« A la rencontre de Néandertal », film documentaire.

 

Durée : 52’ – Année : 2019 Réalisé par : Rob Hope – Pascal Cuissot Produit par Fred Hilgemann Films / ARTE France / France 3 Hauts-de-France / Inrap

 

« Brute épaisse », « Homme-singe », les stéréotypes qui concernent l’homme de Neandertal sont encore nombreux parmi le grand public. Pas pour les chercheurs, anthropologues comme archéologues, qui depuis des décennies s’attachent à nous faire mieux connaître et comprendre cette autre humanité avec laquelle nous avons coexisté pendant près de 4000 ans. Le documentaire de Rob Hope et Pascal Cuissot s’inscrit dans cette lignée des nombreux reportages qui font le point des connaissances sur Homo Neandertalensis.

Rappelons que Neandertal est cette espèce humaine qui a vécu en Europe et en Asie pendant près de 400 000 ans avant l’arrivée d’Homo Sapiens.

La recherche a beaucoup avancé ces dernières années et permis non seulement de préciser davantage la morphologie de Néandertal, mais aussi de mettre en évidence ses remarquables facultés d’adaptation dans un environnement climatique marqué par plusieurs glaciations.

 

Un Homme adapté au froid et aux changements climatiques

Apparemment, Neandertal disposait de tout l’équipement biologique nécessaire à la lutte contre des températures souvent très basses. Nez large, proéminent, forte cage thoracique : Néandertal avait la capacité d’absorber d’importantes quantités d’air afin d’oxygéner au maximum son sang et trouver ainsi l’énergie nécessaire pour lutter contre le froid.

Mais l’adaptation, selon les chercheurs, vient aussi de la maîtrise dont ont fait preuve ces hommes, dans la taille des silex servant à fabriquer armes et outils. Le débitage des silex selon la technique dite « Levallois », montre bien évidemment leur aptitude à anticiper en travaillant l’objet et révèle des capacités cognitives importantes.

Biface « Levallois ». Paléolithique moyen.

Le reportage insiste également sur le fait que durant sa longue présence sur terre, Néandertal a été confronté à de nombreux changements climatiques, appelés périodes interglaciaires. Alternance de refroidissements et de réchauffements relatifs transformant les écosystèmes, les biotopes et obligeant Néandertal à s’adapter à des milieux tantôt ouverts (steppes boréales), tantôt beaucoup plus fermés (forêt boréale).

 

 

 

Une intelligence du territoire : quand nomadisme ne signifie pas errance

Les fouilles les plus récentes que ce soit sur les sites de l’île de Jersey (qui n’en était pas une aux périodes glaciaires), de Caours au sud-ouest de Lille ou de la grotte Mandrin dans la vallée du Rhône, attestent d’une remarquable utilisation du territoire. A Caours a été mis au jour, ce qui ressemble à un site de boucherie, de dépeçage, donc des animaux destinés à être préparés et consommés plus loin. Sur le promontoire de Jersey, aucun gisement de silex, ce qui tend à prouver que les Hommes allaient en chercher vers des lieux plus éloignés. Les espaces de chasse, d’habitat et d’abattage semblent distincts.

Les néandertaliens étaient clairement des nomades, mais comme le dit justement Ludovic Slimak, archéologue au CNRS, dans le reportage,  » nomadisme ne signifie pas errance ». Car plutôt que d’imaginer des groupes, suivant vaille que vaille les migrations du gibier, il faut davantage concevoir des petits groupes d’hommes se déplaçant sur des territoires certes vastes mais pas infinis.

Ce sont probablement les fouilles de la grotte Mandrin, un abri sous roche non loin des berges du Rhône, qui sont à cet égard, les plus signifiantes. Et ce pour plusieurs raisons. Ce site a été occupé pendant 80000 ans, de 120000 à 40000 environ ! Mais de manière tout à fait temporaire, avec des séjours parfois courts, quelques jours, parfois plus longs, plusieurs mois, avec également des périodes de non fréquentation sur plusieurs dizaines d’années.

Plus troublante encore est la découverte sur ces lieux et aux mêmes périodes, de silex d’origine très différente, dont aucun n’était local. Certains spécialistes avancent ici l’idée d’un lieu de rencontre, d’échanges entre les groupes. Probablement d’échanges de femmes afin d’éviter la consanguinité, maintenir la diversité génétique, revitaliser le groupe.

Ces grands chasseurs nomades, mais capables d’utiliser de façon différenciée leur territoire, avaient forcément une organisation sociale déjà assez poussée, leur permettant de planifier leurs activités. Ce qui pose du coup la question du langage, de l’échange dans le groupe, mais aussi des pratiques culturelles.

 

Quelles formes de langage ? Quelle intelligence ? Quelles pratiques culturelles ?

Ces questions essentielles, en ce qu’elles renvoient à l’essence même de ce qu’on appelle l’humanité, le reportage les aborde clairement, en donnant la parole aux scientifiques.

Néandertal émettait-il de simples grognements ou utilisait-il un langage articulé ? Et ce langage était-il suffisamment sophistiqué pour élaborer des concepts ? L’aptitude anatomique au langage ne semble guère faire de doute. L’appareil vocal est assez similaire à celui de Sapiens, sauf pour le larynx situé plus haut, ce qui donnerait à la voix, et contrairement aux idées reçues, une tonalité plus aigüe. Difficile pourtant de savoir si ce langage était vraiment élaboré, pourvu d’une syntaxe, d’une grammaire. L’étude du cerveau de Neandertal, se résume à l’observation de la boîte crânienne. Un front plat, un sommet plat et allongé, des bourrelets sus orbitaires massifs. Le cerveau de Néandertal était plus gros que celui de Sapiens, mais conformé différemment, avec notamment des lobes frontaux moins développés, ce qui indique une aptitude plus restreinte au langage, à la pensée affective. Mais au vu de son organisation sociale tout de même assez élaborée, Néandertal devait selon les chercheurs, disposer d’un langage, même fruste.

Selon Steven Mithen (archéologue, université de Reading, Angleterre), les processus de cognition dépendent aussi de la culture matérielle qui sous-tend et accompagne le développement de la pensée. Et cette culture matérielle apparaît (dans l’état actuel des recherches) tout de même assez pauvre, quand on la compare à celle de Sapiens.

Une structure circulaire édifiée par Néandertal, il y a 175 000 ans. Grotte de Bruniquel (Aveyron).

Néandertal avait -il développé une pensée symbolique, avait-il une perception de lui-même et des autres ? Et Ludovic Slimak fait observer que l’on n’a jamais retrouvé chez Néandertal, d’éléments de parure, de perles, de colliers qui pourraient attester d’un regard différencié porté sur lui ou ses congénères. Certaines découvertes cependant interpellent comme ce monumental empilement d’os de mammouths entreposé au fond de l’abri du promontoire de Jersey. La façon de les organiser ne répondant pas seulement pour Matt Pope, géoarchéologue, à de simples besoins de stockage. Plus spectaculaire encore, la découverte au fond de la grotte de Bruniquel, d’une structure architecturale circulaire formée de 400 morceaux de stalactites,et datant de 175 000 ans.

Mais faute  de preuves matérielles plus concrètes, il est difficile d’apporter des réponses un peu précises dans ce domaine de la pensée, des croyances, des représentations symboliques.

 

La rencontre avec Sapiens et la disparition d’une espèce

La grotte de Mandrin à Malataverne (Drôme). Site d’occupation néandertalien et sapiens.

Il y a 45 000 ans, Sapiens arrive en Europe sur un territoire occupé depuis 400 000 ans par Néandertal. Les deux espèces vont coexister pendant 4000 ans environ, puis Néandertal va disparaître… complètement, définitivement. La communauté scientifique débat depuis des décennies pour trouver les raisons de cette extinction.

Pour synthétiser toutes les hypothèses, le reportage revient sur la grotte de Mandrin, occupée par un groupe pionnier de Sapiens ainsi que l’atteste la découverte d’outils sophistiqués, puis délaissée pendant une dizaine d’années et réinvestie alors par Néandertal. Ont-ils pu se rencontrer ? Une chose est certaine, après -42000, plus aucune trace d’occupation néandertalienne.

Cependant, le documentaire ne creuse pas les différents scénarios, se contentant d’en rappeler certains, comme la faible diversité génétique de Néandertal, sa fécondité en baisse dans les derniers millénaires. Au fond, peut-être que Sapiens n’est pour rien dans la disparition de Néandertal. Certains chercheurs allant dans ce sens en évoquant une culture matérielle très, trop stable, et empêchant l’innovation. Mais ce « conservatisme culturel » peut-il suffire à expliquer l’extinction ?

Enfin est posée la question de l’hybridation, car nous savons aujourd’hui que ces espèces se sont rencontrées et ont par accouplement, mêlé leur patrimoine génétique.

Comme toujours, l’explication unique n‘est pas satisfaisante et c’est probablement un ensemble complexe de facteurs qui a entraîné la disparition de Néandertal… qui vit cependant un peu en nous, puisque les humains non-africains possèdent entre 1 et 2 % de gênes néandertaliens.

 

« A la rencontre de Néandertal » est un bon documentaire, très solide scientifiquement, qui compense le manque de moyens techniques propres à des reconstitutions spectaculaires, par un scénario didactique et bien construit, un montage intelligent donnant rythme et fluidité au propos comme aux images qui l’accompagnent. Il passera en décembre sur la chaîne Arte.

Au delà de l’intérêt proprement scientifique, ce film a le mérite de nous faire découvrir cette autre humanité qu’a été Néandertal et il nous renvoie par là-même au regard que l’Homme d’aujourd’hui porte sur ses semblables quand ils sont différents.

Richard Andrieux, lycée Lacroix, Narbonne.