Les participants à cette Table Ronde dont le modérateur est Thibault Daudigeos (professeur à l’école de management de Grenoble) sont : Vincent Fristot (élu de Grenoble chargé de la transition énergétique), Léo Genin (ingénieur, directeur associé de I care & Consult) et Frédéric Parrenin (directeur de recherche au CNRS glaciologue et paléoclimatologue)

Introduction :

La conférence est introduite par Thibault Daudigeos qui permet tout d’abord à Fredéric Parrenin de préciser les notions d’atténuation et d’adaptation face au dérèglement climatique. Frédéric Parrenin, comme les autres intervenants, s’appuie sur les diapositives qui défilent.

Comment articuler atténuation et adaptation au dérèglement climatique ?

Connaissances actuelles et évolutions possibles du climat

Variations de température globale

La première diapositive présente un graphique, issu du rapport du GIEC, qui montre les variations de températures globales à la surface de la Terre ( moyennes des continents et océans) où une hausse de température environ 1,1 °C apparaît entre 1850 et 2012. On constate un premier réchauffement entre 1910 et 1940 puis un second depuis les années 80. Cette dernière période  présente une hausse particulièrement importante.

Répartition géographique, évolution de la température en surface

La deuxième diapositive propose une carte du réchauffement observé entre 1901 et 2012 et permet de constater que le réchauffement n’est pas homogène. Malheureusement cette carte n’inclut pas les pôles alors que c’est en Arctique que le réchauffement est le plus frappant. En effet,  il est deux fois plus important qu’ailleurs. Les pôles se réchauffent davantage en raison de mécanismes d’amplification.

En outre, le réchauffement est  plus intense sur les continents que sur les océans car ces derniers ont une grande inertie thermique qui entraîne un réchauffement plus lent. À l’inverse, les continents se réchauffent plus rapidement et fortement que les océans soit un coefficient multiplicateur X1,5. Si le réchauffement des océans est de 4° en 2100, il faut compter 6° sur les continents. Concernant les canicules, qui augmentent les moyennes, le coefficient multiplicateur est de 2. Pour 4° d’augmentation en moyenne, il faut prévoir 8° lors des épisodes caniculaires, ce qui génère des conséquences différentes. Ces précisions montrent que  les pics existent et qu’il faut faire attention à la notion de moyenne.

Le cycle du carbone

La diapositive ci-dessus présente le coupable : le CO2 atmosphérique. Le diagramme du haut montre l’évolution du CO2 atmosphérique mais seulement depuis la fin des années 50 (début des mesures). Pourtant, grâce aux glaces polaires on réussit à reconstruire la place du CO2 sur plusieurs centaines de milliers d’années. Ainsi, on sait qu’il a varié de 180 à 300 ppm (particules par million). À la fin des années 50, il était à 315 ppm et actuellement il a dépassé les 400 ppm. Ce CO2 atmosphérique se dissout en partie dans les océans (courbe bleue sur le graphique du bas) ce qui limite le réchauffement climatique mais le Ph océanique (courbe en vert) baisse,  donc les eaux deviennent acides.  Par conséquent, cela perturbe les organismes marins tels que les coquillages ou les coraux. Le CO2 atmosphérique dépend évidemment de l’émission des Gaz à Effet de Serre.

Les températures de surface

Cette notion est donc proposée grâce à  des scénarios d’évolutions. Ce ne sont que des hypothèses puisque le futur dépend des décisions qui seront prises.

Le CO2 est le plus marqué même si le méthane fait également partie des GES mais de manière moins dominante. Le graphique indique l’évolution historique puis se décompose entre plusieurs scénarios : l’un optimiste où l’intervention humaine permet aux GES de se stabiliser dès 2050;  l’autre pessimiste où les émissions de GES continuent. Alors la température augmente de plus de 4° (en moyenne annuelle) d’ici 2100.

Cartes de France  2000 / 2050

À l’échelle de la France, la diapositive qui suit, permet de comparer deux cartes en 200 et 2050 (dans moins de 30 ans).

Les couleurs chaudes indiquent les températures chaudes. En 2000, le pourtour Méditerranéen et la Corse sont orange mais passent en rouge en 2050 selon les prévisions pessimistes. Le climat Méditerranéen se retrouve sur l’Ouest et sur la Vallée du Rhône. Les couleurs bleues n’existent plus que sur les massifs montagneux.

Après cette introduction des connaissances actuelles sur les évolutions possibles du climat, les notions d’atténuation et d’adaptions vont être explicitées.

Atténuation et adaptation

L’atténuation consiste à  limiter collectivement les émissions de GES en précisant que le climat n’est pas sensible à l’endroit de l’émission du CO2. Où que l’on émette du CO2 sur la planète cela revient à la même chose pour le climat.

L’adaptation consiste en prendre en considération ce réchauffement inéluctable donc à prendre des mesures pour se préparer au mieux.

Thibault Daudigeos synthétise en indiquant qu’atténuer le réchauffement consisterait en décarboner nos activités. Diminuer nos émissions de carbone et s’adapter ce serait comprendre que les températures vont augmenter pour au moins les 50 prochaines années donc agir sur nos activités.

Il s’adresse donc ensuite à Vincent Fristot : Qu’en est-il à l’échelle d’une ville telle que Grenoble ? Est-ce que l’atténuation et l’adaptation sont prises en compte dans l’élaboration des politiques publiques locales ?

Concrètement, à Grenoble, au cœur du Massif Alpin, les canicules sont plus fréquentes et le dérèglement climatique est palpable. L’aménagement de parties de ville, les plans d’urbanismes, les schémas à moyen terme se décident en prennant en compte l’élément climatique. La ville souhaite avancer sur l’adaptation mais aussi limiter les dégâts : atténuer en limitant les émissions de GES. Au niveau de la métropole un plan climat est en place depuis environ 15 ans. La politique publique d’atténuation en faveur de l’amélioration thermique des bâtiments et de la mobilité est déjà en place et doit être encore renforcée.

L’adaptation n’est pas oubliée mais est plus récente. La végétalisation est mise en place, notamment par un programme de plantation de 15 000 arbres en 10 ans dans un cadre participatif. Effectivement,  les citoyens doivent s’impliquer dans cette politique.

Cour d’école perméable + végétale

De même, l’école Clémenceau, a enlevé le bitume de la cour donc a remplacé un revêtement imperméable, très chaud en été car il capte la chaleur par un revêtement naturel plus confortable. Il apporte du calme donc un bien-être pour les élèves. De plus, le projet s’est étendu sur la collecte des eaux de pluie et la création d’un espace de jardinage. Cela permet  d’adapter ou d’atténuer l’effet des vagues de chaleur.

Décarboner la mobilité

Le schéma de mobilité de la ville se situe dans la politique d’atténuation des émissions de GES : les Chronovelos, les pistes cyclables larges sont des facteurs forts. La place de la voiture existe toujours mais elle est davantage limitée. La mobilité par câble à l’horizon 2023 est prévue.

Grenoble pense que pour améliorer la qualité de l’air, il faut travailler sur la qualité des véhicules. Sortir du diesel en 2025 signifie commencer maintenant. Il faut anticiper les changements de véhicules et donc envisager l’accompagnement social.

En outre, retirer progressivement des véhicules de certaines zones urbaines est prévu. Le péage urbain pénalise ceux qui ont un budget moyen ou faible car le coût d’un passage quotidien est important. Donc ce n’est pas ce qui est envisagé. Proposer des alternatives à la voiture ancienne sous forme de mobilité douce : vélo, transports propres semble mieux convenir. Grenoble n’a donc pas choisi le péage urbain mais la Zone à Faible Émission (ZFE) et a décidé de restreindre l’accès au centre-ville en appliquant la vignette Crit’Air (âge du véhicule, type de carburant). Par conséquent, les offres de mobilité sont réfléchies : sobriété de la mobilité, télétravail mais aussi carburants alternatifs tels que l’électrique ou le gaz naturel notamment les biogaz produits avec les eaux usées ou les ordures ménagères.

Engager une production alimentaire locale

L’animation de quartier et la production locale font également partie du projet car la création de liens entre personnes reste un enjeu. Les jardins partagés créent des liens. Bien sûr, la partie productive n’est pas oubliée. Les circuits courts tels les paniers de légumes et fruits sont un moyen d’alimenter une partie de la population en recréant des liens de proximité avec son alimentation. Le bilan carbone de l’alimentation est très lourd donc ce système permet de l’alléger.

Neutralité énergétique

Le dernier point d’atténuation des GES, concerne le bâtiment. On construit des logements à énergie passive (voir diapositive) de façon à ce que les locataires paient le moins possible leurs besoins en énergie. L’intervention sur le choix des matériaux est également essentielle. Certains matériaux ont un bas bilan carbone puisqu’ils ont besoin de peu d’énergie pour être utilisables. On atténue dans la construction et dans l’usage du bâtiment. L’installation de panneaux photovoltaïques et un recyclage de l’eau permettent un usage faible des ressources. La gestion de l’eau est également à prendre en compte et grâce à la nappe phréatique de Grenoble, l’eau est réintroduite dans la ville.

Aujourd’hui on peut mettre en œuvre les deux politiques : l’atténuation (matériaux…) et l’adaptation. Cela a été évalué notamment par l’ADEM qui a attribué le label Cit’ergie. La ville est entrée dans les trois premières villes primées par l’Adem avec Dunkerque et Besançon.

Les politiques d’atténuation sont plus anciennes mais  les politiques d’adaptation se développent.

Quels effets peut-on constater après 15 ans de politique d’atténuation ? Dans le plan « Air, Energie, Climat », la ville et le territoire métropolitain effectuent un suivi annuel. 500 bâtiments publics, 500 véhicules des services de la ville, et l’éclairage public font l’objet d’évaluations. Le résultat : depuis 15 ans, les émissions de GS ont été réduites de plus de 30 %. Au niveau du territoire métropolitain, les réductions sont bien sûr moins fortes. En effet, les GES liés à la mobilité continuent d’augmenter. Il reste à faire de gros progrès. L’action publique vise à améliorer la qualité de l’air (les oxydes d’azote, les polluants locaux, les poussières) pour protéger la santé de tous.

Léo Genin fait le lien entre le propos de Vincent Fristot et le projet de loi Climat. Les leviers d’action, tant sur la réduction des émissions que sur l’adaptation au changement climatique, se situent au niveau local. Le GIEC considère que 75 % des leviers d’action s’y  trouvent.

Vincent Fristot précise que Grenoble travaille en réseau avec d’autres villes et les échanges permettent de partager des expériences. Grenoble a lancé la biennale des villes en transition pour l’accélérer justement.

Frederic Parrenin ajoute que le local, par ses exemples, peut faire pression à l’échelon national voire international pour aider les politiques à prendre des décisions.

S’atténuer ou s’adapter à l’échelle d’une entreprise

Léo Genin évoque ensuite ce qui se passe au niveau des entreprises. En tant qu’ingénieur spécialisé en planification environnementale, il a été marqué par le Grenelle de l’Environnement (2007) dont le slogan était « Entrons dans le monde d’après ». Actuellement, il accompagne des entreprises et des territoires sur les problématiques environnementales. La diapositive « S’atténuer ou s’adapter… » illustre son propos.

Il existe deux types de risques qui évoluent à l’inverse. Les niveaux d’émissions de GES jusqu’en 2020 sont mis en correspondance avec différents scénario depuis le rouge vif, très chaud, vers un s bleu qui permet de rester dans une augmentation de température de 2°C. Pour les entreprises, cela se traduit par une prise de risques dont des impacts financiers. La courbe la plus ambitieuse correspond à des risques de transition car se traduit par des politiques publiques c’est-à-dire des réglementations contraignantes impliquant  des impacts financiers. Dans le scénario rouge, les risques sont physiques.

Ces deux scénarios comportent des risques que les entreprises doivent envisager. Ils vont varier en fonction du secteur d’activité comme le suggère la diapositive de quatre photos.

L’arbitrage va varier en fonction du secteur concerné

Ainsi un vigneron qui travaille sur du long terme (50 à 100 ans) a comme problématique l’adaptation au changement climatique. De même, sur les stations de ski, les baisses d’enneigement entraînent une obligation d’adaptation.  Le modèle économique est ici clairement questionné.

Les entreprises dans le secteur du transport se posent la question en terme d’atténuation des émissions de CO2 associées à leur fonctionnement. L’investissement des actifs est évidemment à considérer avec attention pour ce type d’entreprises.

La durée de vie et la localisation des actifs déterminent les choix.

Les leviers

Les données sont différentes : un camion : 3 à 5 ans, une cimenterie : 50 ans, une vigne 50 à 100ans selon qu’elle sera exposée aux aléas climatiques.

Les entreprises essaient d’identifier des leviers pertinents et s’aident de travaux scientifiques qui font le lien entre les GES et les scénarios vus précédemment. On envisage des trajectoires de dé-carbonisation.

Aujourd’hui pour produire une tonne de ciment on utilise 550 kg de CO2. La diapositive

présente un graphique qui montre les efforts importants de décarbonisation pour rester dans les objectifs des deux degrés : il faut réduire l’empreinte carbone de 70 % en 35 ans. Cela questionne directement la fabrication du produit.

La tragédie des horizons

Pourtant, si les dirigeants considèrent clairement que le risque principal est le risque climatique, on constate que le passage à l’action reste faible.

Dans l’arbitrage entre atténuation et adaptation, le virage stratégique à destination des entreprises doit avoir un regard à 360°. L’atténuation du changement climatique est un enjeu majeur et toutes les entreprises doivent participer à l’objectif bas carbone.

La taxonomie européenne

La taxonomie européenne qui va s’imposer dit que ce premier objectif de transition bas carbone  ne doit pas nuire aux autres objectifs. Cette classification est en libre accès sur internet.

La crise du Covid a montré que notre système économique exercice une pression sur le climat mais aussi sur la biodiversité. Tous les enjeux sont liés.

Les entreprises s’engagent dans le développement durable mais ont besoin de guide pour savoir où porter leur effort.

Questions / réponses :

Exemples d’entreprises qui ont commencé leur transition ? On voit un repositionnement du modèle économique. Par exemple, une PME produit du parquet à partir de PVC. Elle comprend alors que son empreinte carbone est en partie liée à ses achats et à la fin de vie de ses produits qui restent chez les clients. Elle a donc décidé de créer une deuxième société pour récupérer les chutes de PVC laissées chez les clients et les réutiliser.

Autre exemple : un constructeur dans le domaine du bâtiment qui décide de changer de matériau et investit dans le bois. La ressource bois est désormais une filière intéressante.

On observe aussi des comportements chez les assureurs qui évacuent les « actifs échoués » car ils n’ont plus de valeur.

2) Crise du Covid, risque ou opportunité ? Elle questionne l’économie et son impact écologique. On s’interroge par exemple sur le secteur aérien à courte distance.

3) Gaz naturel, une solution ?

Le pétrole va émettre 50 % de CO2 que le gaz naturel pour une même quantité d’énergie et le charbon encore davantage donc le gaz est le « moins pire ». Cela n’est pourtant pas une solution satisfaisante.

Le gaz naturel malgré tout peut être verdi grâce à différentes filières. L’Adem propose un gaz complètement vert d’ici 2050. Le gaz vert est un gaz non fossile produit soit par fermentation de boues et de déchets soit grâce à d’autres filières telles que la pyrogazéification qui est un projet GRDF ou à partir d’hydrogène : la méthanation. L’usage du gaz s’inscrit dans la suite des moteurs thermiques, ce qui permettrait une transition car il ne sera pas facile de passer massivement à l’électrique. Sur le territoire local, il existe deux lieux de méthanisation, l’un sur une station d’épuration qui permet à 80 bus de Grenoble de rouler et l’autre sur les ordures ménagères qui est en construction. Ces bus n’émettent aucun GES.

  1. Comment concilier l’atténuation et la concurrence si les législations ne sont pas convergentes ? L’atténuation a des conséquences positives dans plusieurs domaines : la santé, des économies…S’il y a un intérêt individuel cela va fonctionner.

    Il faut articuler l’intérêt individuel et collectif donc l’échelle locale et l’échelle territoriale sont essentiels.

  2. Les moyens d’action public / privé. Le public peut orienter l’offre des entreprises privées. Exemple des cantines de Grenoble. On demande certains produits aux fournisseurs. Ils s’adaptent.

    À travers des Défis, des associations, des forums, on peut mener des actions pour atteindre les objectifs d’atténuation.

    Un dialogue s’installe entre les acteurs privés et les acteurs publics pour aller vers la transition.

    Une entreprise qui ne peut faire baisser son empreinte carbone immédiatement peut investir ailleurs dans un autre projet et participer à la transition dans un cadre par exemple le label « bas carbone ».

Conclusion :

Les différents intervenants expriment leur optimisme malgré une marche à franchir très haute et des scénarios d’émissions de GES encore forts dans les années à venir. Ils regrettent cependant la lenteur de réaction des gouvernants. Une taxe carbone au niveau global permettrait d’aligner l’intérêt général sur l’intérêt individuel. Le défi, insistent-ils, reste source de motivation et d’actions créatives pour l’environnement tout en pensant évidemment à la justice sociale.