Cette conférence aborde la thématique des espaces désertiques au Brésil, en distinguant les déserts jaunes semi-arides du Nord-Est, et les déserts verts de l’Amazonie. Cette communication de deux grands spécialistes du Brésil montre comment les hommes s’adaptent, exploitent et aménagent ces territoires. Elle s’inscrit dans la question, « L’Amérique latine », au programme des concours du CAPES et de l’agrégation pour les sessions de 2023 et de 2024.

Intervenants

Hervé Théry est directeur de recherche émérite au CNRS, Centre de recherche et de documentation sur les Amériques (CNRS-Creda) et professeur invité à l’Universidade de São Paulo (USP). Marie-Françoise Fleury est maître de conférences de Géographie à l’Université de Lorraine.

Toutes les illustrations de ce compte rendu sont extraites du diaporama gracieusement partagé par Hervé Théry.

Drapeau national et déserts

En introduction, Hervé Théry montre le drapeau brésilien dont les couleurs renvoient aux déserts.

Le fond vert fait référence à l’Amazonie. Le fond jaune correspond aux déserts semi-arides, de type sahélien.

Les déserts jaunes (Hervé Théry)

 

Les déserts jaunes, semi-arides, se localisent dans la région du Nord-Est, plus précisément dans le Sertão. Ils sont liés au déplacement de l’anticyclone de Sainte-Hélène. Les centres de hautes pressions se déplacent sur le Brésil et bloquent les précipitations. Les zones littorales sont moins touchées en raison des alizés. Ces régions particulièrement arides connaissent d’année en année une grande variabilité des précipitations. C’est le milieu de la Caatinga, la forêt blanche, très sèche, composée notamment de cactus. Les photos présentent différentes variétés de cactus : le cactus de favela, le mandacaru (photo ci-dessus, en bas à droite)…

Le Nord-Est a été la première région occupée et active au XVIe siècle avec la culture de canne à sucre. L’intérieur se démarque par des régions semi-arides, partagées entre un grand élevage extensif et la présence de petits paysans qui se glissent dans les interstices.

Les paysans sont obligés de protéger leur culture avec des barrières de branches pour empêcher les animaux de manger les cultures.

Les conditions agronomiques sont donc difficiles, comme le montre la photo de l’agriculteur dans son champ de maïs après la récolte. L’espacement des pieds et la nature du sol traduisent les difficultés.

La photo ci-dessus montre un point d’eau en saison sèche, délimité par des barbelés afin que les deux propriétés accèdent à ce qu’il reste de ressources en eau. La pire sécheresse remonte à 1877-1879, aggravée par la guerre de Sécession. Pratiquement tout le bétail est mort (500 000 bêtes) dans cette région d’élevage très extensif. Le coton n’arrivait plus en Grande-Bretagne pour alimenter les industries de Liverpool et de Manchester. On assiste alors à un boom de cette culture dans cette région (Sertão) jusque-là inoccupée.

Compte tenu des aléas de ce milieu, il arrive qu’aujourd’hui on distribue de l’eau potable par camion ou par citerne, quand le besoin s’en fait sentir.

Dans le même temps, on a installé des paraboles pour avoir accès au satellite, à la communication. Ainsi l’eau et la connexion permettent le maintien des populations dans ces régions.

Un arbre, l’umbu, permet de donner du fourrage aux bêtes à la saison sèche, car il fleurit à contre saison. Il donne quelques fruits. Sur les racines se développent des tubercules. Un agronome a remarqué que, dans l’endroit où l’on garde les chèvres (avec leurs déjections), les pousses sont plus nombreuses.

La construction de deux grands canaux devrait permettre la distribution de l’eau du rio São Francisco dans la partie la plus sèche, à destination surtout des espaces urbains. Ce projet ancien a réellement débuté sous la présidence de Lula.

Au bord du São Francisco, entre la frontière de l’État de Bahia et de l’État du Pernambouc, dans ce « polygone de la sécheresse », autour de cette ville double, se sont développés des grands périmètres irrigués et modernisés. Des habitants ont été expulsés, afin de pratiquer un système intensif de plantation (champs irrigués sous rampe à pivot). Ce paysage reflète bien une agriculture mondialisée où sont exportées les mangues.

De grands domaines viticoles sont apparus au bord du São Francisco. Les deux parcelles photographiées montrent l’organisation par rotation des récoltes dans cette exploitation, grâce à l’irrigation. On réalise 5 récoltes de raisin en 2 ans.
Pour aller plus loin sur cet exemple :
Un grand domaine viticole au cœur du « polygone de la sécheresse »

Les déserts verts (Marie-Françoise Fleury)

Ce Brésil très humide, caractéristique d’un climat équatorial, enregistre des précipitations intenses (plus de 2000 mm). La carte montre bien un désert humain avec des densités comprises entre 0,05 et 5 habitants par km². Pourtant on distingue des villes millionnaires : Manaus avec 2 millions d’habitants, Belém entre 1,5 et 2 millions d’habitants. Un chapelet de villes s’observe aussi, le long des routes construites.

La carte de la répartition de la population met en évidence une vraie opposition entre une zone littorale peuplée et l’intérieur presque vide. Cependant, ce dernier se peuple grâce aux routes qui jouent un rôle structurant. On assiste à la colonisation et à l’anthropisation de l’Amazonie. Désormais on constate une forêt anthropisée et urbanisée. Les urbains sont plus nombreux que les ruraux, en raison de cette répartition de la population le long des axes routiers.

Le bassin de l’Amazone représente 6,4 millions de km².

L’Amazonie est majoritairement localisée au Brésil (62 %).

Plusieurs routes pour « anthropiser » l’Amazonie sont à remarquer : la BR 230 transamazonienne longue de 4 200 km, la BR 364 qui va de Cuiabá à Porto Vehlo, la BR 163 de Cuiabá à Santarém, et la BR 153 de Belém à Brasilia. Les BR sont des routes nationales gérées par l’État fédéral. Les petits villages qui existaient au fil du fleuve ont connu un déplacement le long de la route.

Les photos ci-dessus rendent compte de ce qu’est une route pénétrante forestière. Elle forme essentiellement un ruban de terre rouge de latérite, qui permet de traverser cette forêt ombrophile, sempervirente.

Il est particulièrement difficile de circuler au moment des grandes pluies. Les bas-côtés peuvent s’effondrer, les routes peuvent être emportées, par ravinement et ruissellement.

La notion d’immensité du territoire se lit sur un panneau indiquant qu’il existe un hôtel à 314 km ! Hervé Théry précise que des camionneurs ont, par la suite, mis le feu à ce pont, car il n’était plus praticable.

Le ruban des villes et de l’activité économique suit ces routes.

On peut mesurer l’étendue de l’anthropisation du Rondônia en comparant la situation en 1984 à celle en 2020. Les lots (de 200 m sur 2 km) sont distribués le long de la route principale et des routes parallèles secondaires, adossés deux à deux, ce qui explique cette forme en « arête de poisson ».
Lors de la distribution des lots, l’Institut National de Colonisation et de Réforme Agraire (INCRA) a imposé l’obligation de laisser la moitié de la parcelle en forêt. Les occupants ont donc défriché progressivement en avançant vers le fond de la parcelle.

La structure zébrée du paysage est la traduction de cette consommation de l’espace, caractérisée par l’alternance de bandes défrichées et de forêts encore intactes.

Les images satellites (1975-2020) de la région autour de la commune de Buritis dans le Rondônia donne à voir l’ampleur du défrichement, au point de ne presque plus distinguer de structures zébrées.

Pour aller plus loin sur cet exemple :
Hervé Théry, « Rondônia : « anthropisation » d’un État amazonien, 1975-2020 », Géoconfluences, septembre 2022.

 

 

Marie-Françoise Fleury a fait sa thèse sur l’État du Pará (Foresterie et développement en Amazonie brésilienne, la filière du bois dans l’État du Pará). La situation dans cet État (route BR 230) est la même que celle du Rondônia. Trois types de colonisation existent : publique, privée, et spontanée (non voulue par le gouvernement).

Avec cette politique de colonisation et d’ouverture de routes, le paysage forestier change. D’immenses clairières s’ouvrent. L’agriculture (soja, poivre…) et l’élevage se développent. Toutefois lorsque l’on s’éloigne beaucoup de la route, la forêt reste intacte, car on est trop loin de l’axe de colonisation. Il subsiste alors des lambeaux de forêt.

La ville de Paragominas (110 000 habitants) souligne une très forte anthropisation. La déforestation le long de la route apparaît nettement. Tous les dix ans, la ville change d’activité : capitale du bœuf gras, capitale du bois, capitale du grain, et enfin capitale du développement durable (!) car on replante…
Ainsi, de très grandes superficies ont été déforestées par une mise en culture ou une mise en élevage.

Jadis capitale du caoutchouc, Manaus est la ville où commence l’Amazone pour les Brésiliens. Le rio Negro et le rio Solimões se rencontrent. Grâce à cette économie prospère, la cité a eu les premiers tramways électriques, l’éclairage au gaz… De cette période fastueuse, il reste l’opéra (1896) qui est aujourd’hui complètement pris dans un vaste espace urbanisé. Une zone franche est apparue, dans le genre maquiladoras à la mexicaine, en important sans taxe des produits venant du monde entier, montés sur place et devenant des produits brésiliens.

On pense que 20 % de l’Amazonie est défrichée. On dénombre 25 000 indiens dits « isolés ».
Il a été choisi de dire « l’Amazonie anthropisée » (transformée par l’action de l’homme), comme l’Institut brésilien de géographie et de statistiques (Instituto Brasileiro de Geografia e Estatística, IBGE), pour ne pas dire dévastée ou développée.

Les vues aériennes de Belém (2 millions d’habitants), à l’embouchure de l’Amazone, montrent l’imbrication de l’eau et de la forêt, mais aussi la verticalité très marquée de cette ville.
Trois types de forêts en Amazonie sont identifiés : la forêt de varzeas (terres inondées sur les bords du fleuve), la forêt de terra firme (de terre ferme), la forêt tropicale submontagnarde.

A une autre échelle, la ville de Paragominas (110 000 habitants) s’est largement urbanisée, pour devenir « la Rolls de l’Amazonie », selon le maire de la ville.
Le nom de cette cité a pour signification : venir dans le Pará quand on vient de l’État du Goiás et de l’État du Minas. Les différentes photos montrent les contrastes socio-spatiaux entre les quartiers populaires et la « vitrine ».
En 30 ans, on est passé de 300 scieries à 11.

On ne doit plus dire forêt vierge, ni forêt primaire. On parle plutôt de forêt ombrophile, sempervirente.

Autrefois, on trouvait des essences de bois blanc, avec lequel on faisait du contre-plaqué. La terre ferme donnait des bois nobles. De nouvelles plantations de parica à Paragominas voit le jour pour produire de la cellulose ou du placage.

En conclusion, Hervé Théry recommande une publication, fruit d’un regroupement de 8 ONG environnementales de 6 pays amazoniens : Amazonia under pressure.

RAISG (Red Amazónica de Información Socioambiental Georreferenciada) prônent la durabilité socio-environnementale de la région. RAISG produit et diffuse des informations statistiques socio-spatiales et des informations socio-environnementales sur l’Amazonie.

En fin de publication, on trouve une carte synthétique des niveaux de dégradation de l’environnement, causée par l’activité humaine (modifications du couvert naturel, perte de ressources naturelles, perte de carbone, surfaces brûlées, déforestation, zones naturelles transformées), dans les aires protégées de l’Amazonie.