Le 27 mai dernier, le gouvernement français, par le biais de son service d’information (SIG), a récemment diffusé une courte vidéo générée par intelligence artificielle pour célébrer la Libération de la France. L’intention pouvait sembler louable. Le résultat, lui, a fait grincer des dents, comme ont pu le noter de nombreux médias (Le Monde, Libération, Le Figaro)
Une initiative qui passe mal
Cette vidéo, censée rendre hommage à l’un des moments les plus forts de notre histoire nationale, est truffée d’erreurs historiques — repérées et dénoncées notamment par des créateurs comme Nota Bene ou Yann tout court.
Des erreurs qui font tache
Des soldats allemands présentés comme des libérateurs. Un drapeau japonais dans les rues de Paris en aout 1944. Des images qui confondent allègrement le Débarquement, la Résistance et la Libération de Paris. Bref : un vrai condensé d’approximations.
Quand on parle d’un sujet aussi sensible que la Seconde Guerre mondiale, on ne peut pas se permettre ce genre de légèreté. Ce n’est pas juste une erreur de communication : c’est une faute de mémoire.
Et pourtant, des ressources, il y en a
Le plus étonnant, c’est que l’État a tout ce qu’il faut pour bien faire : des kilomètres d’archives, des images d’époque disponibles à l’INA, des experts dans les musées, les universités, les services d’archives.
Et s’il s’agissait de parler autrement, de toucher un public plus large ? Là encore, la France ne manque pas de talents. Il existe des créateurs de contenus historiques — dont c’est le métier de raconter l’histoire en vidéo, avec sérieux et pédagogie. Pourquoi ne pas les solliciter ?
Pas de transparence, pas d’explication
Autre problème : cette vidéo a été publiée sans le moindre avertissement ou contextualisation, si ce n’est la petite notice « Notice sur l’IA » ajouté par Instagram. Aucun encart ne signale quel langage a été utilisé, ni quel outil. Espérons au moins qu’il soit français…
Dans un contexte de défiance croissante envers les images, cette absence de transparence n’est pas neutre : elle mine la confiance, brouille les repères, et donne le sentiment que la technologie prime sur l’information.
Un très mauvais signal envoyé aux jeunes (et à leurs professeurs)
Ce choix envoie aussi un signal très négatif à tous ceux qui, comme nous, essayent d’éduquer aux images et aux usages de l’intelligence artificielle.
La vidéo tombe au moment où de nouveaux programmes d’Éducation aux Médias et à l’Information viennent d’être publiés avec un accent fort mis sur l’IA. Coïncidence malheureuse ? Peut-être. Mais c’est surtout une occasion ratée.
Comment demander à nos élèves d’être vigilants face aux contenus générés par IA… si l’exemple donné par l’État est, lui-même, bancal ?
Un symptôme plus large
Cette vidéo n’est pas un accident isolé. Elle illustre une tendance plus large : une forme de banalisation de l’usage de l’IA dans la communication publique, sans réflexion sur ses implications.
Ce n’est pas l’IA en elle-même qui pose problème. C’est l’absence de cadre, de pédagogie, de responsabilité dans son emploi. Quand l’institution publique s’autorise ce que l’on déconseille à nos élèves, il y a un vrai souci.
L’innovation ne doit pas rimer avec approximation
Les Clionautes défendent depuis longtemps une innovation pédagogique qui fait appel à l’esprit critique. L’intelligence artificielle peut être un outil utile — à condition d’être bien utilisée.
Ce n’est pas la technologie qui pose problème ici, c’est la paresse. Le fait de croire qu’on peut générer une vidéo sur un sujet aussi complexe sans accompagnement humain, sans validation, sans réflexion.
Moins une vidéo est longue, plus elle doit être précise. Le format court n’excuse ni l’erreur, ni l’approximation.
Ce que cette vidéo rate, en réalité
Avec cette vidéo, on abîme la mémoire. On brouille les repères. On discrédite les outils numériques qu’on essaie justement d’expliquer et d’encadrer.
Et on laisse de côté tous ceux qui travaillent, souvent dans l’ombre, à transmettre cette histoire : les enseignants, les chercheurs, les médiateurs, les vidéastes.
Un appel simple, mais nécessaire
Alors oui, utilisons l’intelligence artificielle si cela permet d’innover, de transmettre autrement, de toucher plus de monde.
Mais faisons-le avec sérieux. Avec les bonnes personnes. Et avec le souci constant de respecter notre histoire.
La Libération de la France mérite mieux qu’une séquence générée à la va-vite. Elle mérite des récits justes, exigeants, portés par des humains.
Et ça, nous sommes nombreux à pouvoir — et à vouloir — le faire.