Les églises, lieux d’images

Conférence. Intervenants : Françoise Beauger-Cornu, professeur au collège Genevoix à Romorantin ; Florence Chaix, IA / IPR à l’Académie d’Orléans-Tour ; Jean-Claude Schmitt, historien et directeur émérite à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales (EHSS).

Les églises médiévales furent, selon les mots de Jean-Claude Schmitt, «saturées d’images». Cette conférence ,qui mêlait intervention scientifique et proposition de transposition pédagogique à l’intention des enseignants, avait pour but de montrer la place de l’image dans l’espace ecclésial et son lien avec les usages liturgiques qui lui donnaient sens.

Des églises saturées d’images ? Un phénomène qui n’allait pas de soi.

Jean-Claude Schmitt prend le temps de rappeler dans le début de son intervention, combien l’interdiction biblique de représenter Dieu et sa Création, a travaillé de l’intérieur le christianisme médiéval. Dans l’Exode 20 : 4, on peut lire : « Tu ne te feras point d’image taillée, de représentation quelconque des choses qui sont en haut dans les cieux, qui sont en bas sur la terre, et qui sont dans les eaux plus bas que la terre. ».

Et Jean-Claude Schmitt d’évoquer la crise iconoclaste byzantine du VIIIe / IXe et ses répercussions en Occident, notamment dans l’Empire carolingien. Charlemagne et les évêques francs adoptant une position intermédiaire entre iconoclastes et iconodules : on ne doit ni adorer, ni détruire. Il n’y a pas de présence de la divinité dans l’image. Celle-ci ne permet donc pas mécaniquement l’accès à Dieu par la prière devant l’icône. Mais l’image peut exister en soi comme fonction décorative ou pédagogique. Cette position modérée, qui va permettre paradoxalement la diffusion des images, évoluera au fil du temps dans le sens d’un culte plus affirmé des images. Jean-Claude Schmitt fait également référence à Saint Bernard et aux moines cisterciens qui militaient pour un dépouillement aniconique dans leurs abbatiales, mais qui étaient  moins intransigeants pour ce qui concerne les églises séculières. Il évoque aussi les hérésies médiévales, Cathares, Vaudois, et jusqu’aux Protestants, qui rejettaient le culte des images.

Cette mise en perspective historique étant faite, Jean-Claude Schmitt nous fait entrer par une série de photographies projetées, dans l’espace ecclésial médiéval roman et gothique

Les lieux privilégiés de l’exposition des images dans les églises.

Selon Jean-Claude Schmitt, les deux lieux privilégiés sont la façade occidentale (le porche) et l’abside orientale (le chœur).

Les façades des édifices, roman comme gothique, étaient polychromes et densément ouvragées. La façade est le visage que l’Église (l’institution) offre au monde séculier. C’est l’entrée, le passage, la transition entre le monde profane et le monde sacré. Et Jean-Claude Schmitt de rappeler que, plus « qu’à enseigner » (la fameuse théorie de la « bible de pierre » chère à Émile Mâle, fortement remise en question aujourd’hui), les façades donnent « à voir », et sont une invite à pénétrer dans le sanctuaire.

Le deuxième lieu privilégié qui bénéficie de la profusion des images est l’abside orientale. C’est par elle et vers elle que le clerc ou le simple fidèle est orienté justement. Vers l’Est, vers Jérusalem, et surtout vers la Lumière, qui est déjà en soi une image, au moins symbolique, de Dieu. Retables peints ou sculptés, chapiteaux historiés, vitraux, fresques, statues, pavements, c’est tout un monde d’images qui s’offre au chrétien. Il faut, selon les mots de Jean-Claude Schmitt « que la maison soit belle ».

Mais cet espace est organisé de façon plus complexe qu’on pourrait le croire aujourd’hui. Les déambulatoires, notamment dans les églises de pèlerinage, sont accessibles aux laïcs, mais le Chœur lui-même, là où se trouve l’autel, la table du sacrifice, est l’espace réservé aux clercs. Et Jean-Claude Schmitt d’insister sur l’importance des jubés, espaces clos, qui séparent deux mondes, qui isolent même le monde des clercs. Souvent d’ailleurs, c’est l’intérieur du jubé, les stalles du chœur qui sont les plus décorées. Comme si les images ,ici, s’adressaient en priorité aux clercs.

Les images spécifiquement cultuelles : statues, retables, et crucifix.

Majesté de sainte Foy de Conques (Xe). Statue-reliquaire.

Passé le temps des hésitations quant au statut de l’image, soupçonnée de favoriser l’idolâtrie, la représentation figurée se répand partout dans les églises à partir du XIe siècle. L’image est là pour être vue, pour décorer la maison de Dieu, pour honorer Dieu lui-même. L’image devient sans plus de réticence l’objet d’un culte. Ainsi les statues, retables et crucifix deviennent l’objet d’adoration puisqu’ils peuvent, selon la théorie du « transitus » porter la prière vers la divinité. On peut, à travers le visible, accéder à l’Invisible. D’où la place particulière de ce type d’images placées dans les endroits les plus sacrés de l’espace ecclésial : derrière l’autel, dans les chapelles, en fait dans tout les espaces de l’église plus particulièrement destinés à la prière.

Jean-Claude Schmitt fait à ce moment de la conférence une petite digression ou plutôt un aparté, concernant la Majesté de sainte Foy de Conques (Xe siècle). La majesté de Sainte Foy est une statue reliquaire qui était exposée dans le chœur de l’abbatiale de Conques. Ses pouvoirs miraculeux, notamment celui de guérir les affections oculaires, la rendirent très populaire et elle fit l’objet de pèlerinages considérables, enrichissant par la-même les moines de l’abbaye. Mais l’objet de la dévotion passa rapidement de la relique contenue dans la statue à la statue elle-même, d’autant qu’on retrouvait sur le tympan de l’église une représentation de la statue descendant de son siège pour serrer la main de Dieu. C’est ce genre de dévotion qui a favorisé l’acceptation théologique du « transitus », certes non pas la présence de la sainte dans la statue, mais un médium permettant à travers la prière d’accéder à la sainte et à son intercession possible auprès de Dieu.

Images profanes et liberté de création

Jean-Claude Schmitt rappelle également la présence de nombreuses images profanes dans les églises. Celles évoquant bien sûr la vie quotidienne, essentiellement à travers les vitraux. Des représentations civiles du pouvoir royal ou impérial. La présence aussi, souvent dans les marges du bâtiment, de « drôleries », de scènes carrément obscènes, objets d’aucune censure. Mais ce point fort intéressant a été trop rapidement évoqué par l’historien par manque de temps.

Un dernier point est également abordé dans les derniers instants de la conférence, celui « d’images en mouvement ». Bien plus qu’aujourd’hui, l’église était un espace parcouru de mouvements, de déplacements. Jeu de la lumière sur les décors selon les moments de la journée. Espace ouvert sans chaises dans la nef qui permettait les parcours liturgiques, Déplacement des objets de culte lors des processions…

Cette conférence de Jean-Claude Schmitt était stimulante même si la prise de notes n’était pas aisée à cause de la concomitance entre la projection des images et le discours. A mon avis aussi, le format hybride de l’intervention posait problème. Une partie de la conférence étant consacrée aux enjeux didactiques et pédagogiques de l’enseignement du fait religieux par deux collègues. Leur présentation était certes du plus grand intérêt, notamment la transposition pédagogique à partir de l’étude des vitraux de la cathédrale de Chartres. Mais cela a considérablement raccourci le temps de parole de l’historien. Je pense qu’à l’avenir, il serait plus profitable de dissocier ces deux types d’intervention.

Richard Andrieux, lycée Lacroix, Narbonne.