Cette rencontre intitulée « La fabrique nazie d’un islam imaginaire » avait pour but d’éclairer les pans d’une histoire mal connue, objet de nombreuses spéculations sur les relations entre les représentants de l’islam et les nazis, leurs buts communs et les actions des soldats musulmans engagés dans la SS. 

Confinement et crise sanitaire oblige, le Mémorial de la Shoah s’est adapté et propose depuis quelques temps une série de conférences et de rencontres en direct via internet.

Eclairer un pan d’histoire mal connue

Ce jeudi 14 janvier 2021, la programmation n’a pas manqué de susciter un réel intérêt auprès du public en organisant une rencontre réunissant David Motadel et Xavier Bougarel, auteurs de deux ouvrages, complémentaires, sur le sujet de la soirée. Nous recommandons leur lecture aux collègues amenés à faire face à des questions concernant la place et le rôle des musulmans durant la Seconde Guerre mondiale pendant leurs cours.

Le hasard a voulu que ces deux études, qui évoquent des sujets voisins, soient parues en même temps et traitent d’un sujet à la fois bien connu mais aussi totalement méconnu … Bien connu dans le sens où tout le monde, ou du moins le public intéressé par la Seconde Guerre mondiale et concerné par cette partie des Balkans a entendu parler de la Waffen-SS Handschar en Bosnie-Herzégovine, mais mal connu dans le sens où personne ne sait exactement ce qu’il s’est passé, même si tout le monde a, au fond, sa petite idée.

Jean-Arnault Dérens rappelle justement que très peu d’historiens s’étaient jusqu’alors plongés dans les archives et avaient véritablement effectué un travail scientifique sur ce sujet comme celui qui a réalisé Xavier Bougarel ainsi que, dans un cadre plus large, David Motadel. Les connaissances restaient encore brèves et ne bénéficiaient pas d’études exhaustives remettant en perspective les différents aspects de la question.

Les intervenants

Animée par Jean-Arnault Dérens, historien, rédacteur en chef du Courrier des Balkans, la rencontre est donc l’occasion de revenir, en compagnie de son auteur, sur la publication en 2019La version originale de l’étude, en langue anglaise, remonte à 2014. aux éditions de La Découverte de l’étude de David Motadel intitulée Les Musulmans et la machine de guerre nazie, traduit de l’anglais par Charlotte Nordmann et Marie Hermann, précédé d’une préface de Christian Ingrao.

 

David Motadel est professeur associé en histoire internationale à la London School of Economics and Political Science. Il poursuit actuellement ses travaux sur la Seconde Guerre mondiale tout en collaborant régulièrement à de très nombreuses publications anglophones, académiques ou plus généralistes comme le New York Times, The Guardian ou la New York Review of books.

 

Xavier Bougarel est quant à lui chercheur au Centre d’études turques, ottomanes, balkaniques et centrasiatiques (CETOBAC, Paris), il est un spécialiste des guerres et des après-guerres yougoslaves, de l’islam des Balkans et de la Seconde Guerre mondiale en Europe du sud-est. En 2020, il a récemment publié La Division Handschar. Waffen SS de Bosnie 1943-1945 aux éditions Passés/ Composés.

 

Deux échelles de compréhension

La rencontre de ce jeudi soir se proposait donc de revenir et de jouer sur deux échelles : tout d’abord une échelle large, celle de la période globale de la Seconde Guerre mondiale avec David Motadel, puis une échelle plus resserrée et centrée sur la région des Balkans et de la Bosnie-Herzégovine avec Xavier Bougarel.

Une échelle large, l’ensemble de la 2nde guerre mondiale

David Motadel débute la rencontre en nous exposant un tableau global de la situation. Où les Allemands ont-ils été en contact avec les Musulmans ?

Trouver de nouveaux alliés

D’abord en Afrique du Nord, avec entre autres la Libye contrôlée par l’Italie, mais aussi l’Égypte et la Tunisie, ainsi que les Balkans, c’est-à-dire la Bosnie-Herzégovine, sans oublier l’Albanie … Pour David Motadel ce qui est intéressant est le front de l’Est avec la Crimée, où des Tatars sous domination allemande sont présents. Enfin, le Caucase doit être cité dans la mesure où les nazis ont contrôlé durant un certain temps les Karaïtes. Enfin, vient la Tchétchénie. Mais les Allemands n’ont jamais vraiment pris cette dernière ni Grozny, ils sont restés en bordure de cet espace.

Lorsque l’armée allemande contrôlait ces zones, l’Allemagne nazie a déployé des efforts considérables au niveau des politiques religieuses pour réaliser une alliance avec le monde musulman. Ainsi, leurs prétendus ennemis : les Britanniques, l’Union soviétique et les Juifs. Tous ces efforts impliquaient tous les niveaux du régime bien sûr avec tout d’abord la Wehrmacht et les SS, mais aussi le Ministère des affaires étrangères, de la propagande et des territoires occupés de l’Est.

Plusieurs raisons expliquent cette volonté de s’allier avec les musulmans. La première raison est pragmatique : sur la ligne de front les Allemands sont confrontés à ces derniers. La mise en place d’une telle politique s’avérait nécessaire. En effet, à la fin de l’année 1941, la situation allemande s’est détériorée : les troupes allemandes sont de plus en plus sous pression sur le front de l’Est, ce qui contraint Berlin à tenter de gagner de nouveaux alliés. Les musulmans sont un des aspects de cette politique et une large part de cette recherche s’est concentrée sur le monde arabe.

Les chercheurs se sont essentiellement concentrés sur la collaboration avec le Mufti de Jérusalem Al Husseini, tandis que les rencontres entre les troupes allemandes et les musulmans ordinaires en zone de combat, avec toute leur complexité, sont restées au second plan. Or les troupes allemandes considéraient que l’islam occupait une place majeure du point de vue stratégique.

Afin d’illustrer son propos, David Motadel nous présente quelques photos qui ont servi d’illustrations pour la propagande nazie. Le premier cliché nous montre la rencontre entre soldats et musulmans en Bosnie.

La photo suivante est très symbolique puisqu’elle nous montre une femme voilée sur le pont de Mostar détruit puis reconstruit. Une mosquée est présente en arrière-plan.

Favoriser les pratiques musulmanes

En prime, dès 1941 la Wehrmacht distribue une brochure militaire intitulée der Islam pour informer les troupes afin qu’elles se comportent de manière appropriée avec les populations musulmanes rencontrées.

Cette brochure monte bien comment les Allemands ont tenté de conceptualiser et d’encadrer les relations. Ainsi, les reconstructions de mosquées et de medersas ont été entreprises, tandis que les rituels religieux et les célébrations ont été autorisés.

Le retour de l’abattage rituel, interdit aux Juifs en 33

Les fonctionnaires allemands ont accordé à leurs recrues une grande série de concessions religieuses en prenant en compte, par exemple, le calendrier islamique et les lois religieuses ainsi que l’abattage rituel. Ce dernier est un bon exemple des concessions accordées puisque l’abattage rituel fut interdit en 1933, puis finalement levé en 1941 afin de mettre de permettre aux musulmans qui se battaient aux côtés des Allemands de le pratiquer. Des imams ont aussi joué un rôle important en étant responsables de la prise en charge spirituelle et de l’endoctrinement politique des individus.

Les autorités militaires ont également fait des efforts pour coopter les dignitaires religieux dans les territoires orientaux, les Balkans et l’Afrique du Nord, tandis que des contacts sont noués avec le très controversé directeur de la grande mosquée de Paris, Kaddour Ben Ghabrit.

Le concept de Jihad contre les Juifs

Les propagandistes en Afrique du Nord et dans les Balkans tentent d’utiliser la rhétorique, le vocabulaire et l’iconographie religieuses pour mobiliser les musulmans. Par conséquent les textes sacrés sont politisés, avec en tête le Coran, et tout particulièrement le concept de jihad afin d’instrumentaliser la violence religieuse à des fins politiques.

 Musulmans et nazis dans la SS

De plus, à partir de 1941, la Wehrmacht et les SS recrutent des dizaines de milliers de musulmans dans leurs unités dont des Bosniaques, des Tatars et des musulmans originaires du Caucase et de l’Asie Centrale. Ainsi, des soldats musulmans furent présents à Stalingrad, à Varsovie, à Milan mais aussi à Berlin pour assurer la défense de la ville.

Des motivations autres que religieuses : « sauver sa peau » dans la SS

Quelle fut la part de la religion dans l’engagement des musulmans aux côtés des Nazis ? En réalité, il n’y avait pas de motif religieux pour les rejoindre. Les individus se sont engagés avant tout pour échapper à la famine et aux maladies régnant dans les camps. Ils pensaient que l’uniforme allemand leur permettrait de survivre à la guerre. Dans les régions où les SS sont recrutés parmi la population civile (exemple : dans les Balkans ou en Crimée) beaucoup pensaient que cela permettrait de les protéger des partisans ou des milices par exemple. C’est ainsi qu’à la fin de la guerre, les SS recrutent partout, que ce soient dans les camps de travaux forcés ou dans les camps de concentration, en 1944-1945. Les documents montrent des listes de prisonniers de guerre musulmans présents à Auschwitz entre autres. Les officiers allemands avaient d’ailleurs mis, de manière bureaucratique, la population musulmane dans la catégorie globale « islam » ne faisant pas de distinction entre les diverses pratiques pouvant exister d’une ethnie à l’autre.

Un certain pragmatisme nazi  sur des questions pourtant « raciales »

Deux raisons expliquent cette démarche. D’un côté, ils avaient une idée très particulière de l’islam vu comme source de militantisme et d’autorité. De l’autre, il en ressort que l’avantage d’utiliser la religion au lieu des catégories ethniques permet d’éviter la question des indépendances nationales. Ainsi, dans les Balkans, les Nazis n’avaient pas besoin de traiter des questions liées à l’indépendance des Bosniaques par exemple. C’était en plus, une concession et un outil de propagande facile pour s’adresser à une population très hétérogène car cela leur permettait de concevoir des politiques qui étaient cohérentes dans toute la région.

Concernant la question raciale, les Allemands ont fait preuve d’un grand pragmatisme : les turcs iraniens et arabes non juifs avaient été exemptés de toute discrimination raciale dans les années 30 donc, suite à des interventions diplomatiques des gouvernements de Téhéran d’Ankara et du Caire. Durant la guerre ce pragmatisme est aussi de mise : les musulmans devaient être traités comme des alliés.

Les musulmans (circoncis), d’abord massivement abattus à l’Est

Cette politique n’était pourtant pas simple à mettre en place sur le terrain. En effet, les soldats se sont retrouvés face à des populations très diversifiés avec des musulmans certes mais aussi des roms, des juifs convertis à l’islam …. Par conséquent, l’engagement de l’Allemagne vis-à-vis de l’islam a donc été plus complexe que l’on ne pense.

Dès les premiers mois de Barbarossa, les SS ont exécuté des milliers de prisonniers de guerre musulmans au motif que leur circoncision signifiait qu’ils étaient juifs. Après une réunion entre la Wermacht et le Ministère des territoires occupés de l’est, un colonel a une violente altercation avec le chef de la Gestapo Heinrich Müller concernant l’exécution par « traitement spécial » de milliers de musulmans qui avaient été pris pour des juifs. Müller a reconnu que les SS avaient en effet commis une erreur tout en signalant que c’était la première fois qu’il entendait dire que des musulmans était eux aussi circoncis. Par la suite, le chef de l’office central de la sécurité du Reich envoie une directive aux directeurs de brigade d’être plus prudents en expliquant que la circoncision n’est pas une preuve suffisante de l’ascendance juive.

L’imbroglio des minorités caucasiennes pour les nazis

Le second exemple se situe au sud de l’URSS où les escadrons de la mort avaient des difficultés à distinguer les musulmans des juifs. Lorsque les Einsatzgruppen ont commencé à exterminer les populations juives du Caucase et de la Crimée, ils se sont heurtés à une situation particulière. En effet, trois communautés juives vivaient depuis longtemps à proximité immédiate de populations musulmanes et étaient influencées par l’islam : les Karaïtes et les Krymtchaks en Crimée, ainsi que les « juifs des montagnes », les TatsTats ou tates selon l’orthographe. situés au nord du Caucase.

Or, en Crimée les officiers SS ont été surpris lorsqu’ils ont rencontré des juifs karaïtes parlant turc.

A la suite d’une réunion avec Otto Ohlendorf chef du  l’Einsatzgruppe D en décembre 1941, deux officiers de la Wermacht ont remarqué qu’il serait intéressant de noter  qu’une grande partie des juifs de Crimée est de confession musulmane alors que, dans le même temps, il y avait au Proche Orient des groupes raciaux non sémites qui étrangement avaient adopté la confession juive. Cette confusion parmi les allemands concernant ces minorités est frappante et, à la fin, les Karaïtes classés comme ethniquement turcs sont épargnés alors que les Krymtchaks ont été ethniquement considérés comme étant juifs. De son côté, Walter Gross, qui est à la tête du bureau de la politique raciale du NSDAPDépartement du parti nazi (NSDAP) qui a été fondé pour «unifier et superviser tout le travail d’endoctrinement et de propagande dans le domaine de la population et de la politique raciale», a par ailleurs expliqué que les Karaïtes avaient été épargnés par la politique d’extermination raciale en raison de leur étroite relation avec les tatars musulmans alliés. Au Caucase les représentants des juifs Tats (minorité de 3 à 5000 individus) ont plaidé leur cause auprès des autorités allemandes. Les SS ont commencé à enquêter et se sont rendus sur place. Ils ont participé à des célébrations, se sont renseignés sur les coutumes de la communauté tandis que le obertfuhrer Walther Bierkamp chef de l’Einsatzgruppe s’est rendu personnellement dans un village de juifs des montagnes. Pendant cette visite, les Tats ont été très accueillants et Walther Bierkamp déclare que, outre leur religion ils n’avaient rien en commun avec les juifs. L’influence islamiste était visible car, par exemple, ils pratiquaient la polygamie. Par conséquent il donne l’ordre à ce qu’aucun mal ne soit fait aux Tats et qu’ils ne soient plus appelés « juifs des montagnes » mais simplement « Tats ».

Juifs et Roms se convertissent à l’islam pour échapper aux persécutions

Un autre exemple peut être rappelé dans les Balkans : de nombreux juifs ont tenté de fuir les persécutions en prétendant être des musulmans, certains d’ailleurs se sont convertis officiellement à l’islam.

Pour finir, David aborde la question de l’extermination des roms parmi lesquels on compte des musulmans. En effet, lorsque les Allemands ont commencé à analyser les territoires occupés pour voir où se trouvaient les populations roms, ils ont rencontré de nombreux roms musulmans notamment en Crimée où ils sont majoritaires. Ils s’étaient assimilés aux Tatars qui ont fait preuve d’une grande solidarité avec les représentants musulmans. Ainsi, des pétitions ont été envoyées aux Allemands pour demander la protection des roms musulmans. Et, dans le même ordre d’idée, de nombreux roms musulmans ont prétendu être tatars (avec le soutien de ces derniers) pour échapper à la déportation et donc, à la mort. Lors de la rafle des roms à Simferopol le 13 décembre 1941, certains ont utilisé des symboles religieux, un symbole de l’islam, le drapeau vert, d’autres se sont affirmés turkmènes pour convaincre les Allemands que leur arrestation était une erreur mais … en vain. Ils sont finalement tous tués en tant que roms. Selon les estimations, 30 % d’entre eux ont survécu pendant la guerre.

Pendant son interrogatoire lors du procès de Nuremberg, Ohlendorf a expliqué que la situation était compliquée par le fait qu’un grand nombre de roms et de tatars de Crimée partageaient la même religion c’était une réelle difficulté car certains tziganes, pour ne pas dire tous, étaient en fait musulmans. Pour cette raison, il portait une grande importance à cette question de de ne pas avoir de difficultés avec les Tatares. Par conséquent, des personnes qui connaissaient les lieux et les personnes ont été chargées de ce travail de vérification. La situation fut identique dans les Balkans ou les roms prétendaient être musulmans et ont commencé à porter le voile et le fezCouvre-chef traditionnel masculin en feutre rouge en forme de cône tronqué..

Une réalité historique complexe, inhérente à l’imbrication démographique des Balkans

Pour conclure, David Motadel résume la situation : l’engagement de l’Allemagne nazie avec l’islam durant la Seconde Guerre mondiale est relativement complexe et les politiques nazies envers l’islam tel qu’elle a été élaborée par la bureaucratie nazie à Berlin était souvent en conflit avec la réalité sur le terrain puisque les nazis se sont heurtés à des religions très hétérogènes et des paysages ethniques très différents. L’histoire des musulmans sous la domination nazie pourrait directement s’imbriquer dans celle des juifs et des roms.

Festival de Géopolitique de Grenoble 2019, Alexis Troude

« Les Balkans occidentaux : un horizon euro-atlantique ? »

Que pensait Hitler de cet aspect de la guerre ?

Selon ses propos, prononcés à la fin de la guerre alors qu’il est retranché dans son bunker, les tentatives du troisième Reich pour mobiliser les musulmans ont échoué car ces politiques n’ont pas assez fortes. Il était persuadé que les musulmans auraient pu se battre avec eux et que des mouvements auraient pu être crées notamment en Afrique du Nord. Pour Hitler l’engagement de l’Allemagne nazie avec l’islam n’est pas allé assez loin.

L’échelle balkanique et la Bosnie

David Motadel cède la parole à Xavier Boucarel, pour lequel deux grandes questions structurent les recherches : la première concerne la manière, les conditions et les circonstances dans lesquelles Hitler et les nazis ont décidé de mobiliser les musulmans. La seconde concerne du côté musulman, les logiques d’adhésion et de conviction ainsi que les stratégies pour tenter de s’en sortir dans le contexte oh combien compliqué et dangereux de la Bosnie en guerre.

Le contexte historique concernant la Yougoslavie

Pour débuter, Xavier Boucarel rappelle quelques éléments de contexte concernant la Yougoslavie et la 13ème division SS Handschar. La Seconde Guerre mondiale débute de manière tardive en Yougoslavie en avril 1941, au moment où elle est envahie par les troupes allemandes, italiennes, hongroises et bulgares. Le pays est divisé en 10 zones d’occupation différentes et complexes sur lesquelles nous ne nous attarderons pas. Une seule de ces zones sera ici évoquée : celle de l’État indépendant de Croatie, créée par les nazis et les fascistes italiens.

La politique raciale de l’Etat oustachi

L’État indépendant de Croatie recouvre un territoire correspondant à peu près à la Croatie et la Bosnie-Herzégovine actuelles. Elle est dirigée par les oustachis, le mouvement fasciste croate. Cet État regroupe une population de 5,5 millions de personnes, dont seulement la moitié à peine sont des croates au sens strict du terme c’est-à-dire parlant à l’époque le serbo-croate et étant catholiques. Il est caractérisé par une grande diversité ethnique puisqu’il regroupe également à peu près 800 000 musulmans, de langue serbo-croate, que les oustachis considèrent comme des croates. Mais, ne rentre pas dans ce groupe la minorité serbe, de religion orthodoxe qui compte environ 1,8 millions d’individus, soit environ 25 à 30 % de la population de cet état. Un des buts des oustachis va être d’essayer de se débarrasser de cette minorité serbe. D’autres minorités existent : la minorité allemande (150 000 membres), juive (30 à 35 000 personnes) et roms (20 000 personnes même si leur nombre est difficile à évaluer). Dès avril-mai 1941, les oustachis croates lancent une grande campagne de discrimination contre les Serbes, les juifs et les roms avec l’adoption de lois raciales qui imitent les lois de Nuremberg à partir de juin-juillet 1941 des massacres de populations serbes dans certaines régions, en Herzégovine ou Krajina par exemple sont réalisés par des commandos oustachis. Cela provoque des soulèvements généraux des pop serbes à la campagne.

La résistance serbe

Par conséquent, à partir de l’été 1941 la situation politique et militaire devient plus ou moins incontrôlable pour les oustachis avec 25 à 30 % du territoire de l’État indépendant de Croatie sous contrôle des insurgés serbes qui vont très vite se diviser en deux mouvements de résistance séparée avec :

-d’un côté les partisans dirigés par le parti communiste yougoslave et dont le but est de recréer une nouvelle Yougoslavie sur le modèle de l’union soviétique

– de l’autre, le mouvement des Tchetniks, royalistes des nationalistes serbes qui, veulent restaurer l’ancienne Yougoslavie avec la dynastie serbe des Karađorđević. Ils vont rapidement basculer dans la collaboration, et d’abord avec les Italiens. Puis, elle va s’étendre aux Allemands et aux oustachis. En effet, à partir de 1942-1943, des phénomènes de collaboration locale entre oustachis et Tchetniks sont observables. Ainsi, on constate une situation très mouvante et très complexe où le front et les alliances changent constamment.

La minorité musulmane prise en étau

Dans cette situation-là, les 800 000 musulmans de langue serbo-croate se retrouvent dans une situation très délicate car les Tchetniks, qui veulent se venger des massacres oustachis s’en prennent avant tout à la population musulmane. En effet, après les massacres de serbes par les oustachis, on assiste à des massacres de musulmans par les Tchetniks et l’État oustachi est incapable de protéger les musulmans contre les Tchetniks. Les notables traditionnels, politiques et religieux de la communauté musulmane tentent de détourner cette volonté de vengeance des Tchetniks en adoptant à la fin de l’année 1941 un certain nombre de résolutions condamnant les massacres oustachis contre les serbes, et aussi dans certaines résolutions au moins, la politique des oustachis envers la communauté juive. Mais ces résolutions musulmanes de la fin de l’année 1941, qui sont déjà des résolutions moralement courageuses contre les violences oustachies ne vont pas régler le sort des musulmans de Bosnie-Herzégovine, ni leur faciliter la tâche dans cette guerre aux multiples fronts et aux multiples alliances, et donc à partir de 1942 les notables musulmans de Bosnie Herzégovine vont se mettre à rechercher des armes pour pouvoir s’organiser et organiser leur autodéfense, en particulier face aux Tchetniks.

La convergence nazis-musulmans

On a donc une communauté musulmane qui recherche des armes, pour se protéger, et cette communauté va rencontrer des représentants de la Waffen-SS qui eux, sont à la recherche d’hommes pour augmenter ses effectifs. Donc, nous voyons bien une convergence très pragmatique en des musulmans qui ont désormais proposé mais pas d’armes et des responsables SS qui eux, à l’inverse ont des armes mais manquent d’hommes. Une complémentarité très pragmatique se fait, et c’est autour de cette complémentarité que va naître le projet d’une division musulmane de la Waffen-SS en Bosnie-Herzégovine.

L’idéalisation de l’islam comme religion guerrière

En parallèle, un malentendu idéologique existe car des responsables de la Waffen-SS et en particulier le premier d’entre eux, Heinrich Himmler, ont une certaine fascination pour l’islam qu’il considère comme religion guerrièreLe 11 janvier 1944, Himmler s’adresse à la 13e division de volontaires SS, la division «Handschar» «Qu’est-ce qui devrait séparer les Musulmans d’Europe et du monde entier de nous autres Allemands? Nous avons les mêmes objectifs. Il ne peut y avoir de meilleur base à une vie commune que des objectifs et des idéaux communs. En 200 ans, l’Allemagne n’a pas eu le moindre motif de mésentente avec l’Islam […] Aujourd’hui, nous Allemands et vous dans cette division, vous Musulmans, partageons un sentiment commun de gratitude envers Dieu — vous dites Allah, mais c’est la même chose — d’avoir envoyé le Führer aux peuples européens tourmentés, le Führer qui débarassera d’abord l’Europe puis le monde entier des Juifs, ces ennemis de notre Reich qui nous ont volé la victoire en 1918, rendant ainsi vain le sacrifice de deux millions de morts. Ce sont aussi vos ennemis, car le Juif a de tout temps été votre ennemi». Citation tirée du blog «PHDN » de Gilles Karmazyn , beaucoup plus proche de l’idéal national-socialiste que le christianisme pris par les nazis pour une religion de victimes, les chrétiens étant considérés comme des individus qui se laissent facilement marcher dessus et qui se laissent massacrer. Les musulmans font figure de combattants idéaux.

Le ciment commun : l’anticommunisme plutôt que l’antisémitisme

Mais de l’autre côté les musulmans de Bosnie-Herzégovine confondent l’Allemagne nazie avec qui avait été l’empire austro-hongrois à savoir le garant de la paix civile. Par conséquent, cette alliance réunit d’un côté des nazis qui pensent avoir trouvé avec des musulmans le combattant idéal tandis que ces derniers voient dans les nazis les garants de la paix civile. Le seul point de convergence idéologique qui existe finalement entre ces deux groupes, bien plus que l’antisémitisme, est l’anticommunisme, ce qui explique notamment pourquoi les musulmans ne se sont pas tournés vers les partisans pour les protéger par exemple, alors que ces derniers auraient été prêts à le faire. Avant 1941 il faut d’ailleurs noter que l’antisémitisme n’est pas spécialement présent en Bosnie-Herzégovine même s’il y a eu des périodes de tensions entre notables musulmans et notables juifs de SarajevoLa communauté juive en Bosnie-Herzégovine est essentiellement concentrée dans cette ville. dans les années 30, à propos de la question palestinienne et à propos du vote de la communauté juive pour le parti radical serbe. Les notables musulmans reprochent aux juifs leur vote pour un parti serbe et non pour un parti musulman. Mais l’antisémitisme n’est pas fréquent.

La création de la division « Handschar »

C’est dans ce contexte qu’en février 1943 Hitler, qui joue un rôle assez secondaire dans cette histoire, signe un décret créant la 13e division SS destinée à être constituée de musulmans de Bosnie-Herzégovine. Cette 13e division est appelée « Handschar » (qui signifie le poignard) qu’à partir de 1944 mais c’est ce nom spécifique qui reste par la suite connu.

Des volontaires peu nombreux et sans conviction idéologique

Dans un premier temps les Allemands procèdent à un recrutement sur la base du volontariat comme cela et l’habitude dans la Waffen-SS. Mais c’est un échec. D’après les calculs de Xavier Bougarel, ce sont environ 5 à 6000 volontaires qui se manifestent mais ce n’est pas suffisant pour constituer une division qui doit compter au total 20 000 membres. De plus, ces volontaires ont des motivations essentiellement matérielles puisque la Waffen-SS promet à la fois un bon salaire un bon uniforme, une nourriture correcte et copieuse mais aussi et surtout une aide aux familles. Cela attire donc des réfugiés musulmans qui avaient échappé aux massacres tchetniks en particulier en Bosnie orientale et qui voient dans la Waffen-SS la seule source de revenus possibles pour eux. Par conséquent, leur motivation idéologique n’est pas évidente. La question de la nourriture, le fait de manger est primordial pour ces volontaires et cet aspect se retrouve et pèse dans bon nombre de situations dans les Balkans à cette époque.

Des recrutements forcés

Faute de volontaires, les dirigeants de la Waffen-SS recrutent donc dans les rangs de l’armée croate des soldats musulmans et les transfèrent de force. Ainsi, les deux tiers des musulmans (15 000 individus) qui combattent dans la division Handschar sont forcés de le faire, ils ne sont ni volontaires ni fanatiques. Quelques catholiques croates ainsi que quelques albanais musulmans sont aussi intégrés. A l’été 1943, la division est enfin constituée. L’encadrement allemand vient soit du Reich, soit des minorités allemandes de la Yougoslavie. Cette division est envoyée à l’entraînement dans le sud de la France en juillet 1943. Deux mois plus tard éclate à Villefranche-de-Rouergue une mutinerie dans le bataillon du génie de cette division. À la suite de cette mutinerie, les dirigeants de la Waffen-SS décident de transférer la division en Allemagne dans un camp militaire de Silésie afin d’achever sa formation. Mais l’entraînement prend plus de temps que prévu et la division n’est prête qu’en mars 1944.

Elle revient en Bosnie-Herzégovine et s’installe dans le nord-est dans la région de Tuzla où elle est employée pour lutter contre les partisans. Pour cela, elle emploie des méthodes dures et sanguinaires.

Le désarroi musulman face à la nouvelle alliance entre Tchetniks et  nazis

Un des paradoxes de cette histoire et que, pour lutter contre les partisans, les officiers allemands décident de s’allier aux Tchetniks serbes qui, dans les années précédentes ont basculé peu à peu dans la collaboration y compris avec la division Handschar. Par conséquent, en 1943 on est passé d’un projet, porté par des notables musulmans, cherchant à protéger les musulmans des Tchetniks, à un autre projet où les Allemands collaborent avec ces mêmes Tchetniks pour combattre les partisans. Cette situation ne tarde pas à perturber profondément les élites musulmanes de Bosnie Herzégovine, très déçus par l’attitude des officiers de la 13e division. Très vite, des troubles importants s’installent entre ces derniers et les notables musulmans de Bosnie-Herzégovine avec, au milieu, les imams bosniaques recrutés dans la division SS. Ces derniers jouent le rôle d’intermédiaires entre officiers allemands et notables musulmans locaux, et ils doivent gérer ce problème de la collaboration des SS avec les Tchetniks. Cette collaboration est un des facteurs qui explique qu’à l’automne 1944 la division Handschar se décompose largement. En effet, des centaines voire des milliers de membres musulmans de cette division désertent, tandis que des mutineries éclatent. En octobre-novembre 1944, cette division n’est plus que l’ombre d’elle-même. Seul un dernier carré composé de quelques milliers d’Allemands et de musulmans combat en Hongrie contre l’Armée Rouge par exemple et suit le recul de l’armée allemande jusqu’en Autriche. En mai 1945, les restes de la division se rendent aux Britanniques.

Xavier Bougarel aborde dans un second temps deux points majeurs.

Quels rôles ont joué les imams dans la division Handschar ?

Le premier concerne la place de l’islam dans cette division. Lorsque cette division a été mise en place en 1943, un accord important a été passé entre Gottlob Berger, un des dirigeants majeurs de la Waffen SS et le Mufti de Jérusalem, al-Husseini sur la place de l’islam dans la division.

Faire converger islam et national-socialisme…

En théorie, la religion tient une place très importante puisque Berger et al-Husseini veulent faire de cette division l’exemple même de la convergence entre les idées de l’islam d’un côté et celles du national-socialisme de l’autre. C’est d’ailleurs pour cela qu’Handschar fut la plus utilisée par la propagande nazie en tant que vitrine pour le monde musulman. Cela ne sera pas le cas par exemple pour une autre, la division SS Skanderbeg, créée avec des musulmans albanais cette fois, mais où la place de l’islam est quasiment nulle. Cette situation s’explique par le fait que les responsables SS ne perçoivent pas les albanais comme des musulmans mais d’abord comme des tribus.

Par conséquent un rôle très important est théoriquement accordé aux imams au sein de la 13e division. Ils doivent prendre en charge les différents aspects de la vie religieuse (cérémonies, prière du vendredi, jeûne du ramadan, les enterrements des soldats tués …). Mais les imams doivent également jouer un rôle actif dans l’endoctrinement des soldats et dans le rapprochement de l’islam avec l’idéal national-socialiste. Dans la réalité, celle du terrain, on s’aperçoit que les imams ne sont pas vraiment des nazis convaincus. Pour la plupart d’entre eux il est d’ailleurs assez difficile de savoir ce qu’ils pensent exactement. Pour certains, la vaillance militaire et idéologique est sujette à caution. Pour d’autres, à l’inverse, on peut attester de leurs convictions nationales-socialistes.

… mais en n’hésitant pas à s’opposer aux directives des officiers SS

Ces imams ont une position importante : ils sont les intermédiaires entre les troupes musulmanes et les officiers allemands et ils utilisent cette position pour assurer la leur mais, parfois, ils n’hésitent pas aussi à s’opposer aux officiers allemands notamment lorsque ces derniers poursuivent des buts qui ne sont pas ceux des musulmans de Bosnie-Herzégovine. Là encore, la question de la collaboration avec les Tchetniks est importante. Le déplacement de la division de de Bosnie-Herzégovine vers la Hongrie pour combattre l’armée rouge en octobre 1944 est aussi un moment important de rupture entre les officiels et les imams bosniaques. Deux d’entre eux participent aux mutineries de l’automne et sont fusillés par les Allemands. Par conséquent, les imams de la division ne sont pas de simples jouets, ils ont leur propre but, leur propre stratégie ainsi que leurs propres intérêts personnels.

Une pratique religieuse faible

De façon générale si on observe la troupe, on s’aperçoit que la pratique religieuse est relativement faible. Malgré les photos de propagande où l’on nous montre des centaines de soldats alignés faisant la prière, dans la réalité la vie religieuse est plutôt médiocre. Les soldats assistent rarement, ou à contrecœur, à la prière du vendredi, ils consomment la viande de porc qu’on leur sert à la cantine, ils apprécient la goutte d’alcool servie à l’occasion. De même, l’instruction idéologique n’est pas très poussée, mais par rapport à la troupe celle des officiers allemands est certainement plus poussée.

Une faible réceptivité à la propagande antisémite

Par contre dans cet endoctrinement, l’élément central de la socialisation politique des soldats de cette division qui l’atteint sans doute le plus est l’antisémitisme. Si l’on consulte le journal de la division et les discours du commandant et des imams, l’antisémitisme est toujours présent : le juif est toujours l’ennemi, qu’il soit présenté comme capitaliste, un dégénéré ou celui qui manipule les partisans, donc l’antisémitisme. Mais il est très difficile de savoir dans quelle mesure cet antisémitisme proclamé et mis en avant par les Allemands touche des soldats musulmans d’origine rurale et qui n’ont probablement jamais croisé un juif auparavant dans leur vieException faite des musulmans originaires de Sarajevo..

Les crimes de guerre de la division Handschar

Le second point abordé par Xavier Bougarel concerne la question des crimes de guerre. En effet, la division va se distinguer par d’importants massacres commis en Bosnie du nord-est contre des villages serbes essentiellement. La commission pour l’établissement des crimes de guerre qui fonctionne après la guerre estime qu’elle a tué environ 2300 civils, essentiellement serbes. Mais Xavier Bougarel tient à préciser qu’ils n’ont pas été tués parce que serbes, car dans la politique de la division il n’existe pas de politique spécifiquement anti-serbe. Handschar a attaqué des villages serbes avant tout par ce que le mouvement des partisans en 1944 est essentiellement un mouvement serbe, très peu de musulmans et de Croates en font partie et, eux aussi sont massacrés sans distinction.

Une participation à la Shoah marginale

À l’inverse, la division a une place très marginale dans la Shoah pour une raison assez simple : quand la division Handschar revient en Bosnie-Herzégovine en mars 1944, il n’y a quasiment plus de juifs vivant en Bosnie-Herzégovine. Les juifs de l’État indépendant de Croatie ont été déportés en 1942 et 1943 par les oustachis en particulier vers le camp de concentration de Jasenovac où ils ont été exterminés. Par conséquent il ne reste que très peu de juifs en 1944, essentiellement des familles de médecins qui se cachent dans des villages souvent musulmans ou contrôlés par les Partisans, pour échapper aux oustachis et aux Allemands. Mais, en parallèle, ce qui est frappant dans le cas de cette division est la volonté, voire l’obsession des officiers de cette division de traquer ces derniers juifs qui pourtant, ne sont plus un enjeu dans cet État Croate puisque les 30 000 juifs qui y vivaient avant la guerre ont pratiquement tous été exterminés. Les massacres de juifs opérés par la division restent cependant très loin quantitativement de ceux pratiqués par les Einsatzgruppen, leurs victimes se comptant par quelques dizaines et non quelques milliers. Donc ils ne peuvent être pas comparés. Cependant, en Hongrie, les soldats croisent sur leur route les juifs de Hongrie qui eux, sont déportés très tardivement à la fin de l’année 1944. A cette occasion, ils participent effectivement et volontairement à un certain nombre de massacres, notamment en Voïvodine.

Cette division fut le symbole le plus utilisé par les nazis pour convaincre le monde musulman d’une convergence entre l’islam et le national-socialisme, mais l’histoire concrète de cette division est aussi le symbole de l’échec de cette politique musulmane des nazis, de l’échec des nazis à transformer des musulmans en soldats de l’islam tels qu’ils le concevaient, et qui correspondait à leur conception d’un islam imaginaire.

Questions du public

À partir de quelles sources avez-vous travaillé ?

Xavier Bougarel explique qu’il a croisé deux types de sources. Il a naturellement consulté les sources allemandes (les archives militaires, celle de la SS …), mais aussi les sources de l’ex-Yougoslavie situées à Sarajevo, Zagreb, Belgrade ou encore Tusla. Il estime que ce croisement a permis de faire davantage ressortir l’autonomie d’action et les micro-stratégies des populations musulmanes, des imams et des soldats. Ceci lui a notamment permis de retracer certains parcours. Il est à noter que les sources allemandes ne perçoivent peu ou pas tout ce qui se passe dans les populations locales. Beaucoup d’études présentent en général les populations locales comme étant des victimes passives, écrasées par l’occupant. Or Xavier Bougarel estime montrer des populations plutôt actives et beaucoup plus malignes et débrouillardes qu’on ne l’imagine si on se fie uniquement aux sources allemandes. Il a, en plus, réalisé des entretiens avec des vétérans de la division Handschar qui étaient encore vivants au début des années 2000 (mais décédés avant la parution du livre). Cependant il reconnaît que ces entretiens ont eu un intérêt limité.

David Motadel explique de son côté qu’il a travaillé dans plus de 14 pays. Il a lui aussi procédé à des consultations croisées impliquant là aussi les sources allemandes, yougoslaves, il s’est également rendu à Téhéran, il a également consulté les archives américaines, russes … Les documents utilisés sont de nature très différente : rapports, pamphlets, discours, mémorandums, pétitions, ordres militaires, lettres de soldats, documents de propagande … Cette grande variété des sources explique qu’il lui a fallu à peu près 10 ans pour rédiger cet ouvrage.

Comment était reçue la propagande en arabe de radio Berlin dans les pays concernés ?

Selon David Motadel, il est difficile de répondre à cette question car peu de sources permettent d’y répondre. Si les Allemands sont engagés de manière intense dans la propagande, par contre, la réception par les populations musulmanes est difficile à cerner. Néanmoins quelques pistes permettent d’y répondre. Tout d’abord il faut souligner un problème technique qui limite la portée de cette propagande puisque peu d’individus possèdent une radio. Les statistiques montrent qu’en Libye moins de 200 postes radio sont recensés mais ils sont majoritairement détenus par les colons européens. Il faut noter aussi que les retransmissions en arabe sont à l’époque, assurées par un orateur d’origine irakienne qui emploie un langage très vulgaire et très violent. Or, des rapports signalent qu’un couple de bourgeois égyptiens s’est déclaré offensé par ce langage. Le document le plus intéressant reste cependant un rapport provenant du consulat de l’ambassade britannique au Caire où une personne compilait toutes les semaines des rapports sur les avis populaires en Égypte. Ces compilations montrent une population plutôt pro-allemande mais l’humeur s’avère parfois changeante en particulier lorsque les Égyptiens ont vu les Allemands se rapprocher. Cette situation crée une inquiétude dans la mesure où ils avaient entendu des récits sur ce qui s’était passé ailleurs, notamment à Varsovie.