Discutant Thomas Wieder Le Monde

Prise de notes Bruno Modica

modica.bruno@wanadoo.fr

Conférence du 10 octobre. 9 h 30 – 11 heures

Avant la parution de l’ouvrage de Jean-Pierre Martin, l’empire romain d’occident IIe siècle av. JC – IIe siècle ap. JC.
Gaules, Germanies, Bretagnes, Espagnes, Iles de la Méditerranée occidentales. Sedes éditions à paraître fin 2009.


Présentant une des questions du programme du concours de l’agrégation d’histoire avec comme discutant Thomas Wieder du Monde des livres, trois spécialistes du monde romain ont offert à un public attentif un étonnant voyage dans l’univers intellectuel et matériel de l’occident latinisé et romanisé.

L’intitulé du programme du concours situe précisément la période à étudier entre -197, la conquête de l’Espagne et 192, date de l’assassinat de l’empereur Commode.

Les trois intervenants étaient :

Giovanni Brizzi Professeur à l’Université de Bologne
Spécialiste de la guerre dans l’antiquité et auteur d’un « Moi Hannibal », les mémoires reconstituées du grand chef de guerre carthaginois.

Jean Pierre Martin Paris IV. Spécialiste des questions politiques et du pouvoir impérial.

Michel Molin Paris XIII spécialiste de l’histoire sociale et des techniques. (Chars iconographies et histoire des techniques. Spécialiste de Polybe.

La première question de Thomas Wieder a porté sur « les attendus de la question au programme ».

Jean-Pierre Martin : C’est une question qui a été soumise au concours il y a une vingtaine d’année. En 1991, ce n’était que l’Occident, et l’empire. Cette question va permettre de marquer les évolutions sur un temps long. La politique romaine a-t-elle été la même pendant toute la période ? C’est sur cette base que nous allons élaborer nos questionnements.
Avec une réserve pour le champ géographique toutefois. La Sicile, la Sardaigne, la Corse, ne sont pas vraiment occidentales. Les Gaules et la Germanie sont en occident. La Sicile est grecque, punique et orientale en fait. La culture est donc différente.
La question posée est celle de l’étendue géographique. Nous sommes dans la période des conquêtes à partir de 197 av. JC. Au fur et à mesure des conquêtes, il y a eu une évolution. Il n’y a pas UNE politique mais DES politiques qui subissent les influences des peuples conquis.
Cela permet de comprendre comment fonctionnent la conquête et l’organisation des provinces.
Comment Rome exerce-t-elle sa domination et aussi sa protection. ? On voit que Rome agit différemment que d’autres impérialismes. La domination est suivie d’une protection. Cette protection des hommes et des ressources a permis à Rome de durer.
L’Empire romain est un cas exceptionnel. Il est resté compact. Avec comme capitale Rome du début à la fin de son histoire. Rome a voulu garder les conquêtes, les exploiter mais aussi donner la pax romana, assurer le niveau de vie des populations. Cette continuité de l’effort pour essayer de protéger ce qui doit l’être est remarquable.

Comment les romains y parviennent-t-ils ?

Par le latin qui est la langue de Rome et de ses soldats mais aussi de l’administration. La pénétration du latin touche les élites actives.
La question posée par le sujet est celle de l’impérialisme romain ? Peut-on le comparer à d’autres impérialismes plus récents ?
Qu’est ce que la romanisation ? Sans doute la transmission de la romanité mais ce qui est sous-jacent également c’est la formation d’un occident romain qui sera ensuite un occident chrétien.

Giovanni Brizzi : Je rappelle une phrase de Florus, la voix d’Hadrien. « C »’est plus difficile de tenir la province que de la conquérir. La notion d’occident recoupe une réalité plus vaste. L’Afrique romaine fait-elle partie de l’Occident ? Pirenne aurait dit oui. Rome régnait sur la méditerranée toute entière. La date de 197 avant JC. renvoie aux provinces espagnoles et au début de l’impérialisme romain. Florus disait d’ailleurs: « Lorsque le romain a dépassé l’Italie il a commencé à imiter Hannibal. »
Rome a deux âmes différentes. L’occident est en formation. L’impérialisme romain va se transformer en quelque chose de différent. La transformation n’est pas une globalisation. Soyez romains avec vos droits particuliers disent plusieurs édits.
L’impérialisme romain coopte des élites. Au IIIe siècle av. JC, le sénat venant de toute l’Italie. Etrusques, Volsques, Campanines. Le processus est assimilationniste. Il est différent en Espagne avec une armée de garnison. Rome regarde le monde au-delà de la mer.

En occident, les rapports avec les peuples sont différents. Dans le monde hellénistique, les cités sont constituées avec des monarchies installées. C’est différent en occident où une sorte de système tribal existe.
C’est pour cela que les Romains adoptent en occident une politique de la dissuasion militaire qui vise à bloquer les confins.

Michel Molin:Je reviens sur l’intitulé de la question du programme. « Rome et l’Occident, de 197 avant J.-C. à 192 après J.-C. (îles de la Méditerranée occidentale (Sicile Sardaigne Corse), Péninsule ibérique, Gaule (Cisalpine exclue), Germanie, Alpes, (Provinces alpestres et Rhétie), Bretagne.

Le plus important dans ce sujet, c’est la particule « et ». On mettra donc l’accent sur les interactions, entre l’occident romain et les territoires. Il faut observer une évolution qui remet en question la vision d’une Rome guerrière qui contrôlait les espaces par la conquête militaire puis l’installation de colonies. La réalité est plus complexe. A mon sens, la première phase est commerciale, et toujours antérieure. Prenons le Vase de Vix par exemple. Il s’agit de 200 kg de bronze transportés près des sources de la Seine dès 500 av. J.-C., donc bien avant l’arrivée des armées romaines. Le commerce précède le drapeau.

Les romains interviennent dans le conflit punique mais avec des préoccupations commerciales. Un commerce transméditerranéen existe. La première phase commerciale est renforcée à partir de l’isthme gaulois.
Plus la présence militaire est importante, plus le commerce se développe. A partir de – 197, les romains récupèrent la péninsule ibérique. Cela favorise un renforcement des relations commerciales. Polybe indique que de sont temps, la route du golfe du Languedoc est déjà bornée. Une politique se développe aussi par rapport à Marseille. L’installation d’Italiens et de romains, s’est faite en occident bien avant les soldats. Les troupes de César interviennent pour protéger des marchands près d’Orléans.
La conquête militaire et l’installation de colonies comme Narbonne relèvent d’une logique différente. L’intervention de Rome favorise une acculturation.

Thomas Wieder demande aux auteurs de préciser la notion d’impérialisme. Il y a un débat autour du bien fondé de cette politique de conquête. On pense à une opposition Caton / Scipion ?

Giovanni Brizzi : Ce débat a existé. Mais c’était un débat sur la culture grecque. Débat sur la transformation que l’entrée de la culture grecque impliquait en Italie, pour la structure politique de Rome. Un homme peut-il s’élever au dessus des autres ? Dans les « origines », Caton cache le nom des magistrats.
La base de la discussion pour Caton l’ancien était la suivante : « S’étendre au-delà de l’Italie c’est devenir différent. « Comme hannibal ».

Jean-Pierre Martin : je crois que cet impérialisme a été une nécessité. Mais c’est un impérialisme placé dans un cadre précis. Par exemple la captation de culture pour transformer en partie la culture romaine. Dans la conquête de l’Occident les Romains ont trouvé des peuples très différents; la curiosité intellectuelle lers a pousser à aller plus loin. »

Michel Molin:Il y a eu deux phases avec un changement de régime. La période républicaine est une phase d’expansion. Le principat induit une changement de régime qui vise à consolider l’Empire déjà constitué à de rares exceptions. Bretagne, Dacie, Champs décumates. Mais il faut s’en tenir à ce qui a été conquis. C’est un impérialisme défensif.
Rome a conclu un certain nombre d’alliances défensives, dans la période antérieure comme une alliance avec Marseille et l’attitude était déférente par rapport au monde grec. C’est donc bien avec le Principat un impérialisme défensif. Le principe en est simple : Si vis pacem, para bellum. Les anciens ennemis devaient être dissuadés de pouvoir espérer prendre leur revanche. L’Espagne qui rentre dans l’espace romain est conquête à revers. Les romains se retrouvent héritiers des conquêtes de Carthage.

Thomas Wieder : On assiste bien à une stabilisation des frontières. Comment l’expliquer ?

Michel Molin.: L’armée romaine n’est pas infinie. Elle est limitée à trente légions, trente trois au maximum. Avec les auxiliaires l’armée romaine ne dépasse pas 350 000 hommes et elle garde toutes les frontières. Les routes permettaient le déplacement des légions. La domination romaine n’est pas seulement militaire, c’est évident.

Pour Giovanni Brizzi les guerres puniques ont laissé des traces profondes. Les guerres d’Hannibal ont fait 200000 morts, Cannes seulement, 50 000 morts c’est énorme.
45 % des sénateurs viennent de l’Empire. 63 % des empereurs sont issus de territoires hors d’Italie et cela se vérifie sous l’Empire.
Les élites dans le sénat à l’époque d’Hannibal sont déjà non romaines. A partir de Pompée pour l’Espagne, on prend en charge les élites.

Michel Molin : Si Rome a pu contrôler un tel territoire pendant trois siècles, c’est le résultat de l’acculturation.

Question de Thomas Wieder : Quelles sont les grandes disparités. Quelle typologie établir entre régions occidentales ?

Pour Jean-Pierre Martin l’étude régionale est indispensable. Il existe une recherche d’unité administrative. Il existe une administration municipale existant dans toutes les provinces.
Les différences sont dans des domaines religieux. L’adaptation romaine à des situations locales. Peut-on parler pour autant de « Tolérance » romaine ? Il s’agit d’une acceptation des Dieux des autres mais avec une réciprocité. Les fonctions des Dieux sont identiques dans les polythéismes par contre l’opposition avec les monothéistes est évidente. Les romains trouvent des cultes, des rites différents, des mélanges entre Ibères et Celtes. Les Romains vont intégrer les dieux extérieurs et les romaniser. Une torque gauloise apparaît sur Jupiter. Teutates ou Taranis ou Jupiter, peut –importe, la proximité est évidente. Il y a une latinisation des dieux sans abandonner les cultes locaux. Des sanctuaires occupés avec un Fanum, une chapelle du culte impérial dans tous les sanctuaires.
La politique romaine n’est pas d’imposer leur religion. De ce fait toutes les couches de la population sont touchées par la romanité. Le pragmatisme est le mot clé.

Giovanni Brizzi : Les symboles de l’Empire dans les provinces étaient les panthéons où tous les dieux étaient vénérés sans différence. Par contre, le problème des juifs avec les romains n’était pas le monothéisme mais celui de la terre promise. Depuis César, le judaïsme est reconnu comme religion mais pas cette propension à s’imposer sur une terre spécifique. Ce qui explique les différentes révoltes.

Michel Molin: Il y eu avant Rome une Europe celtique, Une phase antérieure de « celtisation » et d’autres foyers celtiques, sont évoqués par Hérodote. La propension des Celtes à s’associer aux peuples, le syncrétisme culturel des Celtes, (Celto-ligures, Celtibères) a précédé celui des romains. Une unité celte de l’occident est antérieure à la conquête romaine.

Question de Thomas Wieder: On parle de romanisation. Quelle définition doit on donner à cette notion ?

Giovanni Brizzi: Le Romain n’impose rien. Irénée ou Hippolyte parlent du Christianisme des élites qui spontanément prennent le modèle romain.

Jean-Pierre Martin : La langue latine est l’instrument de l’armée et de ‘administration. Les élites romaines ont été volontaires, attirées par un système qui permettait leur ascension ».

Giovanni Brizzi: Je citerai ce passage de Ulpien, « vous pouvez écrire toute loi dans la langue de l’Empire. Elle sera traduite en Latin quand elle deviendra loi générale. »

Michel Molin:: le plurilinguisme existe en occident mais dans la partie orientale, c’est le grec qui s’impose. La mobilité des administrateurs favorise le bouillonnement linguistique.

Question de Thomas Wieder: Quelles ont été les résistances à cette romanisation ?
Jean-Pierre Martin: Une résistance passive, liée à l’éloignement dans la plupart des cas. Les résistances ont été rares à la romanisation. Il y a eu quand même des révoltes contre Rome avec une tentative d’alliance entre des Celtes et des Germains mais cela a échoué.

Giovanni Brizzi: le problème peut surgir quand il y a un grand chef. Vercingétorix ou Viriathe, Sertorius. On a souvent réglé le problème par l’assassinat. Car certains d’entre eux étaient porteurs d’une idée nationale.
Mais par exemple, les trois gaules, Aquitaine Lyonnaise Belgique, se réunissent et leurs 60 cités qui viennent rendre un culte impérial à Lyon.

Question de Thomas Wieder: existe-t-il aussi une unité économique ?

Michel Molin : La pax romana favorise le commerce terrestre et maritime. Strabon avait évoqué la complémentarité du réseau routier et fluvial en Gaule.
La pax romana va permettre la diffusion des techniques celtes. Les gaulois avaient élaboré des véhicules spécialisés. Attelages spécifiques, comme la bricole. Intérêt pour les mulets. De plus en plus utilisés. Le commerce roulant est une réalité unificatrice.

Jean-Pierre Martin : La cadastration des terres permet de rendre les cultures efficaces pour le grand commerce. Dans les gaules. (Autour de Reims, cinq réseaux cadastraux différents.
Avec la pax romana le problème de la piraterie a été réglé par l’installation des pirates à terre par Pompée.
L’Empire romain a créé un espace économique en Méditerranée, à partir de l’annone, du ravitaillement de Rome par exemple, mais aussi avec le Cursus publicus, un service de messagerie.