Les femmes ont toujours travaillé et les sociétés n’auraient pu se développer sans leur immense travail obscur et silencieux. Mais elles ont eu des difficultés à accéder au salaire , aux métiers et professions reconnues. Pourquoi ces difficultés ? Que disent-elles sur les rapports de sexes? Comment ont-elles été vaincues puisqu’aujourd’hui la majorité des femmes ( en France, 67% des femmes de 15 à 64 ans ) sont  » actives « . De nombreuses inégalités subsistent. Quelles sont à présent la situation et les revendications des femmes ? 

Professeur émérite des Universités, Michelle Perrot a notamment codirigé avec George Duby, l’Histoire des Femmes en Occident (Plon 1991-92 en 5 volumes).

Cette conférence a bénéficié d’un enregistrement sonore. 

Les femmes ont toujours travaillé

Brillant exposé sur l’Histoire du travail des femmes qui part d’un constat simple : les femmes ont toujours travaillé. Les hommes aussi bien sûr. Mais leur travail est à la fois différent et différemment apprécié. La préhistoire est aujourd’hui revisitée, notamment sous l’angle de l’Histoire des femmes. Le lecteur pourra se référer à un autre compte-rendu de conférence sur ce thème à propos de la Préhistoire.  

Pour Michel Perrot, les hommes chassent, font la guerre et produisent. Les femmes restent à la « maison » s’occupent des enfants. La visibilité n’est donc pas la même. Le travail des femmes est caché. Les hommes produisent, les femmes reproduisent.

Un ouvrage de référence.

Dans l’Histoire, on se rend facilement compte que les femmes ont eu d’énormes difficultés à accéder à la monnaie. Dès l’origine, le travail des femmes est un échange, reposant sur don/contre-don plus que sur une monétarisation. C’est donc un travail qu’on ne compte pas, qu’on ne mesure pas : c’est l’essence du travail domestique. Du coup, pour certains, il n’existe pas. Il fut au cœur de la réflexion de Marcel Mauss, dans son essai sur le don/contre-don. En conséquence, dans le monde rural, les taches et les espaces sont séparées. Voir à ce sujet l’ouvrage de Martine SEGALEN, Maris et femmes dans la société rurale traditionnelle (1980). Les hommes labourent, vont à la foire. Les femmes s’occupent de la basse-cour, font le travaux des champs aussi… mais elles n’accèdent pas à l’argent. Dans « Perrette et le pot de lait » de La Fontaine, on a une idée des aspirations de cette jeune femme et le malheur qui arrive aux femmes quand elle veulent sortir de leur rôle.

Dans les années 1970, les féministes posaient la question de la rémunération de la femme au foyer. Pour certains ce serait une manière de reconnaître ce travail. Pour d’autres, c’est le risque d’enfermer les femmes dans le travail domestique or il faut qu’elles s’en affranchissent. En France, les allocations familiales prennent en quelque sorte en compte ce travail, mais par le biais du nombre d’enfants. Françoise Héritier décrit dans ces livres Masculin/Féminin, dissoudre la hiérarchie, 2002, la hiérarchie des sexes et la « valence différentielle des sexes ».

La structure du travail reproduit cela, même si elle est ébranlée par l’évolution de l’économie, avec l’urbanisation, l’industrialisation et la tertiarisation.

L’urbanisation

La ville est le lieu de la liberté et du changement selon les masses paysannes, notamment les femmes. Elles y sont rentrées par la domesticité au service de la bourgeoisie urbaine. Les jeunes paysannes, devenues domestiques, sont mal payées, mal logées, et souvent maitresses forcées des patrons dont elles doivent avorter en secret. Mais certaines s’en tirent, mettent de l’argent de côté et arrivent à changer de vie. La ville, c’est aussi le commerce : boulangères et autres femmes d’artisan. Elles y ont trouvé une voie de développement et un statut de femme commerçante beaucoup plus enviable. Beaucoup plus noir, la ville c’est aussi la prostitution, mise en valeur et peut-être exagérée à cette époque à cause de la peur de la syphilis.

L’industrialisation

Elle commence au XVIII° siècle avec la proto-industrialisation, soit l’industrie à la campagne. Les entrepreneurs cherchent à la campagne la main d’œuvre qui transforment la matière première qu’ils apportent. Les sociétés rurales se recomposent parfois autour de ce métier à tissu. L’homme conduit le métier, car il est lourd. La femme s’occupe des tissus. Pour elles, c’est un premier apprentissage et une première sortie de la ferme puisque c’est elle qui livrent le produit fini. Avec la baisse de salaires et l’émergence d’usines concentrées, l’industrialisation cherche des hommes forts, et s’identifie aux ouvriers. A leur tour, les ouvriers s’identifient comme la base de la société industrielle. Les femmes non. Elles travaillent surtout dans les usines textiles, très peu ailleurs. Ce travail n’est pas durable car leur vie s’organise en cycle : le travail occupe le cycle qui va de 12 ans (certificat d’étude) jusqu’au mariage ou la naissance du premier enfant. Ce n’est donc qu’une partie du cycle de leur vie. Son « vraie » destin c’est de se marier et d’avoir des enfants. Il n’y a donc pas d’association entre féminité et usine… Pour Michelet, « ouvrière est un mot impie ». Ce mariage est souvent précédé d’une période de concubinage. L’ouvrier considère que son salaire doit faire vivre sa famille.

La femme doit tenir son foyer. Il n’y a pas d’identité pour la femme ouvrière. Le monde ouvrier ne fait pas de place aux femmes, ce qui explique leur faible place dans les syndicats, au moins jusqu’à 1914. Lucie Baud est une femme d’Isère qui entre au travail à 11 ans dans la banlieue de Grenoble. Elle épouse un garde champêtre de 20 ans de plus qu’elle. Elle ne fait pas de bruit jusqu’à la mort de son époux. Elle prend alors la tête de révoltes contre la faiblesse des salaires. Cette figure héroïque est complètement abandonnée par sa famille et meurt des suites de sa tentative de suicide. Dans les 1er cortèges des 1er mai, les femmes défilent avec leurs enfants. Certaines femmes ont essayé de s’immiscer dans les usines d’hommes… car elles gagnaient plus mais toujours moins que les hommes.

Le tournant de la Grande guerre

La guerre de 1914-18 est un vrai tournant. Les femmes découvrent le monde de l’usine, qui se transforment pour les accueillir : adjonction de crèche, plus de propreté, présence de surintendant d’usine pour vérifier la juste part entre vie professionnelle et vie domestique des femmes, … Elles y rencontrent d’autres femmes, créent des cercles de sociabilités, n’hésitent pas à se mettre en grève et à manifester (dès 1917)… Après guerre, elles gardent une volonté d’indépendance mais la Chambre bleu horizon souhaite relancer la natalité en remettant les femmes au foyer. Le souvenir de cette indépendance n’est pas oublié : il se retrouve dans les tenues, les jupes plus courtes, les cheveux à la garçonne dans l’entre-deux-guerres. A cette époque, les femmes pénètrent plus le monde des usines et améliorent leur salaire.

La tertiarisation

C’est un secteur gigantesque qui regroupe les infirmières, en plein développement, et les emplois de bureau : sténodactylo, par exemple. Ce sont les « demoiselles du poste » ou « demoiselles du téléphone » comme dit Proust. La bourgeoisie désargentée par la guerre se résout alors à l’idée de ce travail des femmes. L’école Pigier, qui apprend la Sténodactylo écrit sur ses grandes affiches publicitaires : « vous ne pouvez pas doter vos filles, envoyez les à l’école Pigier ». Après la 2nde guerre mondiale, le monde devient « un dédale de bureaux ». L’économie a besoin des femmes… mais même les femmes mariées ? En principe, jusqu’en 1960, il faut l’accord du mari pour travailler. En 1906, une loi indique qu’elles peuvent percevoir directement leur salaire. Avant, c’était en principe le mari qui percevait le salaire de sa femme… Même si certain patrons paternaliste préféraient le verser aux femmes, manière d’éviter que les 2 salaires passent dans la boisson. On retrouve donc encore l’idée de don/contre-don et la mise à l’écart des échanges monétisés.

En guise de conclusion

Pour conclure, Michelle Perrot fait un état des lieux du travail des femmes aujourd’hui. Le Baccalauréat féminin n’existe qu’à partir de 1880 et ce n’est qu’à partir de 1924 que le baccalauréat est le même pour les filles et les garçons. Simone de Beauvoir a passé l’agrégation de philosophie en 1929. L’accélération est aujourd’hui considérable. Le travail des femmes est même devenu la norme. Entre 45 et aujourd’hui, les taux d’activité des hommes et des femmes n’ont cessé de se rapprocher. La France est à la fois un des pays qui a un des plus fort taux d’activité et un des plus fort taux de natalité. Il y aussi de plus grandes égalités dans beaucoup de domaines… mais subsistent des inégalités dans les salaires, de l’ordre de 20%… une des raison est qu’elles n’osent pas faire les mêmes métiers, qu’elles sont plus souvent que les hommes à temps partiel, notamment parce qu’à 85% les familles monoparentales sont féminines.

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