Maurice Cuquel est un photographe professionnel au CV déjà bien rempli. Ce passionné de photographie argentique en noir et blanc a déjà régulièrement exposé dans des festivals (mais aussi dans des écoles, médiathèques et prisons, afin de démocratiser l’accès à la culture) sur des sujets chauds qui le passionnent (l’Albanie en quête d’identité, Cuba, la mémoire du génocide au Cambodge, la mystérieuse Transnistrie) mais aussi sur d’autres plus tranquilles (le jeu d’échecs en Arménie).

 

Cliché de Maurice Cuquel, 2015 (camp de Sahraouis en Algérie)

 

L’exposition ici présentée est le fruit de 5 séjours de terrain au côté des réfugiés du Sahara Occidental, du côté de l’Algérie et du Front Polisario. Il convient tout d’abord de rappeler la genèse du conflit qui entoure ce territoire. En 1975, avec la mort de Franco, le Sahara occidental, alors connu comme le Sahara espagnol, prend son indépendance. Mais il est immédiatement annexé par son voisin du Nord, l’ancien Maroc français, décolonisé 19 ans plus tôt et qui estime qu’avant la venue des Français, ce territoire avait prêté allégeance au sultan du Maroc. L’annexion n’est pas reconnue par la communauté internationale, qui se divise, entre des États soutenant le Maroc (dont la France, pour laquelle l’ancienne colonie marocaine est devenue un partenaire de choix pour peser en Afrique) et d’autres États, notamment africains et latino-américains mais aussi asiatiques (Vietnam) qui reconnaissent encore le Sahara occidental comme un État. Dès 1976, le Front Polisario qui lutte pour l’indépendance du Sahara occidental devient de fait le gouvernement de la République Arabe Sahraouie Démocratique. Il se replie en Algérie, qui lui apporte son soutien; aujourd’hui, 160 000 Sahraouis vivent dans les camps de réfugiés en Algérie. De son côté, le Maroc, pour se protéger de ceux qu’il qualifie de «  terroristes », a fait construire un immense mur de sable qui protège les 80 % du territoire qu’il contrôle le long du littoral. Il y exploite en particulier les plus grandes réserves de phosphate du monde mais aussi les ressources halieutiques (en partie concédées à des Européens) ; il y a développé l’agriculture et de plus en plus le tourisme.

 

De l’autre côté du mur, dans un désert très aride, vivent les réfugiés. Ils ont fui leurs villes et villages et créé des camps de réfugiés qui gardent l’ancien nom de ces villes et villages, conduisant à un dédoublement de la toponymie (exemple : Dakhla). L’exposition présente en une vingtaine de clichés leur vie quotidienne, à travers plusieurs thèmes (l’isolement et le dénuement du paysage, l’école, la santé et l’eau), ponctués de photographies métaphoriques des chemins qui s’offrent à ce territoire entre reprise de la lutte armée et tentation de faire confiance à la communauté internationale, qui a pourtant échoué à résoudre ce conflit depuis près de 50 ans. Les paysages sont lunaires et les corps meurtris ; le noir et blanc, en jouant des contrastes, fait ressortir les blessures. Le Sahara occidental s’organise ; dès le début, des écoles ont été mises en place, délimitées par de simples cailloux au sol en attendant de construire de vraies salles de classes, certes rudimentaires. Les enfants apprennent le dialecte arabe local mais aussi l’espagnol, langue de l’ancien colonisateur, et de plus en plus le français, qui permet d’étudier en Algérie, le dernier pays qui soutienne vraiment le régime depuis la chute de l’URSS et le déclin de Cuba et de la Libye. Les Basques et Catalans financent aussi des hôpitaux et des écoles ; ils n’étaient pas plus présents que les autres Espagnols dans ce territoire mais il se crée une forme de solidarité entre des peuples voulant leur indépendance ou du moins un véritable statut d’autonomie. Par-delà les difficultés, le Sahara occidental se développe tant bien que mal, en construisant un réseau électrique, en organisant des distributions d’eau à raison de moins de 18 litres par jour et par personne. Les enfants sont pleins de vie et, sous le drapeau du pays qui flotte, incarnent l’avenir d’un peuple éprouvé. Il cherche à revenir sur sa terre, en quittant le paysage lunaire qui lui est infligé.

 

L’exposition fait réagir et Maurice Cuquel sait faire preuve de pédagogie quand son travail peut être abîmé par une personne d’origine marocaine qui ne comprenait pas la carte illustrant l’exposition et présentant le Sahara occidental comme une région en partie occupée et en partie autonome et non simplement comme les « provinces du sud » classiques de la vision marocaine. L’exposition vise à sensibiliser et sur ce point-là, comme sur le plan artistique, elle a parfaitement atteint son objectif.