Suprématie 2050 …. Mercredi 9 novembre 2052. La Chine, après une partie haute en couleur, a réussi à s’imposer comme la première puissance mondiale. Les États-Unis et l’UE sont nettement devancés, tandis que la Russie a été vassalisée.

 

Retour en arrière, 30 ans plus tôt

 

Pierre Razoux s’apprête à lancer une nouvelle partie de son jeu de stratégie, « Suprématie 2050 »[1]. Les équipes sont au nombre de 4, des binômes, qui se sont constitués avec des joueurs qui ne se connaissaient pas quelques minutes plus tôt. Pourquoi 4 ? C’est la base retenue par le créateur des puissances à même de se lancer dans cette course à la domination mondiale. Chine, Russie, États-Unis et Union Européenne sont à ce jour les seules entités capables d’espérer dominer le monde, d’imposer leurs vues, y compris par la force si nécessaire. Espaces latino-américains, d’Asie du Sud, espaces africains ou encore Proche et Moyen Orient sont autant de régions disposant d’atouts, certes, mais pas au point de devenir autre chose que des enjeux pour les puissances. Quant au Japon, au Royaume-Uni, à l’Union indienne, au Canada ou à l’Australie, ce sont des puissances incomplètes, qui ne peuvent espérer être des acteurs centraux de la domination. Mais, pour ces pays, incluant une péninsule coréenne toujours dangereusement instable, la certitude que les quatre grands espaces de puissance engagés dans la course à la domination essayeront de les rallier à leur cause. Leur centralité est de fait essentielle pour quiconque espère imposer ses vues sur notre planète bleue.

 

Les puissances secondaires tant convoitées ….

 

Planète bleue ; la carte qui se déploie sous nos yeux ne laisse aucun doute. Reprenant les approches d’un Mackinder, totalement assumée par Pierre Razoux, cette carte met en scène le rôle central des espaces maritimes, ceignant des espaces continentaux massifs. Thalassocraties contre puissances continentales à grands coups de heartland et de zones de frictions. Nous y sommes. Une simulation des logiques de puissance couvrant une fenêtre de 30 ans. Puissance diplomatique, culturelle, militaire, économique. Course à l’espace, organisation de JO. Interventions militaires, opérations de déstabilisation. Attentats d’écologistes radicaux, attaques cyber, pandémie instrumentalisée. Réchauffement climatique.

Nous ne savons pas ce qui nous attend, mon compagnon et moi mais la Chine est prête à relever le défi.

Les explications ont été assez longues mais, comme le créateur nous l’avait dit, les règles sont finalement très simples. À tour de rôle, nous utilisons une carte d’action. Il y en a 6 et chaque puissance dispose des mêmes. Il faudra donc faire des choix. Quand lancer une guerre économique ? Quand lancer un assaut amphibie ? Quand tenter une action diplomatique ? Et si nous essayions de nous lancer dans une course à l’espace ? Ou dans une action d’espionnage ? À moins que l’intervention militaire terrestre soit la clé pour ce tour ?

Une fois la carte d’action jouée, il nous reste à choisir l’une des trois voies proposées par le destin. Parfois c’est un territoire qui nous tend les bras. Parfois une découverte technologique majeure nous permettra de passer devant les autres. Mais la vie réserve son lot de surprises plus néfastes. Une pandémie, une catastrophe nucléaire, une inondation géante ou une crise alimentaire mondiale peuvent totalement venir rebattre les cartes.

Le but demeure la victoire par la domination. Très vite, nous comprenons toute la richesse de l’expérience, et les tours qui défileront seront l’occasion de mesurer combien nous étions en réalité loin du compte. Les voies sont multiples. Nous allons marquer des points pour définir le vainqueur en fonction de notre capacité à acquérir des ressources alimentaires, minières, énergétiques. Mais il nous faudra aussi veiller à faire croître nos connaissances, à imposer notre tempo dans la course à l’espace et à inciter le monde à nous admirer. Premiers sur la phase cachée de la Lune, organisateurs de JO, premiers à mettre en place un vaccin universel et voici que nous progressons sur l’échelle de prestige. Mais gare à une campagne de déstabilisation, à un accident nucléaire fomenté par un adversaire … car cette renommée peut très vite dégringoler et nous faire devenir des parias et donc perdre des points lors du décompte final.

Prêts pour la course à l’espace ?

 

Suprématie 2050 – 6 tours, quinze ans : les débuts difficiles de la grande marche en avant

 

La partie débute. Concertations de rigueur

 

Le destin est de nôtre côté. Nous allons commencer la partie. Très vite nous nous mettons d’accord avec mon compagnon d’aventure : la Chine se lance dans la course à l’espace. Être les premiers à bâtir la nouvelle station internationale voire, si les dés sont favorables, à aller sur la face cachée de la Lune. Nous prendrions immédiatement un ascendant sur l’échelle de prestige.

Je lance le dé à 6 faces, l’arme principale de « Suprématie 2050 ». 1. C’est un échec total. La partie commence mal. Les Européens nous imitent, suivis par les Américains. Personne ne parvient à décoller vers l’espace. Les Russes optent pour une approche différente : s’assurer une porte vers l’Océan indien. Et oui, c’est que chaque puissance a des objectifs cachés. Il ne suffira pas d’être les premiers sur l’échelle de prestige, il faudra aussi remplir des missions secrètes pour espérer marquer plus de points lors du décompte final. Pour la Russie, visiblement, ceci passe par une extension vers des espaces maritimes plus ouverts.

Les tours défilent. Nous décidons pour la Chine de nous centrer sur la constitution d’un vaste espace sous notre domination, afin d’assurer nos approvisionnements. Nous manquons de pétrole, ce qui sera un fardeau tout au long de la partie. Fort heureusement nous parvenons petit à petit à imposer notre flotte comme la reine de l’Océan indien et à nous ouvrir une porte vers la Mer Rouge avec, en ligne de mire, le Canal de Suez. Les Européens s’y sont installés rapidement, en contrôlant tout le bassin méditerranéen. La partie sera serrée. Les Russes progressent vite et nous contestent la domination en Asie Centrale. L’Union indienne est pour nous deux une cible et donc le moment de quelques tensions, incarnée par une guerre commerciale. La crise coréenne n’est pas résolue et Taïwan reste un mirage. Mais nous gardons le cap. Taïwan sera nôtre, un jour.

15 ans plus tard, état des lieux des puissances

 

6ème tour, fin du premier cycle de 15 ans. Nous avons joué une heure et demie environs. La pause est l’occasion de lancer des négociations. Nous partons dans le couloir sonder les Européens. Ils ne lâcheront rien. Nous avions proposé la Turquie contre Suez. La Turquie était tombée dans notre sphère de domination par effet d’aubaine. Suez pouvait nous assurer des « Routes de la Soie » sécurisées. C’est le seul chainon manquant. L’UE est intraitable. Place donc à une négociation avec la Russie. Cette dernière est enfermée dans un conflit autour du détroit de Béring avec les USA. Devant l’avance prise par les Russes dans la course à l’espace avec leur station spatiale, puis le premier homme sur la face cachée de la Lune, Moscou est la cible des Européens et des Américains. Nous tentons quelque chose. Un pacte de non-agression et la garantie de nous laisser l’Union Indienne. En échange, la Turquie, ce qui devrait permettre à Moscou de pouvoir régler la question ukrainienne. Ils ne peuvent nous affronter tous les trois. Ils acceptent, ce qui nous laisse l’espoir, selon la tournure des événements, de vassaliser la Russie le moment venu. Au pire, ils nous laisseront tranquille pour l’Océan indien.

Nous sommes à mi-partie de Suprématie 2050. C’est encore serré et tout est jouable. Nous sommes dans une posture méthodique. Avancer, profiter des opportunités, mais ne pas être agressifs. Se faire oublier. Le moment venu, exploiter toute faiblesse et accélérer. Les Européens sont en train de contrôler l’essentiel du continent africain, ont récupéré le Royaume-Uni et l’Australie. Les États-Unis ont trouvé le vaccin mondial, ils seront immunisés lors de la prochaine pandémie. L’intégralité du continent américain est en passe de passer sous leur domination et ils sont largement en tête sur l’échelle de prestige. Les Russes sont en avance sur le plan des technologies militaires, de la course à l’espace et disposent d’immenses réserves de ressources. Nous maîtrisons l’océan indien et la flotte chinoise est à même de contester la suprématie américaine. Mieux, nous avons pris le contrôle du Japon au nez et à la barbe des Américains.

 

6 nouveaux tours, 15 nouvelles années : au milieu des conflits de puissance, le brusque réveil chinois

 

Seconde séquence de quinze ans. Tout s’accélère. Technologies de rupture, tensions montantes, course à l’espace, Proche et Moyen Orient comme zone de contact des puissances. Le Rimland dans toute sa splendeur.

Petit à petit les tensions se cristallisent entre Européens et Américains pour le contrôle de … l’Islande. Ce territoire devient l’enjeu d’un conflit qui les monopolise. Les Russes finissent par prendre le détroit de Béring et menacent de déstabiliser le Canada. Les événements s’accélèrent. Les Européens imposent un embargo mondial sur la péninsule arabique. Nous allions justement la récupérer pour la Chine. Ce sera le cas, grâce à notre puissance navale, mais sans le pétrole qui va avec. Première tentative de notre côté pour récupérer Taïwan. Les Européens sabotent notre tentative et c’est un échec. Les Américains donnent l’arme nucléaire à Taïwan, à la péninsule arabique. Seule la diplomatie permettra maintenant de s’emparer de ces territoires. Les Américains, après de multiples hésitations, lancent une nouvelle pandémie, en la faisant partir de la Chine, ce qui n’est pas très bon pour notre prestige. Ils sont immunisés, pas les autres puissances. La Russie est acculée par les Occidentaux. Il faut dire que le califat islamique 3.0 lancé par les européens au cœur du Moyen-Orient est très déstabilisateur.

La Chine patiente. Enfin, une fenêtre s’ouvre. Nous avons tiré de bonnes cartes et décidons d’accélérer. Nous écrasons toute concurrence dans la course à l’espace et finissons les premiers sur Mars. Notre prestige explose, malgré la pandémie. Nous nous emparons de Taïwan, à la surprise générale, par la diplomatie. Un chef charismatique arrive au pouvoir à Beijing et nous profitons des bonus offerts.

Les derniers tours confirment la tendance. La Russie, acculée par les Occidentaux, a été vassalisée. Notre accélération a été fatale. Personne ne peut plus contester notre victoire.

2052. C’est fini pour cette découverte de « Suprématie 2050 ». La Chine a gagné avec ses 31 points, soit mieux que les trois autres puissances réunies. Finalement notre force a été notre cohésion et notre capacité à nous faire oublier. Nous avons connu des échecs (la péninsule coréenne reste un espace de crise par exemple) mais nous avons su, lorsque c’était nécessaire, faire le dos rond sans jamais perdre de vue nos objectifs.

 

***

Mercredi 9 novembre 2022. Retour sur Terre

 

Que retenir de cet excellent moment ? Le jeu et le maitre du jeu, Pierre Razoux, ont été les ingrédients premiers de cette réussite. Simple par ses mécanismes, « Suprématie 2050 » est très équilibré et très pédagogique. L’animateur tient une place importante et permet de faire vivre les crises que nous traversons en soulignant la proximité avec des faits d’actualité.

Au-delà de l’uchronie, force est de constater que de nombreuses situations ont été tout à fait crédibles. Bien entendu, la domination finale de l’Australie par la Russie ou de l’Ukraine par la Chine ont pu étonner. Mais de la doctrine Monroe 2.0 aux ambitions européennes en Afrique, de la course aux technologies, à l‘espace, aux ressources, au soft power, tout s‘est enchainé de façon limpide et convaincante. Suprématie militaire ne signifie pas victoire. Suprématie technologique, maitrise des espaces maritimes, sont des clés majeures, mais pas déterminantes à elles seules. Les zones de friction n’ont pas véritablement variées, il y a eu des interventions militaires, mais personne n’a voulu enclencher le décompte funeste de l’échelle de tension nucléaire (au pire moment nous étions en DEFCON 4, 5 étant le niveau le plus paisible). Les Européens ont bien hésité à laisser le califat 3.0 dans l’Arabie nucléarisée, mais se sont finalement ravisés.

Surtout, il apparait que sans alliance, personne ne peut espérer l’emporter. Il faut négocier et savoir lâcher du lest. Les échecs font partie de la vie, il faut savoir les dépasser. Mais, encore plus, le jeu permet de se rendre compte de l’importance des choix. Choisir la meilleure voie ou la moins pire, est au cœur de cette simulation. Tout le monde peut gagner. Un événement complètement inattendu peut rebattre toutes les cartes. Pour faire gagner son camp, parfois il faut prendre des décisions cyniques, moralement répréhensibles. Autant de clés de lectures tout à fait cohérentes avec les évolutions actuelles de notre monde.

« Suprématie 2050 » permettra assurément, une fois disponible dans le commerce, à des enseignants de pouvoir jouer avec des élèves et faire découvrir des notions de géopolitiques. Le potentiel est immense. De mon côté je l’accompagnerai de mon mieux, avec des pistes pédagogiques, des scenarios adaptés à un usage en classe. C’est une certitude : je désire ardemment y faire jouer des élèves.

***

***

[1] Pour en savoir plus sur l’atelier Wargame du FMES : https://fmes-france.org/reflexion/wargames-et-seriousgames/