En lien avec le thème des Rendez-vous de l’Histoire 2023, la conférence s’appuie sur le très bel ouvrage Tous ceux qui tombent – Visages du massacre de la Saint-Barthélemy de Jérémie FoaJérémie Foa, ancien élève de l’Ecole Normale Supérieure de Fontenay Saint-Cloud, est maître de conférence HDR en histoire moderne à Aix-Marseille université (Laboratoire TELEMMe). et propose une transposition didactique pour la classe. Dans son propos liminaire, l’historien rappelle que son livre possède une entrée bien particulière quant au sujet du massacre de la Saint-Barthélémy, celle de la proximité. L’histoire a longtemps traité ce sujet, comme d’autres, du haut vers le bas. La responsabilité de Catherine de Médicis ou des Guise a ainsi déjà été analysée à de multiples reprises au travers de nombreuses études. On a longtemps occulté les victimes et les tueurs « ordinaires ». Ici, la démarche se veut inversée, les élites sont abandonnées au profit des artisans, des bourgeois, des officiers bas dans la hiérarchie, des petits nobles, hommes et femmes, victimes et tueurs. L’ouvrage propose une étude du massacre dans son horizontalité, « une histoire par le bas, au ras du sang ». Une entrée historique qui n’est pas sans rappeler les travaux d’Hélène Dumas dans son Génocide au village à propos du génocide des Tutsi au Rwanda, de Christopher Browning dans Des hommes ordinaires à propos du 101e bataillon de réserve de la police allemande et sa participation à la Solution finale en Pologne ou encore de Jan T. Gross dans Les Voisins à propos du massacre de 1600 juifs perpétré le 10 juillet 1941 dans la petite ville polonaise de Jedwabne. 

Le contexte du massacre

Jérémie Foa débute en rappelant à son auditoire quelques éléments de contexte.

– 1562 : début des guerres de religion

– 1563 : édit de pacification d’Amboise

– 1568 : 3e guerre de religion

– 1568-1570 : le protestantisme est interdit

– 1570 : édit de pacification de Saint-Germain

– 18 août 1572 : mariage de Marguerite de Valois et de Henri de Navarre

– 22 août 1572 : attentat manqué contre Gaspard de Coligny fomenté par les Guise. Les aristocrates protestants se réunissent et concluent que le mariage est un piège. Ils manifestent leur mécontentement, ce qui entraîne la décision du massacre

– Nuit du 23 au 24 août 1572 : établissement de la liste des protestants à abattre puis massacre généralisé

L’historien n’oublie pas de rappeler ici les travaux de Denis Crouzet pour qui l’exécution des chefs huguenots, prélude au massacre généralisé, est un « crime d’amour » d’un roi désireux avant tout de sauver ce qui pouvait l’être de la paix. Citons ici quelques ouvrages essentiels de Denis Crouzet dont Les Guerriers de Dieu. La violence au temps des troubles de religion (vers 1525 – vers 1610), La Nuit de la Saint-Barthélemy. Un rêve perdu de la Renaissance ou Le Haut Cœur de Catherine de Médicis. Une raison politique aux temps de la Saint-Barthélemy.

Le massacre intervient donc après des années de violence, d’exclusion et d’humiliation des protestants. Malgré cela, Jérémie Foa souligne l’œuvre diplomatique de Catherine de Médicis dont le mariage de Marguerite de Valois et de Henri de Navarre est un exemple.

Comprendre les mécanismes de la violence : la Saint-Barthélémy « par le bas »

Les sources de cette étude fouillée sont essentiellement les archives des notaires. Celles-ci sont très utilisées au XVIe siècle car la population est illettrée à 90 %. Jérémie Foa s’est plus particulièrement intéressé aux inventaires après-décès. Ce document qui dressait la liste des objets était indispensable après la mort d’un individu pour que l’héritage puisse être transmis. Mais ce document ne s’intéresse qu’aux objets, on ne sait pas grand-chose de la mort … Il a donc été nécessaire de le croiser avec d’autres sources comme Les Mémoires de l’Estat de France de Simon Goulard (1577) rédigé à partir de témoignages de survivants. On y retrouve des listes de noms, de métiers, les circonstances de mort, … Mais des précautions s’imposent, c’est un martyrologe dans lequel le pasteur Simon Goulart (1543-1628) recense un grand nombre de victimes anonymes de la Saint-Barthélemy. Rédigé dans un but religieux, pour présenter ce massacre comme une épreuve traversée par le peuple de Dieu. L’ouvrage reste précieux car il repose sur des témoignages authentiques, des correspondances, des lettres aujourd’hui perdues ! Pour Jérémie Foa, il faut le croiser lui aussi avec d’autres sources.

L’historien prend ici comme exemple le personnage du commissaire Aubert, « demourant en la rue Simon le Franc, près la fontaine Maubue, remercia les meurtriers qui avaient massacré sa femme ». Mais le nom de la femme n’est pas cité. En « fouillant » dans les inventaires après-décès, Jérémie Foa le retrouve, elle est Marye Robert sans doute aperçue un jour par un voisin suspicieux en train d’acheter au marché noir du lard ou des œufs en période de Carême, et assassinée par des tueurs le soir fatidique. Grâce à l’inventaire Marye Robert retrouve une identité. Elle avait des enfants, deux filles, Marie et Catherine, elle avait aussi une maison et des biens (ex : habits). Mais pourquoi cet inventaire ? Aubert veut se remarier donc il faut un mort ! Jérémie Foa précise avoir utilisé aussi les archives de la prison de la Conciergerie à Paris. C’est alors qu’il découvre que Nicolas Aubert a été arrêté pour hérésie pendant la 3e guerre de religion en 1569 sur dénonciation de ses voisins. On aurait retrouvé chez lui des œufs et de la viande pendant le Carême. Sa femme, Marye Robert était absente ce jour là. Nicolas reste 3 mois en prison sans que sa femme ne le fasse libérer. L’historien suppose que c’est cet évènement qui pourrait être à l’origine de la haine vis-à-vis de sa femme, la prison aurait nourri son souhait de la voir mourir ! De manière plus sûre, ces sources nous apprennent que seuls les voisins connaissent les pratiques et les convictions des voisins. Ce sont eux qui participeront au massacre !

Brièvement, Jérémie Foa cite d’autres exemples comme celui de Guillaume Gaultier. D’après son acte de baptême, c’était un menuisier et il résidait rue des Prouvelles. Dans les archives criminelles du Parlement de Paris d’août 1569, l’historien a retrouvé la lettre que Guillaume Gaultier, protestant, avait écrit pour réclamer sa liberté. La confirmation de sa mort lors de la Saint-Barthélémy est bien mentionnée dans le livre de Simon Goulart.

Des victimes ordinaires à la banalité des tueurs

Jérémie Foa détaille maintenant le cas de Thomas Croizier, un orfèvre parisien, qui habite dans la maison d’une victime 11 ans après les faits. Pourquoi ? Tout simplement car il a assassiné son voisin orfèvre !

Dans les archives de la Préfecture de Police, l’historien a retrouvé les noms des miliciens parisiens qui, durant plusieurs années, ont procédé aux arrestations de huguenots. Il comptabilise 500 arrestations entre 1568 et 1570. Seulement 3 hommes sont responsables de plus de la moitié, dont Thomas Croizier qui à lui seul compte 110 arrestations ! A ses heures perdues, il arrête des protestants, c’est la preuve que la Saint-Barthélémy a été « préparée » en amont, mais non préméditée. Pour Jérémie Foa, les violences symboliques préparent les violences physiques. L’ordinaire des persécutions annonce l’extraordinaire du massacre.

Si Thomas Croizier s’arrête en 1670, il met son savoir en action le soir de la Saint-Barthélemy. En s’intéressant aux autres bourreaux, Jérémie Foa constate que tous sont des porteurs de la châsse Sainte Geneviève. Ce sont en fait des fous de Dieu angoissés par leur Salut, sujet amplement travaillé par Denis Crouzet. La spoliation des biens n’est donc pas la motivation première de la Saint Barthélémy. A noter que depuis des années, les miliciens catholiques pratiquent le racket. Un reçu établi pour Claude Chenet, un tueur, prouve sa « bonne conscience ». Finalement, ce massacre « par le bas » n’est pas le fait de tous les Parisiens mais d’un groupe bien entraîné, bien inséré dans la société. Ce sont eux qui lorsque le tocsin de l’église St Germain l’Auxerrois se met à sonner à deux heures du matin se sont mis en action. Pendant des heures, ces miliciens catholiques sonnent aux portes de leurs voisins protestants qu’ils connaissent de longue date et commettent les pires atrocités. Parmi ces tueurs, Thomas Croizier mais aussi Nicolas Pezou et Claude Chenet. Ces trois hommes ne seront jamais punis mais seront récompensés pour leurs crimes !

En conclusion, Jérémie Foa aborde la trace des Justes, ces voisins qui sauvent. C’est par exemple le cas de l’histoire heureuse d’Augustin Cerize, un orfèvre protestant, qui aura la vie sauve grâce à un faux témoignage devant notaire d’un voisin précisant l’avoir vu à la messe.

Une proposition de transposition didactique

Florence Chaix, IA IPR d’Histoire-Géographie dans l’académie d’Orléans-Tours, rappelle que ce passage des guerres de religion est souvent, même brièvement, travaillé au collège comme au lycée. Dans tous les manuels, une double page est consacrée au massacre de la Saint-Barthélémy mais parfois avec des documents, comme le célèbre tableau de Dubois, non sourcés ou mal contextualisés.

Françoise Beauger-Cornu, professeure d’histoire-géographie dans le secondaire et à l’INSPE, fait alors une proposition pédagogique ayant pour but d’étudier la Saint-Barthélemy en lien avec l’affirmation de l’Etat dans le royaume de France à l’époque moderne. Divers documents sont exploités par les élèves, notamment un récit sur la Saint-Barthélemy à Orléans. Cette proposition pédagogique réalisée pour une classe de Seconde peut être adaptée au niveau 5ème en réécrivant l’édit de Saint Germain en français moderne, en limitant le nombre de planches de BD et en réduisant le témoignage sur la Saint-Barthélémy à Orléans.

Voici le lien vers le diaporama de cette riche et stimulante proposition :

https://pedagogie.ac-orleans-tours.fr/fileadmin/user_upload/hg/Lycee/Lyc%C3%A9e-NouveauxProgrammes-2019/Seconde-NouveauxProgrammes2019/Th3_L_%C3%A9tat_%C3%A0_l_%C3%A9poque_moderne/Saint-Barth%C3%A9lemy/Etudier_en_classe_le_massacre_de_la_Saint-Barth%C3%A9lemy.pdf

 

Une très belle conférence qui donne envie de se (re)plonger dans les ouvrages de Jérémie Foa, brillant historien et grand pédagogue, afin de mettre à jour et de renouveler nos propositions pédagogiques sur les guerres de Religion et plus spécifiquement à propos du massacre de la Saint-Barthélémy avec une entrée « par le bas ».

Pour les Clionautes, Armand BRUTHIAUX