De la légende d’Alexandre le Grand, explorant l’océan dans un sous-marin, aux bathyscaphes modernes utilisés de nos jours par les équipes scientifiques, la découverte des abysses a constitué pour les hommes une ambition savante, politique et même esthétique. Il s’agissait, bien sûr, de mieux connaître la faune et la flore évoluant sous l’eau, de cartographier les océans dans toutes leurs dimensions, mais aussi d’affirmer une puissance, de mettre en scène une domination globale ou encore de faire des fonds marins un nouvel espace d’expansion humaine, réelle ou fantasmée. Les dangers de ce monde inhospitalier, les exploits accomplis par les savants, les militaires et les explorateurs, tout cela contribua à la naissance d’un véritable mythe des abysses, avec ses créatures, ses mondes engloutis, ses combats secrets. Les fonds marins, malgré ou peut-être à cause de la meilleure connaissance qu’on en avait, n’ont cessé de constituer une frontière fascinante pour les hommes ; leur histoire permet aujourd’hui de comprendre les aspirations et les représentations de la société dans laquelle ils prospéraient.
Les mille facettes de ce thème seront ainsi abordées sur le plan des enjeux scientifiques, techniques et politiques, mais aussi de ceux de l’imaginaire, de l’art et de la recherche la plus récente. La table ronde, proposée par le conseil scientifique avec l’Institut national de l’audiovisuel, sera aussi l’occasion de prolonger cette exploration des abysses en images.

Intervenants

Modération : 

Mileva STUPAR, directrice des patrimoines de l’INA. Elle justifie l’intérêt de l’INA car les Abysses ont une part particulière dans les 24 millions d’heures de fonds conservés. D’où l’interrogation sur la permanence de cette fascination. C’est un monde qui est longtemps resté inconnu et inaccessible… ce qui a libéré l’imaginaire.

Participants : 

Jean de Preneuf, spécialiste de l’Histoire navale depuis 1870.

Brigitte Gauvin maitre de conférence à Caen, spécialiste des savoirs sur les espèces nautiques des codirectrice Ichtya

Fleur Hopkins, remplacée par Joel Chandelier, médiéviste de Paris VIII qui commentera les images proposées par cette spécialistes du fantastique et du scientifique au XIXème. 

Un enregistrement de la conférence est disponibles.

Pour commencer, les intervenants mentionnent Le Professeur Picard, qui est un des premiers grand physicien aéronaute et océonaute. Il bat le record d’altitude à 16 000m. Tout en étant le créateur d’un bathyscaphe. Belge, il est sans doute celui qui a inspiré Hergé pour le professeur Tournesol.  On le voit,  l’imaginaire s’est développé dès le XIXème parallèlement vers les abysses comme vers l’espace.  Les sous-marins y ressemblent à des fusées : les hublots sont les mêmes. 

Un monde longtemps méconnu qui laisse la place à l’imaginaire. 

L’imaginaire domine dans les représentations du Moyen-Age des abysses. L’aspect terrifiant des fonds marins remontent aux temps bibliques et l’aventure de Jonas. La bête a toujours deux caractéristiques dans les représentations qui parcourent le Moyen-Age : elle est immenses et ses dents son gigantesques. C’est un double engloutissement. Dans la bête et sous l’eau. La baleine… vient du grec « cracher »… elle peut être tellement grande qu’elle est confondue avec une île… Des hommes accostent et font du feu : ce qui fait plonger la baleine. Pour en savoir plus sur la baleine, ne pas hésiter à lire cet autre compte-rendu . On peut aussi mentionner la sirène. Dans l’antiquité elle est un femme oiseau… Elle évolue au Moyen-Age jusqu’à devenir une femme poisson. Il suffit de lui jeter quelque chose pour l’occuper et passer sans souci. Christophe Colomb jure en avoir vu.

Mais il existe des connaissances sur le monde sous-marin et ses espèces : elles remontent à Aristote. Selon la légende, Alexandre le Grand a tenté les premières exploration. Après la conquête de l’Asie, il aurait voulu partir à la conquête d’autres mondes et notamment les profondeurs, en tout cas selon les biographies romancées qui fleurissent après sa mort. Il demande alors à Aristote de lui fabriquer des tonneaux de verre, étanches et éclairés. Dès le XII° les premières Vie d’Alexandre circulent avec des vers de 12 pieds qu’on appellera l’Alexandrin. La description du « sous-marin » est enthousiaste mais avec peu de détails sur la faune sous-marine. 

Dans des versions postérieure, les auteurs y imagine des espèces terrestres en version sous-marine. Ces transposition du terrestre au marin se retrouvent depuis Pline qui pense que les semences tombent du ciel, ainsi que dans toutes les encyclopédies médiévales : les moines sous-marins (voir illustration) sont des monstres particulièrement redoutables… Ils dansent le long du rivage et quand ils attirent les hommes, ils les amènent dans les profondeurs ! Au XVIème, on trouve même des preuves vivantes des poissons évêques : des raies démembrés et re-assemblées pour être vendues à bon prix. On y décrit aussi des sirènes et des poissons-chevaliers, béliers de mer (l’orque sans doute), chiens de mer (requins), corbeaux de mers (corassin qui coasse quand il vide sa vessie natatoire), lions de mer (otarie), porcs de mer (marsouin), hérissons de mer (oursin), lièvres de mer (aplysie).

Thomas de Cantimpré, dans son livre de la Nature, consacre le livre 6 aux mondes marins. Il identifie 60 monstres et 90 poissons. Ce livre est richement illustré. Mais sur quelle base les illustrateurs ont-ils travaillé ? À partir des représentations terrestres (cf supra), mais aussi à partir de simples détails du texte. Le dragon de mer est un monstre redoutable avec un venin qui fait souffrir quelle que soit la région touchée. Il est donc représenté comme un dragon : en fait… c’est une vive. 

Certains animaux sont réellement identifiés mais leur dangerosité est exagérée : les poulpes agrippent les hommes et les dévorent dans l’eau… Idem pour l’espadon qui fait couler les navires en perçant leur côte. D’autres sont complètement erronées… Aristote avait identifié une espèce qu’on redécouvre grâce aux arabes… Le « Kaab » est une déformation de l’éléphant : il a 5 pied dont un très long qui lui permet de ramasser des objets et de respirer sous l’eau !  

La progressive découverte des mondes sous-marins et des abysses.

Au XVIIIème les encyclopédistes essaient de transmettre le savoir mais en « ayant vu ». Les naturalistes de ce siècle ont le soutien du Roi, notamment de Louis XVI. On dessine ce que l’on voit et on essaie de collecter. La connaissance du monde marin devient plus scientifique : le service hydrographique de la Marine fête ses 300 ans… On essaie de cartographier les espaces côtiers pour éviter les naufrages. L’anglais Forbes lui essaie d’aller plus profond… mais pour lui plus de vie en dessous de 600-700 m : c’est une zone azoïque. 

Le bathyscaphe a progressivement permis de découvrir ce monde. Celui d’Alexandre n’est-il qu’un mythe? Les sources antiques mentionnent de nombreuses opérations sous-marine pour la réfection des coques des bateaux voire pour le sabotage. Une source mentionne un bathyscaphe fonctionnant. Mais il faut attendre le XVIIIème pour que la technique permette l’exploration. En 1775, un appareil respiratoire est proposé au roi pour proposer des « légions nautiques » qui envahiraient l’Angleterre ! Au XIXème se met au point les technique qui permettent de rester plus longtemps sous l’eau. Au XXème, Cousteau et Le Prieur mettent au point le scaphandre autonome. Ce sont des officiers de marine. Ils créent le « club des sous l’eau » et plongent dans le bassin du Trocadéro. Le monde du Silence révèle cet univers au grand jour. Il est palme d’or en 1956. Cousteau envisage un nouvel engin sous-marin en forme de soucoupe volante. 

C’est l’installation des câbles sous-marins qui pousse les hommes à repousser les limites de ce monde inconnu. Les Etats-uniens tentent les premiers de cartographier les fonds bathymétriques  mais il faut une collaboration internationale dans laquelle les militaires ont un grande part pour cartographies tous les fonds sous-marins à l’échelle mondiale. En 1850 on pose le premier câble sous-marin entre Calais et Douvres. En 1858 : le câble sous marin entre Terre-neuve et l’Irlande casse : le Challenger est chargé de cartographier les fonds. C’est en 1866 que le premier câble transatlantique est installé de 3 à 5000 m de profondeur. Ces liaisons ont donc provoqué l’exploration systématique des abysses et deviennent de plus en plus un enjeu de puissance. Dans les années 1890, les Etats-Unis coupent les câbles pour isoler Cuba et les Philippines

Pour conclure, les intervenants montrent que l’amélioration des connaissances des abysses n’a pas forcément calmé l’imagination ni assagi les monstres marins !