Intervenants :

  • François-Xavier FAUVELLE: historien, archéologue spécialiste de l’Afrique et de l’Afrique du Sud. La ligne force de sa bibliographie est l’interrogation par rapport au récit. Raconter en tant qu’historien (Le rhinocéros d’or disponible en poche). Il a réuni 25 auteurs, 600 pages, 50 cartes et passé 3 ans à la réalisation de son ouvrage L’Afrique ancienne, de l’Acacus au Zimbabwe.
  • Julie CLARINI: directrice du Monde idées. Livre de la collection Belin, Mondes Anciens)

Comment a-t-on écrit le récit de l’Afrique ? Aujourd’hui : comment peut-on raconter l’histoire de l’Afrique ? Il faut éviter un double écueil : celui des sources et celui des représentations.

L’idée du livre nait en 2015 à Blois, lors du festival : faire une synthèse sur l’Afrique ancienne. C’est exigeant et volumineux. Pour cela, il était nécessaire de faire appel à une série d’auteurs. L’Afrique, ce n’est qu’un continent géographique mais plusieurs continents d’histoire. Il fallait donc que ce soit un livre collectif.

Il se trouve confronté au défi de la documentation et du récit. Il y a en effet des écrits, des fresques, des objets, des sites archéologiques, des graines, des paysages, … il faut accompagner le lecteur et pas seulement donner à voir.

Retour sur les échanges entre les deux intervenants :

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Julie CLARINI (JC) : cet ouvrage collectif rentre dans la collection mondes anciens. C’est une intrusion dans les habitudes de la collection Belin.

François-Xavier FAUVELLE (FXF) : l’Histoire de l’Afrique ancienne a ses spécialistes. Depuis longtemps, on constate l’absence de l’histoire de l’Afrique dans les conversations sur notre histoire, dans l’histoire du monde interconnecté, dans l’histoire mondiale …

Les sociétés africaines ont toujours été là, les voisines, les rivales et les partenaires des autres sociétés. Quand on enseigne les grandes civilisations, on omet les civilisations africaines (à part Egypte) et ce qu’elles ont à nous dire sur le présent.

L’ouvrage se veut à la fois classique et innovant :

  • Un côté classique : le livre est organisé de façon géographique.
  • Un côté innovant : il fait feu de toute pièce documentaire : écrits mais aussi objets d’art, langues, mots, graines, …il fait appel appel à tous les spécialistes. Ce livre est accessible, mais va demander d’accepter d’être conduit par un historien. Le Paysage est un palimpseste.

JC: François-Xavier FAUVELLE affirme que l’Afrique a une histoire. Et pourtant, dès l’introduction, il prévient que ça va être déroutant. Pour nos cadres historiques … le livre est à l’envers : il finit par les chasseurs cueilleurs.

FXF : le mésolithique, puis le néolithique, puis l’âge du bronze, du cuivre, du fer, les grands empires, les religions monothéistes, le Moyen Age … cet ordre est créé pour des raisons cognitives. Cette histoire nous est familière et se déroule comme un rouleau compresseur.

Chaque phase efface les précédentes. En Afrique, c’est très original, ça ne s’est pas passé comme ça. 

Les sociétés paléolithiques étaient diverses. Le Néolithique était varié en Afrique: il est nécessaire de s’adapter à des environnements très différents. Le « paquet néolithique » peut être transporté d’un bout à l’autre de l’Ancien monde (mouton, vache …) : en Afrique, ce n’est pas possible : les milieux africains sont scandés de profondes césures environnementales : le désert ne se traverse pas avec des vaches. Dans le haut plateau éthiopien, seul le teuf, plante locale, est cultivable.

Cela sollicite donc cette inventivité en Afrique et explique aussi la variété sociale, les métallurgies. Les différents  groupes n’ont pas effacé les précédents; ils ont cohabité. C’est la cohabitation des sociétés, des économies, des langues, des formes religieuses, politiques …

JC : Pourquoi avoir mis à la fin des chasseurs cueilleurs : cheminement ?

FXF : l’architecture du livre est pensée. La première partie fait 350 pages. Elle visite les grandes formations culturelles, politiques. Le royaume de Méroé, la Nubie chrétienne du Moyen Age, le royaume du Mali au XIVème siècle … 

Mais cette frise chronologique n’a pas effacé devant elle les autres sociétés. A côté de tous ces grands noms de pays qui ont attiré l’attention des voyageurs;et des archéologues, il y a toujours eu des transhumants, des chasseurs cueilleurs. Ce ne sont pas des reliques du passé : ils ont adapté leur savoir-faire, leur technique. (Ceux qui avaient l’habitude de débiter de l’obsidienne débitent du verre).

La chronologie est familière, mais il faut remettre aussi des gens qu’on aurait tendance à oublier. Ils ont su renouveler leur contrat social avec leurs voisins, par exemple dans le cas des Pygmées.

JC: Ce qui est fascinant dans l’ouvrage, c’est que rien n’est éludé : on mentionne aussi comment on travaille pour étudier. On n’omet pas non plus les représentations. La question des représentations y est très forte. 

FXF: On ne conteste pas l’ancienneté de l’Afrique (« berceau de l’Humanité »). Mais on ne conçoit pas l’Afrique comme une terre d’invention (par exemple, on ne conçoit pas que l’agriculture soit inventée en Afrique, mais au Moyen-Orient). 

Les Historiens de l’Afrique sont toujours obligés de dire comment ils savent ce qu’ils savent. Et pourquoi ils écartent certains documents.

Par exemple, les objets d’art : on pourrait croire qu’il est facile d’en étudier au musée en tant que spécialiste. Mais l’essentiel de ces objets sont des faux ou des objets pillés.

Le livre est doublement déroutant. On n’y trouve pas tout ce qu’on trouve dans les beaux livres d’Histoire. Mais on y trouvera des objets qu’on n’a pas l’habitude de considérer comme des objets d’histoire.

JC: Il y a eu plusieurs civilisations de l’écrit en Afrique. Beaucoup sont des textes sacrés. En plus, il y a des sources orales. Le problème est que la chronologie fait défaut.

FXF: il y a la représentation et les filtres. 

L’Afrique est plusieurs fois le berceau de l’humanité (Hominidés ; homme moderne …). On créé un nouveau filtre. A partir de là, on laisse supposer que toutes les choses intéressantes se sont passés ailleurs qu’en Afrique. Il est intéressant de revenir sur ces 20 000 ans pour percer ce voile qu’on a créé.

Certains préjugés supposent que « L’Afrique n’a pas d’histoire », qu’elle « n’a pas d’écrit » : mais si, elle en a! Il existe une variété de systèmes d’écriture. Mais comme dans toutes les sociétés où on développe l’écrit, il reste très rare (sauf Ethiopie médiévale).

JC : chaque auteur fait cela, montre les filtres qu’il utilise. Et il ne dit pas seulement voilà ce que je sais. Quel est le nombre de spécialités dans cet ouvrage ? (ethnoarchéologie, linguistique, génétique, botanique, …)

FXF : les historiens ont tendance à être raides. Mais l’histoire de l’Afrique exige de la souplesse, consistant à assembler des fragments sans tricher. Il faut de la pluridisciplinarité : plusieurs spécialités. Le seul spécialiste de tel domaine a une nationalité, celui d’un autre domaine une autre … il faut s’entourer du ou de la spécialiste de la question. Il s’agit de Découvrir : c’est un mot romantique. La pluridisciplinarité sur le terrain va de pair avec l’amitié. Il faut reconnaitre les compétences réelles et limitées de chacun. 

JC : Il n’est pas possible de découper, de donner des grands jalons en Afrique comme pour l’Europe. En Egypte, on s’arabise plus qu’on ne s’islamise. Pour les Berbères, c’est le contraire.

FXF : l’islam en Afrique est un phénomène ancien qui date du VIIème siècle. L’islam a poussé à construire des villes, puis des mosquées. On le voit grâce aux géographes ou voyageurs arabes et à l’archéologie.

On a tendance à croire que l’arabisation et l’islamisation sont très différentesk, ne vont pas ensemble. L’Afrique subsaharienne a adopté l’islam. C’est un phénomène très limité dans la société. Elle s’islamise sans s’arabiser : elle ne parle pas l’arabe.

JC : la conquête arabe ouvre un nouveau monde : l’Afrique subsaharienne.

FXF : on a l’intuition de penser que tout a toujours été connecté. Mais la réalité est en fait très différente. En effet, traverser le Sahara ne se faisait pas comme ça (il fallait 60 à 80 jours). Au VIIème siècle, il se passe quelque chose : la mise en route  d’une relation commerciale régulière entre l’Afrique du Nord et l’Afrique subsaharienne.

Les acteurs sont intéressés par cette connexion. Des auteurs disent leur surprise de la connexion avec un autre monde.

Il y a la mise en place d’une logistique considérable du commerce transsaharien : cela suppose la création de puits et d’oasis. En effet, en réalité, le plus souvent, c’est l’homme qui crée l’oasis, avec le système de l’esclavage. Les Oasis sont créés sur les routes de commerce.

Le Sahara est problématique pour l’archéologie : par exemple, un site archéologique a été découvert en 1964 dans le Sahara, c’est le seul. Personne n’a jamais retrouvé le lieu par la suite.

JC : ce sont des récits.

FXF : par exemple, le chapitre de l’arrivée des Portugais au XVème siècle montre que s’ils ont pu arriver et organiser la traite, cela n’aurait pas été possible 100 ans avant. L’idée est qu’il faut arrêter la chronologie sans utiliser la source européenne.  

Ce livre est classique et singulier. Il montre la singularité des sociétés africaines. Il n’ya que quelques dizaines de personnes qui travaillent sur l’Afrique. Aucun Africain n’est spécialiste de l’Afrique.

Questions : 

Quelle est l’influence de l’Inde et de la Chine en Afrique ?

Elle est très importante dans les deux sens, par exemple en ce qui concerne l’agriculture, la circulation des plantes. Il y avait des relations multiples entre les Asies et les Afriques : il y avait de grands circuits commerciaux au Moyen Age. L’Afrique représente un potentiel d’émerveillement important. Il a une grande diversité : l’Afrique est un continent géographique, mais le danger est de l’homogénéiser.