les USA (Doctrine Schlesinger) et l’URSS pensent l’utilisation comme possible (surtout du point de vue des Américains comme le montrent les réticences soviétiques après les crises de Cuba, réticences que l’on retrouve dans les écrits du Maréchal Sokolovski dont il a été question par ailleurs).

C’est dans cette vérité tout à fait perceptible que naissent des œuvres majeures de la Science-fiction. La Planète des Singes de Pierre Boulle (1963) et, surtout, les déclinaisons cinématographiques hollywoodiennes montrent clairement que la fin du monde pour l’humanité est totalement envisageable. Cette thématique est explorée sous plusieurs formes selon les œuvres mais reviennent en échos la médiocrité humaine et sa capacité inégalée à pouvoir s’autodétruire, ainsi les discours de l’orang-outang Zaius dans la version de 1968[10]. Il est possible cependant de vivre à nouveau, les singes ayant pris le dessus sur les humains. Un cap est franchi avec Star Wars et Battlestar Galactica. Dans Star Wars épisode IV, Un nouvel espoir sorti en 1977, Georges Lucas pousse la logique à son terme en mettant en scène une arme capable de détruire une planète, « l’Étoile Noire ». C’est ainsi que la planète Alderaan est pulvérisée par l’Empire. A ce stade la sanction est définitive

 

L’influence nucléaire est évidente chez Georges Lucas, ayant entre autres été un fan de « Buck Roger » et de son pistolet atomique dans sa prime jeunesse. Anéantir une planète à grands coups de raids nucléaires c’est aussi le plan des Cylons dans Galactica, la bataille de l’espace de Richard A. Colla sorti chez Universal en 1978 dans la droite ligne du succès du premier Star Wars. À la différence des malheureux habitants d’Alderaan, certains humains parviennent à fuir dans le « Galactica » pour entreprendre une longue quête devant leur permettre, espèrent-ils, de retrouver la Terre et de tout recommencer.

 

Refermer la boîte et rebâtir

 

Les années 1970 et 1980 offrent des évolutions notables. Tout d’abord les échanges culturels sont plus importants. Gojira devenu « Godzilla » était parti à la conquête des USA et du monde occidental dès la fin des années 1950 comme nous l’avons déjà abordé. Il faut cependant attendre véritablement les années de forte croissance et d’expansion économique pour que les cultures Pop se mêlent. La mondialisation s’accélère, entraînant avec elle une acculturation toujours plus grande. Si l’on doit prendre le cas de la France, les années 70 marquent la découverte de Star Wars et de Goldorak et autre Ultraman. La porosité culturelle est évidente et ces héros viennent secouer les certitudes culturelles françaises. La télévision est un média puissant dans cette conquête et cette ouverture culturelle, croissante et enrichissante. Prenons le cas de Capitaine Flam qui arrive sur les écrans français de façon indirecte en 1979 via un reportage chez Roger Gicquel[11], avant que la série ne s’implante pour de bon sur les écrans de TF1 en 1981. Le cas de ce dessin animé est révélateur des évolutions culturelles qui ont suivi l’entrée dans l’âge nucléaire. Tout d’abord Capitaine Flam, Fregolo et Mala ne viennent pas du fond de la nuit mais des romans de Edmond Hamilton parus dans les années 1940[12].

Très vite ces aventures sont déclinées dans des Pulps, ces recueils bon marché clé de voûte de la culture Pop. L’œuvre est déclinée en Comics et assez rapidement le succès grandit. Suivant les G.Is en poste en Europe, on retrouve Captain Future en RFA à la fin des années 1950. La machine s’emballe, les aventures sont traduites et adaptées au Japon dans les années 1960 et, à partir de 1967 sous la forme d’une série, Captain Ultra. Le succès est fulgurant et l’explosion du phénomène Star Wars va pousser la Tôei Animation à développer une franchise animée sous la direction de Tomoharu Katsumata. Il s’agira de Capitaine Flam en France[13].

 

Que retirer de ce rapide exposé des faits. Tout d’abord que la porosité culturelle est totale ; un roman de Pulps américain devenu un Comics à succès. Ces histoires trouvent un écho réel en Suède puis RFA, avant de connaître un immense succès au Japon. Ce dernier fait découvrir à la France un anime qui devient un succès. Entre ces échanges, les histoires ont évolué, « Captain Futur » devient « Capitaine Flam » en empruntant des codes culturels différents. Si les histoires des romans sont reprises pour les épisodes de l’anime, certains ajouts sont perceptibles. « Captain Futur » évolue à l’origine dans un monde qui ne connaît pas le nucléaire, alors que « Capitaine Flam », si. Ainsi dans l’épisode 33 le héros utilise la pile atomique de sa montre pour ouvrir une porte blindée, puis dans l’épisode 43 cette énergie permet de se débarrasser des bêtes féroces de la « Vallée des Champignons ». Dans les deux cas il est intéressant de noter que le nucléaire retrouve une approche positive déjà perceptible dans Astro. Ces histoires, ce qui est un des éléments clés de la culture Pop, empruntent des canaux multiples ; roman dans des revues populaires, Comics, série télévisée, Anime, jouets, revues spécialisées pour enfants et adolescents. Continent américain, Europe, Asie de l’est sont petit à petit touchés. En plusieurs décennies l’œuvre originelle évolue au gréé des contraintes financières, il s’agit tout de même de chercher le succès pour gagner de l’argent, élément qui se retrouve dans l’approche des Gojira puis de Star Wars. Il est cependant évident que les aventures incluent un regard sur leur époque. Ainsi la question du nucléaire apparait donc petit à petit, associée à des approches positives de la science quelques soient les horizons culturels.

Marqué par les catastrophes naturelles majeures, le Japon est par essence la terre de la reconstruction. Ce monde d’après dans les années 1980 emprunte des voies à la fois très japonaises, tout en incluant des influences exogènes très marquées et assumées. Prenons le cas du Akira de Katsuhiro Otomo. Qu’il s’agisse du manga ou de son adaptation cinématographique de 1988, les influences extérieures sont limpides pour qui sait prendre le temps de s’y attarder. Otomo n’a jamais caché son amour de l’Hollywood des années hippies avec ses héros d’un nouveau genre, bien loin des canons positifs à l’image de Butch Cassidy et le kid[14], des fulgurances de Sam Peckinpah comme la Horde sauvage[15] ou encore de Easy Rider[16]. Des héros violents, pas nécessairement compris de leurs entourages, capables des pires excès ; tout ce que l’on va retrouver avec « Tetsuo » et « Kaneda ». Les influences européennes sont aussi évidentes dans les choix graphiques et narratifs, à l’image du clin d’œil à Fritz Lang[17] (le bras métallique de « Rotwang »).

 

Et comment ne pas penser à la « Tyrell Corporation » de Blade Runner[18] dans le bâtiment de l’armée de Neo Tokyo ?

Influences donc, mais centralité pour autant du Japon. C’est là que débute la guerre, c’est là que recommence le monde. C’est ici que la science semble faire des pas de géant. La destruction est réelle, cataclysmique mais respecte l’approche cyclique traditionnelle de la culture nippone pour renaître et se reconstruit sur ses ruines. Une autre vision, une autre œuvre symbolise cette ouverture culturelle tout en sanctuarisant la reconstruction après la catastrophe au Japon. Le scénariste de Hokutu No Ken, Buronson, croise en 1992 la route artistique de Kentaro Miura et de leur collaboration nait Japan[19]. 1992 ce n’est plus la guerre froide ; Japan est en effet un marqueur des évolutions en cours où la guerre atomique ne semble plus d’actualité, ce qui n’empêche pas le danger nucléaire de rester prégnant.

 

Dans cette histoire post apocalyptique un yakuza, « Katsuji Yashima », se rend en Espagne, à Barcelone, pour y retrouver la femme qu’il aime. Cette dernière, journaliste, est là pour couvrir les jeux olympiques. Un séisme frappe Barcelone et plonge les héros dans un vertigineux passé. Barcelone, fondée par les Carthaginois vaincus par les Romains, comme le Japon fut vaincu par les USA. Le tremblement de terre très présent au Japon pousse l’intrigue vers le futur. Or quel est ce monde ? Les héros se retrouvent dans un monde post-apocalyptique dominé par des hordes de motards toutes droit sorties du Mad Max de Miller[20]. La course à l’épuisement des ressources a déréglé le climat et, in fine, le coup de grâce fut donné par des accidents nucléaires comme l’indique le narrateur aux traits fatigués rencontré par le petit groupe. La référence au nucléaire civil nippon est claire et, plus encore, à la catastrophe de Tchernobyl de 1986. Les accidents de centrale nucléaire sont des approches qui se développent petit à petit dans la culture Pop et les œuvre d’anticipation. On pourrait par exemple s’appuyer sur le film La grande menace de Jack Gold sorti en 1978[21] ou  Holocauste 2000  de Alberto de Martino de 1977.

 

Si, dans le cas du premier, le risque nucléaire est perceptible, dans le second, il est la clé de lecture globale de l’œuvre. La fin des temps, l’antéchrist sont incarnés par la course scientifique à l’atome et dans les deux cas les centrales nucléaires poussent l’humanité à sa perte, comme dans le Japan de Buronson et Miura. Ces deux œuvres ne s’interrogent pas vraiment sur l’après, contrairement au travail de Mark Schultz et de son exploration du « Xénozoïque »[22].

Entamées en 1987, ce Comic, malheureusement non achevé, permet de suivre les aventures de « Jack « Cadillac » Tenrec », un mécano dont la tribu vit dans les restes de New York, et « Hannah Dundee » venant d’une autre tribu. Nous sommes au XXVIè siècle et la science a poussé ses investigations trop loin. La boîte de Pandore a libéré sa foule de catastrophes et une fois refermée, laissée l’humanité dans un monde à reconstruire peuplé de dinosaures intelligents. En France, avec une ligne éditoriale révolutionnaire pour l’époque, les « Humanoïdes associés » se sont emparés de ces problématiques avec une richesse foisonnante. La maison d’édition de bandes dessinées fondée en décembre 1974 par Mœbius, Jean-Pierre Dionnet, Philippe Druillet et Bernard Farkas explorent les chemins nucléaires au gré des histoires de leur tout nouveau magazine de SF, « Métal Hurlant ». Le Shelter de Chantal Montellier est de cette vaine, à travers une société postnucléaire où l’on tente de survivre dans un abri tout en glissant progressivement vers le totalitarisme d’un ex directeur de supermarché. Avec « Métal Hurlant » c’est l’avènement en France d’un mouvement de fond dans les traces de Mad Max qui, bien que sorti classé X, ancre la culture Pop pour de bon au pays de l’exception culturelle.

 

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Nous voici parvenu au terme de ce rapide tour d’horizon qui appellera d’autres saisons tant le sujet est immense. La boîte de Pandore se referme donc sur cet atome qui s’est totalement emparé de la culture Pop, pour le meilleur et le pire. Si la Science-fiction reste un terrain de jeu privilégié, il ne faudrait pas occulter une approche plus large. Ainsi même Robert Aldrich, dans son thriller Kiss me deadly  (« En quatrième vitesse » en français) de 1955, use de cette allégorie mythologique à propos d’une femme désireuse d’ouvrir une petite valise porteuse, sans qu’elle le sache, du feu nucléaire.

La peur domine clairement les débats sur le temps long. Même si de nombreuses approches valorisent l’énergie nucléaire, principalement dans les années 50-60, le point cardinal demeure la mise en garde. Qu’elle prenne appui sur les souvenirs et témoignages des survivants japonais ou sur les réflexions des Comics, séries ou cinéma occidentaux, le nucléaire est porteur de malheur et de destruction presque totale. En échos on trouvera la course aux armements, le contexte de guerre froide, la mise en place des centrales nucléaires, les mouvements de contestation des années hippies, les questionnements vis-à-vis des progrès technologiques toujours plus rapides à partir des années 1970. La fin des temps est envisagée et les réponses apportées par la culture Pop ne sont pas vraiment réjouissantes même si demeure ce qui resta enfermé dans la boîte …

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Dossier pédagogique – Peur et espoir autour du Nucléaire

 

La culture Pop comme grille de lecture historique au temps de la guerre froide

 

Dans l’attente des futurs programmes de Lycée, la seule chose acquise est que la période de la guerre froide est traitée au collège en Troisième. Selon toute vraisemblance elle sera traitée en Terminale.

Utiliser la culture Pop de façon rigoureuse nécessite de choisir judicieusement les œuvres, les supports, tant la matière est immense et riche. Ce travail doit s’accompagner, si possible, d’une lecture de travaux universitaires et, surtout, d’une curiosité totale. Les auteurs ont parfois rédigé des biographies riches en enseignement ou, à défaut, on pourra toujours trouver des interviews dans divers médias. Voici une sélection de ressources me semblant les plus adaptées à un travail de fond embrassant ces thématiques. Bien entendu, cette liste devra être complétée plus avant mais il ne s’agit pas ici de tout aborder, simplement d’offrir des pistes que chacun saura méditer.

 

1 – Témoignages

 

*Keiji Nakazawa, J’avais six ans à Hiroshima, Le cherche midi, 1995

*Osamu Tezuka, Ma vie manga, Kana, 2011

Ces deux premiers ouvrages permettent de découvrir de l’intérieur la gestation des œuvres phares que son Gen d’Hiroshima et Astro Boy. Les deux sont relativement cours et se lisent aisément. Ils regorgent d’anecdotes qui permettent de bien comprendre le décalage entre ce qui était attendu par Tezuka et le retour du public vis-à-vis de son Astro. Quant à Nakazawa, sa lecture est indispensable pour mesurer le traumatisme engendré par Hiroshima sur la société nippone. C’est aussi un excellent support pour méditer la question de la Mémoire, les barrières misent en place par les diverses maison d’édition face au propos trop politique de son Gen.

 

*John Hersey, Hiroshima, traduit de l’américain par Georges Belmont et Pascale Haas, Paris, Editions Talandier, 2013 [1946]

Très intéressant pour les témoignages sur les effets de la Bombe. On pourra aisément en extraire des petits textes pour les élèves.

 

2 – Outils de travail

 

*Pierre Pigot, Apocalypse Manga, PUF, 2013

Livre majeur qui, en 250 pages, permet de plonger avec une rare intelligence dans la question de l’apocalypse et plus généralement du soft power à la nippone. C’est dense, érudit, lumineux. Gen d’Hiroshima et Akira sont disséqués sous toutes les coutures. Un livre qui devrait être présent dans tous les CDI.

*Alain Vézina, Godzilla, une métaphore du Japon d’après guerre, Paris, L’Harmattan, 2009

Une perle absolue pour tous les fans de Godzilla. L’analyse est pointue, étayée comme nulle part ailleurs sur ce sujet.

* Sarah Hatchuel, Marie Pruvost-Delaspre, Goldorak : l’aventure continue, Collection Sérial, Presses universitaires François-Rabelais, 2018

Autre livre sur lequel il faut se ruer avec gourmandise. A travers une série d’article pointuscette analyse aux multiples contributions montre combien Goldorak permet de comprendre son époque, d’y trouver des références multiples, jusqu’à Shakespeare.

*Jean-Marie Bouissou, Manga – Histoire et univers de la bande dessinée japonaise (nouvelle édition) Poche – Philippe Picquier, 2013

Un ouvrage plus généraliste mais très complet pour avoir une idée générale du monde des mangas. Très utile pour compléter ses connaissances.

*Marc Duveau, Comics USA, histoire d’une culture populaire, Huginn et Muninn, 2018

Une bible indispensable, un travail colossal pour commencer à appréhender la richesse immense de l’univers des Comics.

*Michel Chion, Les films de science fiction, Cahiers du cinéma – essai, 2008

Livre rare, richement illustré permettant de découvrir et de redécouvrir des perles de ce cinéma de genre, le tout remis en perspective avec justesse. Très utile ici pour ses deux chapitres consacré aux films fondateurs (À l’ombre du champignon : films fondateurs des années 1950) et aux tournants des années 60-70.

Si je devais choisir une seule piste sur internet mon choix serait évident : la géniale chaine Youtube « BiTS, magazine presque culte – ARTE » À consommer sans aucune modération. Pour le reste je renvoie aux quelques références qui accompagnent le texte.

[1] Je n’ai pas été capable de résister …

[2] Il est possible de les consulter sur un site indépendant valorisant les comics rares : https://comicbookplus.com/?dlid=16848

[3] Je ne saurai trop conseiller de visiter.Une mine absolue pour les fans de perles anciennes !

[4] Edward L.Cahn, Le tueur au cerveau atomique (The creature with the atomic brain ), Columbia Pictures, 1955

[5] Cette oeuvre de série Z se trouve encore chez les bonnes adresses !

[6] Richard Fleischer, 20000 sous les mers, Disney, 1954

[7] Georges Pal, La machine à explorer le temps, Warner Bros, 1960

[8] L’œuvre, culte, est disponible chez Dargaud

[9] Ce petit documentaire est constitué d’images d’époque

[10] La planète des singes, Franklin J. Schaffner, Twentieth Century-Fox Film Corporation, 1968

[11] N’ayez pas peur : https://www.ina.fr/video/CAA7900839601/le-mip-tv-video.html

[12] Edmond Hamilton, L’Empereur de l’espace, Le Bélial’, 2017 ((en) The Space Emperor, 1940), trad. Pierre-Paul Durastanti. Voir également le numéro 90 de la génial revue Bifrost chez le même éditeur.

[13] Un immense merci au site français http://www.capitaineflam.free.fr/captainfuture.htm mine absolue sur cette saga.

[14] Butch Cassidy et le kid, George Roy Hill, Fox, 1969

[15] La horde sauvage, Sam Peckinpah, Warner Bros, 1969

[16] Easy Rider, Denis Hopper, Parc Circus, 1969

[17] Fritz Lang, Metropolis, 1927

[18] Blade Runner, Ridley Scott, Warner Bros, 1982

[19] Buronson et Kentaro Miura, Japan, Glénat, 2008

[20] George Miller, Mad Max, American International, 1979

[21] Ce film associe Lino Ventura et Richard Burton et est une adaptation du roman de Peter Van Greenaway, The medusa touch, paru en 1973.

[22] Mark Schultz, Chroniques de l’ère xénozoïque, Akileos, 2006