Cette carte blanche à la SFHOM réunissait Catherine Coquery-Vidrovitch, Isabelle Surun, Habib Kazdaghli , Hubert Bonin, Pierre Singaravelou. Elle était modérée par Colette Zytnicki.

L’histoire « impériale » n’est pas un objet neutre. Son écriture a eu sa décolonisation et s’inscrit aujourd’hui dans de nouvelles perspectives : quelles sont-elles, quels objets et quels enjeux idéologiques sont mobilisés?

Introduction par Colette Zytnicki

Un rapide historique de la SFHOM Société française d’histoire des outre-mers – [http://www.sfhom.com/->http://www.sfhom.com/] a permis d’évoquer des grands noms de l’histoire coloniale à l’histoire des colonies: d’Alfred Martineau à Charles-Robert Ageron ou Catherine Coquery-Vidrovitch Professeur émérite Univ Paris 7 Denis-Diderot spécialiste de l’histoire de l’Afrique. La table ronde abordera 2 aspects : le renouvellement historiographique actuel et le rôle des historiens dans l’écriture de l’histoire, la place des historiens des anciens territoires coloniaux.

Une courte intervention d’Habib Kazdaghli Professeur des Universités, Faculté des lettres et des humanités de la Manouba, Tunis, Tunisie – Ses axes de recherche portent sur l’histoire contemporaine de la Tunisie et du Maghreb, l’histoire du mouvement communiste, l’histoire des minorités et des communautés de Tunisie et plus particulièrement la communauté juive et la communauté grecque-orthodoxe de Tunisie, l’histoire du tourisme au cours de la période coloniale pour se réjouir du prix Nobel de la paix décerné au quartet menant le dialogue national en Tunisie, qui s’est distingué pour « sa contribution décisive dans la construction d’une démocratie pluraliste en Tunisie après la “révolution du jasmin” de 2011 ».

Catherine Coquery-Vidrovitch amorce la réflexion sur le renouvellement historiographique en France des 20 dernières années et l’articulation avec l’histoire globale à propos des études africaines. Elle insiste sur le renouvellement dû aux travaux des jeunes historiens africains et déplore que trop peu de leurs travaux soient publiés contrairement à ce qui se passe dans les pays anglophones qui ont développé une « histoire d’en-bas », le point de vue sur la colonisation par les colonisés (postcolonial studies). Elle cite quelques historiens : Mohamed MBodj historien, professeur au Manhattanville College aux Etats-Unis, Mamadou Diouf historien, professeur à l’université Columbia New-York, nombreuses publications et notamment ; « Des Historiens et des histoires, pourquoi faire? L’histoire africaine entre l’état et les communautés, Revue Canadienne d’Études Africaines 34, 2 (2000): 337-374., Romain Bertrand L’Histoire à parts égales – Récits d’une rencontre, Orient-Occident (XVIe-XVIIe siècle)édité au Seuil en 2011.
Pour elle il existe un risque de voir l’histoire des empires redevenir l’histoire des colonisateurs. Une solution : un travail collaboratif international, mondial même. L’Unesco après son « histoire générale de l’Afrique » téléchargeable en ligne (http://www.sfhom.com/spip.php?article686) prépare une « Histoire globale de l’Afrique », non pas afrocentrique mais afrocentrée reposant sur une réelle coopération scientifique.

Pour Isabelle Surun il y a trois moments et trois tendances :

  • Sous l’influence britannique une nouvelle histoire impériale : comment les empires forgent la nation? Quelle circulation des hommes, des marchandises?
  • Une réflexion plus théorique sur la notion même d’empire. Elle renvoie sur la conférence de Frédéric Cooper Empire, décolonisation, et citoyenneté : La France et l’Afrique de l’époque coloniale à nos jours ce matin même à Blois et développe l’idée d’une hétérogénéité des empires, notion d’intermédiaires, de transactions hégémoniques.
  • Un travail plus empirique sur les sociétés, les situations coloniales, le fonctionnement d’une société coloniale dans la colonie. Travaux qui intègrent des thèmes postcoloniaux : le genre, la famille, la violence en sortant des ères culturelles.
    Elle évoque la difficulté des historiens à être présents dans l’espace public face à des historiens très médiatiques qui travaillent sur les représentations, les images abordées depuis la métropole. Cette approche du fait colonial, sa représentation nous apprend plus sur la métropole que sur la colonie et avec au final un regard européocentré qui risque de contribuer à véhiculer des images anciennes qu’ils cherchent à combattre.

Pierre Singaravelou professeur d’histoire à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, spécialiste d’histoire coloniale et d’histoire de l’Asie approuve cet énoncé et constate un consensus aujourd’hui au sein de l’université : refus d’un bilan positif ou négatif de la colonisation mais plutôt nécessité d’une relecture des élites des sociétés colonisées.
Depuis 10 ans on constate un tournant historiographique en France, très en retard sur l’Europe, on tient enfin compte du renouvellement développé à l’étranger. Les progrès peuvent se mesurer avec leur introduction dans les questions d’agrégation, la multiplication des master et thèses ce qui oblige les autres histoires à prendre en compte la dimension impériale dans leurs questionnements sur des sujets comme l’école, le genre, l’économie et qui se lit par exemple dans la nouvelle Histoire de la France contemporaine placée sous la direction de Johann Chapoutot Editions Seuil; mais reste qu’il n’y a pas de chaire d’histoire du fait colonial et peu de place pour les historiens de ces approches à l’université.

Habib Kazdaghli aborde le point de vue des historiens tunisiens. Le domaine de recherche a d’abord été celui de l’histoire de la décolonisation, du nationalisme, une histoire objet de légitimation politique. L’évolution récente montre une volonté de comprendre les causes des difficultés politiques des années 70 : histoire des syndicats, des courants politiques marginaux, reconnaissance qu’au-delà des leaders des forces sociales étaient émergentes dans l’empire colonial. Aujourd’hui une nouvelle écriture de l’histoire vise à une écriture partagée de la période coloniale faisant une place aux communautés italiennes, juives, maltaises dont il faut écrire leur place dans l’histoire tunisienne., montrer la complexité de la réalité coloniale, en un mot un renouvellement du regard.

Hubert Bonin Professeur émérite IEP de Bordeaux, chercheur en histoire économique et spécialiste d’histoire bancaire et financière mais aussi de l’histoire des entreprises et des organisations tertiaires, de l’esprit d’entreprise et du négoce et de la banque ultramarines. Il étudie aussi le déploiement des banques et des sociétés françaises dans les anciennes concessions chinoises. propose une intervention décalée, par provocation ou en raison de son arrivée très tardive à la table ronde, il nous relate ses travaux, réhabilite la mise en valeur à l’époque coloniale et considère que le renouveau historiographique se résume à une vision plus nuancé du bilan de la colonisation après les dénonciations marxistes, il récuse la notion de pillage de la part des métropoles et insiste sur l’étude des modèles productifs.

La discussion a porté sur la question de la pratique des langues locales par les historiens mais aussi la place de l’histoire coloniale dans les programmes d’histoire à l’école comme dans le second degré.