Carte blanche à l’Institut Convergence migrations

Cette table ronde interrogera les migrations de travail dans une périodisation longue, depuis l’esclavage jusqu’au second XXe siècle, à l’intersection entre l’histoire des circuits migratoires et celle des filières professionnelles : travailleurs « engagés » dans l’Océan indien, maçons italiens, mineurs marocains, ouvrier spécialisé tunisien… Toutes ces figures ont en commun un parcours migratoire qui se double d’une requalification professionnelle. L’objectif sera à la fois de déconstruire les stéréotypes associés à ces figures et d’expliquer les mécaniques à l’œuvre, au départ comme à l’arrivée, pour organiser ces mobilités géographiques et professionnelle.

Intervenants

Anne-Sophie Bruno, maîtresse de conférences en histoire contemporaine à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

Alessandro Stanziani, directeur d’études à l’EHESS et directeur de recherche au CNRS

Anton Perdoncin, post-doctorant ERC Lubartworld – EHESS

Thibault Bechini, post-doctorant Université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne

Modérateur

Antonin Durand Coordinateur scientifique à l’Institut Convergence Migration. Antonin Durand présente Encyclopédie d’histoire numérique de l’Europe et plus particulièrement le dossier Migrations.

Cette encyclopédie est un projet numérique porté par Sorbonne Université

  • Une encyclopédie numérique créée en 2012 dans le cadre des Investissements d’avenir (LabEx EHNE – Sorbonne Université)
  • Des articles scientifiques écrits et expertisés par des universitaires, en libre accès et bilingues (français, anglais)
  • Des centaines de chercheurs spécialistes, français et étrangers, valorisant leur recherche à travers des articles en format court
  • Une équipe éditoriale au service d’une publication scientifique référencée (ISSN 2677-6588)

Pour une diffusion de la recherche en histoire pour un large public

  • Des contenus scientifiques courts, illustrés et enrichis d’une bibliographie de référence, pour les enseignants du supérieur et du secondaire
  • Des ressources pédagogiques à destination de l’enseignement secondaire, des dossiers proposés autour des programmes du lycée, tronc commun ou spécialité
  • Des partages de contenus avec les médias en ligne et les réseaux sociaux

Une histoire européenne au prisme d’objets historiographiques renouvelés et des grands défis contemporains – Des approches transversales de l’histoire de l’Europe à travers dix thématiques :

  • Civilisation matérielle
  • L’Europe politique
  • Humanisme européen
  • L’Europe et le monde
  • Guerres et mémoires
  • Genre et Europe
  • Les arts en Europe
  • Éducation et formation
  • Écologies et environnements
  • Les migrations en Europe

A noter l’entrée par programmes du lycée.

Cette table ronde qui réunit de jeunes chercheurs porte sur les migrations en Europe de travail depuis l’esclavage jusqu’au second XXe siècle, Peut-on superposer mobilités migratoires et filières professionnelles ?

Contextualisation

Chaque intervenant est invité à présenter le contexte géographique et temporel de son étude ?

Alessandro Stanziani décrit les migrations en Russie au XVIIe siècle liées à la construction de l’empire russe. Il s’agissait de peupler la steppe en faisant reculer les populations nomades. Ces migrations accompagnent la colonisation militaire et remettent, pour partie, en question le servage russe ? Des millions de paysans migrent vers l’est alors que d’autres sont rivés au sol. Les migrants de la steppe sont plus libres que les serfs.

L’intervenant évoque ensuite le marché des « esclaves » en Asie centrale et en Méditerranée et les « engagés » blancs de la conquête américaine notamment depuis les Îles Britanniques qui du fait de dettes longues peuvent être assimilés à des esclaves, leur situation est plus dure que celles des paysans européens. Enfin après l’abolition de l’esclavage on voit se développer la migration des coolies indiens et chinois.

Thibault BechiniIl est l’auteur sur l’encyclopédie numérique de l’article : Le « maçon italien » : entre stéréotype et opportunités professionnelles étudie l’émigration italienne entre 1860 et 1914 vers Marseille et Buenos Aires. Comment ils ont contribué à l’urbanisation portuaire en étudiant les métiers du bâtiment, une spécialisation qui se construit en réponse à la demande des villes d’accueil. Ils sont notamment employés dans les métiers d’extraction, durs, mais correctement payés (carrières autour de Marseille).

Anton Perdroncin travaille sur les travailleurs marocains dans les mines du Nord-Pas-de-Calais de 1945 à 1990 ; environ 80 000 recrutés de 1950 à la fin des années 1970 par l’entreprise nationalisée. Ce sont des emplois stables mais l’extraction du charbon décline. Dans ce contexte de fermeture programmée des mines, planifié dès les années 1960, leur recrutement vise à réduire les tensions sociales dans le bassin minier. Ils ont été recrutés pour fermer les puits.

Ils viennent du sud, la région du Souss dans une entreprise qui a déjà connu des vagues migratoire : Belges, Polonais… Ils sont employés dans des postes pénibles, l’abatage pour des contrats de 12 à 18 mois pouvant être renouvelés. Il est intéressant de se questionner sur le recours à cette main-d’œuvre immigrée dans la période de récession des années 1970 ?

Anne-Sophie Bruno interroge la spécialisation des migrants tunisiens dans les années 1970-1980 dans l’épicerie de quartier au moment même où se développent les hyper-marchés. Elle étudie cette filière particulière associée à une région d’origine, Djerba. Il faut savoir que les Djerbiens étaient présents dans toute la Méditerranée comme épiciers. Les migrants peuvent ainsi s’appuyer sur des réseaux familiaux qui apportent aide et crédit et facilitent l’intégration.

Politique migratoire et marché du travail

Alessandro Stanziani conteste le lien souvent fait entre migration et manque de bras. En Russie on n’attend pas une main-d’œuvre mais des bras contraints des serfs. De même l’engagé aux Amériques est un esclave déguisé.

Dans ces sociétés on a besoin de la contrainte qui existe aussi au sein des familles sur les jeunes et les femmes. Pas de droit du travail. Il fait un parallèle, à mon avis très contestable, avec les « filles du Roi » en Nouvelle France et l’héroïne du roman d’André Brink Au-delà du silence

En deux mots : Début du XXe siècle, l’Allemagne envoie dans sa lointaine colonie africaine des convois entiers de femmes. Elles doivent servir d’épouses aux soldats de l’Empire. En réalité elles suivront le sort tragique d’Hanna X, comme chair à colons. Violée, défigurée, la jeune femme organise sa révolte. Elle se place à la tête d’une armée de femmes allemandes et indigènes unies contre la brutalité coloniale.

Thibault Bechini évoque les contraintes, notamment politiques et socio-économiques, qui ont conduit à la migration. Il montre la niche professionnelle construite à Marseille après les accords franco-italiens de 1904 qui leur donnent le même accès que les Français à des indemnisations en cas d’accidents du travail, fréquents dans les carrières. Il faut noter qu’entre les deux guerres quand en France on veut imposer des quotas de travailleurs étrangers, les patrons des Bouches-du-Rhône s’y opposent car pour eux les travailleurs italiens sont indispensables.

Anton Perdroncin analyse la politique migratoire d’une entreprise qui contredit parfois la politique nationale en contournant l’Office national des migrations. Il montre l’organisation du travail : opposition entre travaux du fond/du jour ; l’échelle de qualification, les rapports hiérarchiques, les niveaux de rémunérations et les opportunités de carrières. L’entreprise en embauchant des migrants qu’elle sélectionne dans le Souss (son représentant est un ancien militaire qui a été en poste dans la région) choisit des hommes jeunes (moins de 25 ans), en bonne santé alors même qu’elle ne recrute plus en France. Les travailleurs français, statutaires ont des possibilités de mobilité professionnelle, pas les travailleurs marocains jusqu’aux années 1980.

En matière de contrainte l’entreprise garde les passeports jusqu’à la fin du contrat. Le renouvellement est soumis à une radio pulmonaire pour éviter d’avoir à indemniser une silicose. Le prix du voyage est retenu sur le salaire. Après les grèves des années 1980 Les travailleurs migrants obtiennent, s’ils ont eu plusieurs contrats, le statut du mineur.

Anne-Sophie Bruno évoque les accords bilatéraux entre États qui participent des politiques migratoires depuis le début du XXe siècle. Elle montre la demande du patronat et aussi des des CFPA. Elle montre que les accords de formation franco-tunisien, après 1956, sui devaient assurer la formation des cadres pour le nouvel état a été dévoyé, les formés ne rentrant pas au pays.

Elle montre aussi ce quelle qualifie de hasard : rencontre, liens familiaux et la force des réseaux individuels.

Questions de la salle

Peut-on faire un parallèle avec les filières de migrations de l’exode rural comme les maçons creusois ?

Oui et non car au XXe siècle il y a une différence de statut entre travailleurs français et étrangers qui n’existait par au XIXe siècle. La spécialisation des Piémontais en maçonnerie par l’exode rural vers Turin permet un rapprochement avec les Creusois.

Position des syndicats ?

C’est une question complexe dans les mines, la CGT était opposée à l’arrivée des migrants qui risquait de peser sur les salaires et les conditions de travail ce qui ne veut pas dire que le syndicat n’a pas défendu les travailleurs marocains. Même grèves en 1981 et 1987 même si les revendications sont différentes.

A Marseille, les migrants ont une plus longue expérience de la lutte et un meilleur bagage idéologique, ils sont moteurs dans le développement syndical. C’est encore plus vrai à Buenos-Aires. Les marches communes à Marseille entre Français et Italiens s’empêchent pas des crises xénophobes.