Star Wars et la démocratie : quelle étrange association ! Bienvenue sur les chemins cosmiques de la culture Geek. Au cours du précédent épisode qui servait de pilote à cette série, je me suis proposé d’explorer les possibilités d’utiliser la pop culture comme support pédagogique. Cette mise en bouche était assez généraliste ; nous allons maintenant entrer dans le vif du sujet et, pour ce faire, quoi de mieux que de sonder notre bonne vieille démocratie.

La démocratie est à l’honneur dans les programmes d’histoire sous diverses formes, qu’il s’agisse d’Athènes au Ve siècle av JC ou de sa lente construction jusqu’à nos jours. La spécialité de HGGSP nous a offert la possibilité de l’aborder sous l’angle du premier thème annuel intitulé « Comprendre un régime politique : la démocratie ».  Le propos est plus ambitieux que dans les classiques cours d’histoire car il s’agit de croiser différentes grilles d’analyse avec, tout en haut du spectre, la science politique et les aspects géopolitiques.

 

Au firmament des étoiles, la science-fiction vous guidera

 

Utiliser la culture geek me semble une approche assez simple à mettre en place car les pistes sont variées et très nombreuses. Bien entendu on songera assez vite à exploiter la science-fiction ; les textes reconnus de Isaac Asimov ou Georges Orwell constituent des portes d’entrée reconnues, comme l’a fort justement souligné Jutta Weldes : « Science-fiction never really is about the future[1] ». Pour le premier la série Fondation explore entre autres questionnement sur les empires, le temps, le nucléaire et autres joyeusetés, les arcanes de la démocratie et ses travers. Quant au second, il a offert une sorte de modèle absolu de l’antithèse démocratique dans 1984. Assurément la science-fiction est une façon efficace de poser la culture Geek au centre des approches pédagogiques déviantes (pour rester dans la parabole de Orwell). Mais ces auteurs ont beau être reconnus, les universitaires exploitent encore largement l’approche prospectiviste sans vraiment, malheureusement comme le souligne Yannick Rumpala, exploiter la science-fiction[2]. Pourtant, à la suite de ce dernier, si l’on s’en tient à l’actualité, aborder la façon dont Donald Trump utilise la Démocratie au pouvoir peut se faire en utilisant Fondation de Asimov, ainsi que l’a démontré avec brio le blogueur Eclectablog dans un article paru en 2016[3].

Clio-Geek s’inscrit totalement dans cette démarche d’ouverture des chakras interstellaires en exploitant avec rigueur les richesses de la science-fiction. Mais il serait dommage de s’en tenir là et ce ne sont pas les réflexions de Samwell Tarly dans la série Game of Thrones qui vont me démentir :

La science-fiction donc, mais aussi la Fantasy offrent des pistes de réflexion fructueuses sur la Démocratie et ses représentations. Au-delà des genres exploitables, ce sont tout autant les multiples supports Geek à disposition qu’il conviendra d’exploiter. Romans, séries télévisées mais aussi films, comics, mangas, déclinaisons diverses d’une même oeuvre, jeux vidéo, autant de chemins à explorer avec gourmandise pour les esprits curieux.

 

Comment utiliser ces outils ?

 

Je ne perds pas de vue que ces articles visent autant à exploiter la matière Geek qu’à offrir des pistes d’usage réaliste en classe. J’aimerai beaucoup que les élèves lisent Asimov ou Orwell en intégralité, qu’il soit possible d’exploiter des séries entières, de passer des heures à décortiquer des Comics seulement voilà, c’est impossible dans le temps scolaire. Tout au plus pouvons-nous réveiller leur curiosité, ce qui n’est déjà pas si mal. Il faut donc être modeste et se fixer à mon sens des objectifs limités qui pourront donner la satisfaction d’avoir été atteint.  Le risque du « Mission Creep » est réel aussi faut-il aborder ces questions avec méthode, rigueur et surtout modestie. Dans quelques mots cela fera trois fois que je parle de modestie, voilà c’est fait, mais c’est une redondance qui me semble des plus importante. L’ivresse de la réussite d’une séquence pourrait nous faire croire qu’il soit possible d’aller encore plus loin, de pousser notre avantage. Hélas ceci est, avec le recul, fatal car les élèves s’ennuient assez vite si l’on reste trop souvent sur la même approche et, pire, nous sommes obligés de suivre un rythme imposé par les programmes. Le glissement de mission doit donc être évité.

Pour se faire je me propose d’explorer trois déclinaisons limitées : la démocratie dans Star Wars constituera ma première approche. C’est efficace, assez connu des élèves (quoique on a des surprises) et, surtout, Georges Lucas a pensé son préquel comme une grille de lecture des travers de la Démocratie et des dangers qui la guette. Viendront par la suite deux autres articles qui complèteront cette trilogie. Bien entendu, très classiquement je pourrais présenter de quoi je vais parler. Et bien non, je vais me contenter d’un simple teasing afin que les hordes de fan élaborent les plus grandes théories possibles, à la manière des créateurs de la série Lost. Deux mots donc pour la suite : Chaos, arbre.

 

La démocratie et la culture Geek – Part 1 – Star Wars et la démocratie

 

Avant de commencer une amie, Cécile Dunouhaud pour ne pas la citer et vous inciter à lire ses propres contributions pour Clio-Geek dont la dernière, consacrée à Jeanne d’Arc dans les mangas[4] est un petit bijou, m’a fait remarqué qu’il serait nécessaire de poser une rapide justification de l’utilisation de Star Wars. Bien entendu je ne reviendrais pas sur les arguments faisant de la culture Geek un puits sans fond de ressources et de grilles de lectures de notre monde. Cependant, Star Wars semble dépasser le cadre insondable de ce trou qui s’enfonce dans les entrailles de nos imaginaires.

Star Wars est d’abord un film dont les studios ne voulaient pas vraiment malgré les quelques certitudes acquises sur le réalisateur de American Graffiti qui avait déjà prouvé son talent en 1973. Pourtant, même si la Twentieth Century Fox avait finie par signer, cette histoire de vaisseaux et de créatures improbables, sans tête d’affiche connue, semblait, dans l’esprit des fins connaisseurs du cinéma, vouée à disparaître dans les tréfonds des univers des séries B de la SF. Le 8 mars 1983, soit près de 6 ans après la sortie du premier épisode de la série, le IV donc, Ronald Reagan évoquait dans un célèbre discours « l’empire du Mal » avant de lancer les États-Unis dans une course aux armements dans sa fameuse Initiative de Défense Stratégique appelée à devenir le projet « Star Wars ».

Les spécialistes du cinéma avaient raison ; Star Wars est tout sauf un chef d’œuvre du cinéma. Ce n’est pas un film brillant par son esthétique, ses dialogues ciselés, sa photographie génialissime ou sa poésie. Star Wars est autre chose : un univers. C’est une œuvre qui a dépassé son créateur, qui a imposé ses codes, bien au-delà de l’Occident. Les personnages, les dialogues sont devenus des expressions consacrées, reprises aussi bien dans les couches populaires que dans les cercles politiques. Les références dans les autres films, les séries télévisées, les romans, les BD, la publicité se comptent par centaine. Mieux, le monde politique et journalistique use et abuse de cette œuvre comme le montrent ces quelques exemples[5] :

… et pour notre plus grand plaisir suscite d’excellents détournements humoristiques :

Je défends donc l’idée qu’utiliser Star Wars est la porte d’entrée la plus efficace pour explorer la culture Geek avec les élèves. Nous avons à présent du recul et plusieurs décennies d’usages et de détournement du phénomène. L’univers Marvel ou les héros des DC Comics sont bien moins largement entrés dans toutes les strates de la culture au sens le plus large.

Si l’on reprend l’exemple de Reagan, Star Wars semble désignée pour aborder la Guerre Froide et l’histoire récente des États-Unis. C’est ici que les choses vont se compliquer car, derrière les évidentes premières conclusions, j’espère vous montrer qu’il est possible de pousser le curseur un peu plus loin pour montrer aux élèves que, derrière le vernis, les strates de réflexion permettent d’aborder des questions plus ambigües.

Il est possible, en travail préliminaire, de faire le tour des représentations des élèves pour brosser un premier tableau rapide du poids de Star Wars dans la culture populaire. Ceci fait, il est temps d’entrer dans le vif du sujet.

 

Introduction – Georges Lucas et la Démocratie

 

En guise d’amorce je partirai des vidéos du philosophe Raphaël Enthoven et de l’interview de Georges Lucas.

Il est donc clair que Star Wars, comme toute production culturelle, baigne dans le présent de son créateur et qu’il est tout à fait possible d’y lire des préoccupations du temps présent. Dans ce cadre il est intéressant de noter que Georges Lucas assume totalement la grille de lecture politique, à travers une mise en perspective des risques pesant sur la démocratie.

Samuel Labrecque et Isabelle Lacroix poussent encore plus loin l’analyse dans le superbe « D’Asimov à Star Wars, Représentations politiques dans la science-fiction[6] » en prenant appui sur la théorie de l’anacyclose de Polybe[7]. Selon cette approche, une succession de six cycles permettraient de comprendre les basculements politiques de l’histoire de Rome. Adapté à l’univers de Star Wars voici ce que donne cette approche selon Samuel Labrecque et Isabelle Lacroix :

Il est donc possible d’exploiter brièvement ce document, de demander pourquoi pas une petite recherche aux élèves sur l’anacyclose et Polybe ; après tout faire de l’Ancienne n’est jamais perdu.

Ceci fait, voici une proposition de problématique pour cet article :

La démocratie représentée dans Star Wars est-elle une grille de lecture efficace des crises et faiblesses des démocraties occidentales ?

 

I – Les systèmes politiques dans l’univers Star Wars

A – Présentation géographique

On y passe peu de temps, il s’agit simplement de rappeler que l’approche spatiale est importante. Il faut localiser, varier les échelles. Les cartes sont très nombreuses ; selon le temps et l’envie on peut partir de la vidéo de présentation de l’univers ou d’une carte tirée de l’holonet[8].

=> À retenir : univers complexe de près de 400 milliards d’étoiles et 180 milliards de planètes pouvant abriter la vie. La « Galaxie » est divisée en 8 régions : Noyau profond, Noyau galactique, Colonies, Bordure intérieure, Zone d’expansion, Bordure médiane, Bordure extérieure et Bras de Tingel. C’est donc un espace bien plus grand que celui de notre monde actuel et la question des échelles est beaucoup plus riche à explorer ; reste à en questionner la pertinence (point méthode : le regard critique des élèves tu développeras).

On remarquera au passage un pont intéressant avec le thème sur la Frontière qui sait si nous ne nous y retrouverons pas.

 

B – Système politique

Il ne s’agit pas d’entrer dans les détails qui fascinent uniquement les fans. Il convient néanmoins de montrer aux élèves-padawans que cet univers emprunte directement à des représentations classiques des pouvoirs politiques si on s’en tient aux seules deux premières trilogies :

*République galactique avec un fonctionnement onusien dans les épisodes 1, 2 et 3. La bureaucratie dans toute sa splendeur, incapable de gérer des conflits du fait de la corruption ‘une partie du sénat.

*Empire dans les épisodes 4, 5 et 6 : approche classique d’un système proche du totalitarisme.

*Aristocratie des Jedi dans les épisodes 1 à 3

*Oligarchie des organisations commerciales dans les épisodes 1 à 3

*Autres acteurs non étatiques : groupes de pression, lobby, résistance, terroristes, cartels de type mafieux présents dans tous les épisodes.

Pour les fans on trouvera dans une chronologie complète ici, en anglais bien entendu pour pouvoir travailler avec les collègues de langue. « Avec Clio-Geek, des nouveaux collègues en salle des prof tu feras ».

Bilan : les élèves rédigent alors un organigramme ou une synthèse écrite devant montrer que Star Wars permet d’aborder les enjeux de la démocratie occidentale sous un angle pertinent mais qui doit être approfondi pour mieux prendre en compte les multiples facteurs géographiques, historiques, sciences politiques et géopolitiques.

 

II – L’effritement progressif de la démocratie dans les épisodes 1 et 2

 

Je vais commencer par tordre le cou à une idée qui semble évidente pour les journalistes ou intervenants divers qui n’ont pas vraiment étudié la question : NON tous les élèves n’ont pas vu Star Wars. Il faut se méfier du matraquage médiatique. Les épisodes de la première trilogie sont peu vus par les jeunes générations, les épisodes 1 à 3 un peu plus vus, et encore. Ce constat a été établi sur les 8 années de littérature et société (enseignement d’exploration mis en place en 2010 en Seconde), lorsqu’avec mon compère de lettres et Geek comme moi, nous nous sommes rendus compte que nos élèves connaissaient peu le Seigneur des Anneaux, assez peu finalement Star Wars en dehors des pub, dessin animés ou de jeux vidéos. Par exemple, l’année dernière, en septembre 2018, sur les 97 élèves qui faisaient LS, 9 avaient vu tous les Star Wars, 27 les Harry Potter, 2 le Seigneur des Anneaux (sans tenir compte des 3 Bilbo). Bien entendu cette étude a été faite sur un panel limité d’un établissement nécessairement différent des autres. Mais questionnez votre entourage, vos élèves ; vous pourriez être surpris. Pour enfoncer le clou ceci est aussi vrai pour les Harry Potter qui sont très loin d’avoir conquis les élèves depuis la sortie du dernier film (Les reliques de la mort, épisode 2) en … 2011.

Il faut donc se garder de se reposer sur les souvenirs des élèves. Dans cette perspective des extraits des films seront utilisés avec un questionnaire précis, sans espérer nécessairement une remise en perspective dans l’œuvre complète.

 

A – L’éviction de Finis Valorum et la montée du sénateur Palpatine

=> contexte de guerre au sein de la république avec une montée en puissance de la fédération du Commerce qui impose un blocus à la planète Naboo. Palpatine est un sénateur nommé par la reine Padmé Amidala pour représenter les intérêts de Naboo.

Visionnage de l’extrait 1 et questions :

1 – Quelles sont les références dans cette scène à la démocratie représentative ?

*le sénat qui réunit les représentants de chaque planète / système

*prise de parole devant tout le monde, débat, vote

*délégation de pouvoir et séparation : Padmé (qui a été élue) a le pouvoir exécutif, Palpatine la représente dans le lieu où sont votées les résolutions ce qui reprend le mécanisme de l’ONU.

2 – Quel est le problème posé à l’assemblée ?

*Un conflit et une demande d’arbitrage entre une grande puissance, la Fédération du commerce, et Naboo qui est faible et demande assistance (on retrouve donc un principe clé, le droit des plus faibles à être défendus et protégés).

3 – Quelles sont les critiques principales qu’illustre ce sénat démocratique ?

*Palpatine insiste sur les bureaucrates, on voit très clairement la volonté de noyer le conflit sous des procédures de type commission d’enquête (on se rappelle alors de l’ex-Yougoslavie, entre autres) pour gagner du temps.

*Accusation de corruption, Valorum semblant clairement selon Palpatine sous la coupe des crédits de la Fédération du commerce.

4 – Quels sont les acteurs ?

*Représentants / chancelier suprême Valorum / lobby et acteurs non étatiques type Fédération du Commerce.

5 – En quoi sommes-nous encore en démocratie ?

*Procédure de motion de censure contre le chancelier suprême.

 

Second extrait de transition

 

=> Valorum est mis en minorité et écarté du pouvoir au profit de Palpatine qui rallie à lui les petits systèmes. C’est donc démocratiquement et profitant d’une crise globale du système que le Seigneur Sith, ce que personne ne sait alors, arrive aux commandes. Le parallèle avec l’élection de Hitler est total.

 

B – La guerre, le chaos, l’ochlocratie : la voie sécuritaire anti-démocratique pour sauver la démocratie ?

=> contexte : avec l’épisode 2 la Guerre des Clones fait rage. Loin d’avoir renoncé la Fédération du commerce, instrumentalisée par le Seigneur Sith Palpatine qui cache encore sa véritable identité instrumentalise la guerre pour éteindre progressivement la démocratie.

Visionnage de l’extrait 3 et questions :

 

1 – Quel contexte explique la convocation de cette cession extraordinaire ?

*Le chaos ambiant pousse à chercher un homme fort pour résoudre la crise.

2 – Est-on encore dans un processus démocratique ?

*Oui, les pleins pouvoirs sont donnés par le vote, enfin ici une acclamation.

*Mais l’opposition qui n’existe pas montre que le ménage a été fait. On se rapproche alors des pleins pouvoirs pour Hitler dans le contexte de l’incendie du Reichstag ou à la fin de la IIIème République avec les pleins pouvoirs constitués donnés à Pétain le 10 juillet 1940 par l’Assemblée nationale.

3 – Dans quels sens les mesures prises par Palpatine poussent-elles la démocratie vers sa propre destruction ?

*Pleins pouvoirs accordés à un homme qui jure qu’il les rendra, un jour.

*Levée d’une armée de clones et donc début d’une guerre totale qui par définition limite la démocratie.

Le climat de terreur, les attentats (un sosie de Padmé en est la victime), le chaos généré par une guerre de plus en plus dure mobilisant toutes les ressources poussent les différents acteurs politiques, les représentants, sur la voie du discours sécuritaire exacerbé défendu par le nouveau Chancelier suprême. Le fruit est mûr pour tomber et emporter avec lui les derniers espoirs de la démocratie.

 

III – La fin de la démocratie

 

A – La mise en place du système impérial

 

=> contexte : Palpatine finit par jeter son masque et grâce à son nouvel apprenti Sith, Anakin Skywalker devenu Dark Vador, décide de détruire les derniers garants de la République démocratique, les Jedis. Il en profite aussi pour éliminer ses alliés de la Fédération du commerce dont il n’a plus besoin.

Visionnage de l’extrait 4, le dernier, et questions :

1 – Quels sont les derniers artifices utilisés pour faire croire à une démocratie ?

*Le sénat réunit toujours ses représentants

*Prise de parole devant tout le monde

*Utilisation du mot « continuité », on ne serait pas dans une révolution mais une transition

2 – Quel est le projet global du nouveau régime ?

*Ordre, sécurité, stabilité

3 – Quelles sont les réactions de l’assemblée ?

*la foule acclame l’empereur / ochlocratie

*Seule une minorité semble se rendre compte de la fin de la démocratie, Padmé.

 

B – Une grille de lecture qui puise dans le temps long

Avec les élèves, retour sur les différents éléments que Georges Lucas a utilisé :

*Fin de la république romaine et mise en place de l’empire avec Auguste

*Crise des années 30 et arrivée de Hitler

*Post 11 septembre avec limitation des libertés, surveillance, patriot act

*Toutes les démagogies au fil de l’histoire

Ce travail est fait à l’oral et les résultats sont variables selon le niveau de l’auditoire.

Bonus : et si nous allions plus loin ? Les programmes scolaires étant ce qu’ils sont, il ne semble pas possible d’explorer plus avant le contexte de création de Star Wars ; pourtant il y a matière à ouvrir quelques pistes apportant plus de profondeur à nos propres représentations. Pour un européen, les références à Hitler et au nazisme sont évidentes. Pour en rester à la seule question de la démocratie, il peut être intéressant de revenir quelques années en arrière, lorsque Georges Lucas travaillait sur la première trilogie. Il s’agit ici d’exploiter l’oeuvre de J.W. Rinzler, The making of Star Wars, et plus particulièrement le volume consacré au Return of Jedi.

Dans un essai qui se lit avec gourmandise, Thomas Snégaroff propose une retranscription d’une réunion datant de 1981, au cours de laquelle Lucas échange avec le scénariste, Lawrence Kasdan, le réalisateur, Richard Marquand et le producteur, Howard Kazanjian[9]. Le propos est limpide car pour Lucas, Palpatine n’a pas pour modèle Hitler mais :

 « Non, c’était un homme politique et Richard M. Nixon était son nom. Il a subverti le Sénat et a finalement pris le pouvoir, devenant un personnage autoritaire/impérial et il était vraiment mauvais/malveillant. Mais il faisait semblant d’être quelqu’un de bien ».

Nos certitudes volent alors en éclat mais c’est ici que le travail d’historien doit être fait : la première trilogie est née d’une Amérique des années 1970 dans laquelle, pour des raisons aussi complexes que parfois irrationnelles, Nixon représentait le visage d’un mal absolu[10]. Donc la remise en contexte permet d’apporter de nouvelles grilles de lecture pour une œuvre d’abord américaine, née dans un contexte très particulier, à méditer avant d’y coller nos propres représentations.

Je vous renvoie ici à l’excellente conférence du 10è festival de Géopolitique de Grenoble, « Star Wars » le côté obscur de l’Amérique de Thomas Snégaroff, pour pousser plus loin vos propres réflexions.

CONCLUSION

Avec le recul d’une utilisation dans deux classes assez différentes en début d’année scolaire 2019-2020, le bilan est plutôt positif. Les sources sont aisément accessibles via Youtube ou les DVD/Bluray si vous les possédez. Les extraits sont courts et donc tout à fait exploitables en classe. Les élèves ont été particulièrement sensibles aux arguments avancés en liminaire par Georges Lucas, faisant de son travail de divertissement un potentiel instrument de réflexion. Au rayon des écueils reste la méconnaissance assez grande de l’univers Star Wars, pour tout ce qui est films avant le rachat par Disney. Je ne m’attarde même pas sur les jeux vidéo ou les œuvres liées à l’Univers étendu pour lesquels j’ai erré dans Waterloo morne plaine. Les élèves ont apprécié le parallèle avec l’ascension de Hitler et sur les suites du 11 Septembre 2001. L’histoire romaine offrait clairement plus de failles ; malgré le fait d’être passés par la case Seconde avant d’arriver en Première, les padawans ont la fâcheuse tendance à ne plus imprimer ce qui a été vu en début d’année précédente. Je ne vais pas parler pas des années collèges ; là c’est un voyage dimensionnel qui s’imposerait. Quant au cas Nixon, je n’ai pas pu encore le traiter mais j’essaierai, en fonction du niveau des élèves et du temps disponible.

C’est la fin de ce premier acte. La prochaine fois nous nous plongerons dans la Béance. Tout un programme !

 

Sources et références

[1] Voir cette excellente analyse : Jutta Weldes, To Seek Out New Worlds, Science Fiction and World Politics, Palgrave Macmillan US, 2003

[2] https://usbeketrica.com/article/la-science-fiction-outil-precieux-pour-imaginer-les-futurs-de-la-democratie

[3] https://www.eclectablog.com/2016/05/donald-trump-is-playing-the-role-of-the-mule-from-isaac-asimovs-foundation-trilogy.html

[4] https://www.clionautes.org/jeanne-darc-une-heroine-au-service-des-mangas.html

[5] Pour aller plus loin je recommande ce dossier : https://www.starwars-universe.com/dossier-10-les-references-a-star-wars.html

[6] Isabelle Lacroix et Karine Prémont, dir, D’Asimov à Star Wars, Représentations politiques dans la science-fiction, Presses de l’Université du Québec, 2016

[7] Voir https://www.persee.fr/doc/dha_0755-7256_2008_num_34_1_3055

[8] http://www.starwars-holonet.com/atlas-galaxie-star-wars/atlas-2d.html

[9] Thomas Snégaroff, Je suis ton père : La saga Star Wars, l’Amérique et ses démons, Paris, Naïves livres, 2015, citation p.34

[10] Voir par exemple cette étude : https://kansaspress.ku.edu/978-0-7006-1599-5.html