Le « rapport d’étonnement » 2021-2022 du cycle d’auditeurs de l’IH2EF (Institut des hautes études de l’éducation et de la formation) s’intéresse à la laïcité et aux valeurs de la République, deux sujets que notre association ne pouvait laisser de côté. Certes, ce rapport n’a pas de portée exécutoire, il n’émane ni de l’IGÉSR, ni du ministère et il ne prétend nullement compléter la littérature abondante produite par le Conseil des sages de la laïcité, à commencer par le fameux Vademecum. Comme il le dit lui-même dans les premières pages, le rapport vise surtout à donner une information synthétique aux futurs hauts cadres de la fonction publique, notamment ceux qui ne travailleront pas dans l’Éducation nationale. Ladite information synthétique combine ainsi rappels historiques et juridiques, état des lieux, regards croisés des acteurs de l’éducation du primaire à l’Université, etc. Elle recueille le bilan de plusieurs mois d’échanges, d’analyses et de visites menés par les auditeurs de l’IH2EF. Le texte donne donc à voir une série de représentations sur l’école, telles qu’elles se construisent et circulent parmi ceux qui en sont les cadres dirigeants. Rien que pour cela, le rapport mérite qu’on s’y arrête.

Premier enseignement : les atteintes à la laïcité ne sont ni graves, ni fréquentes.

À rebours de ce qu’en disent les journaux ou de nombreux enseignants depuis plusieurs années, le rapport brosse un portrait globalement optimiste de la situation. À l’Université par exemple, les atteintes à la laïcité sont « infinitésimales » (p. 12) et si l’on note une « multitude de revendications » dans le primaire et le secondaire, l’ajout de l’adjectif « sporadique » (p. 21) en diminue immédiatement l’importance. Les remises en cause de tel ou tel enseignement « peuvent apparaître comme anecdotiques, ne posant pas de réel problème  » (p. 22). « En effet, une demande d’exception ne signifie pas une remise en cause du principe de laïcité » (p. 22).

Même si ce n’est pas exactement l’objet du rapport, les auditeurs ont tenté d’expliquer, en creux, les facteurs de cette inflation du religieux à l’école.

Deux grandes causes émergent :

  • Certains familles reportent sur l’école leurs habitudes de consommateurs. Elles s’attendent à recevoir un accueil personnalisé et s’étonnent que la laïcité ne permette aucune souplesse.
  • La revendication religieuse trahit une demande de reconnaissance sociale, « identitaire et citoyenne ». D’une certaine façon, la laïcité n’est pas le sujet. « Le vrai problème est la difficulté à construire une société inclusive et plus juste » (p. 22), élément qui clôt d’ailleurs la conclusion.

Deuxième enseignement : une application à géométrie variable

Ce point est abondamment souligné. D’abord, une longue partie est accordée à toutes les dérogations territoriales d’application en Alsace-Moselle, Mayotte et en outre-mer (pp. 13-17). La Bretagne est présentée comme bénéficiant d’ un régime atypique dans cette même partie.

Ensuite, factuellement, les accommodements existent. On ne sait pas exactement de quoi il retourne mais des « zones grises » à l’université (p.12) et ailleurs sont déjà là, parfois couvertes par le tribunal administratif au nom des « circonstances locales » (p. 21). Elles sont soulignées en conclusion des parties dédiées à la cantine, aux signes religieux et aux critiques des enseignements (p. 22).

Troisième enseignement : une mise en difficulté des personnels

Finalement, les problèmes autour de la laïcité interrogent surtout ce que le législateur et les agents publics en font.

Cette petite musique résonne à plusieurs niveaux :

  • dans la critique de « l’inflation normative » autour de la laïcité (p. 23),
  • dans l’incapacité de certains agents à connaître les règles en vigueur (p. 12),
  • dans la difficulté de discerner ce qui relève d’une réelle atteinte à la laïcité et ce qui est manifeste de la révolte de l’adolescent (p. 21).

La solution, comme de coutume, tient en un mot : la « formation ». On le sait, cela avait été la seule réponse institutionnelle après l’assassinat de Samuel Paty. On accréditait ainsi indirectement que les « événements survenus au collège du Bois d’Aulne » résultaient d’une « erreur », jamais explicitée d’ailleurs, de notre collègue.  Le rapport évoque surtout la formation destinée aux stagiaires mais on pourrait étendre à ce qui était prévu pour la formation continue. La  formation à la laïcité, annoncée en grande pompe l’année dernière, n’a pour l’instant abouti à rien de fabuleux. Dans plusieurs académies, nos propres remontées font état d’un abandon en rase campagne des formateurs, entre dilatation des échanges, report des calendriers ou bien alors organisation à des moments improbables quand les établissements ne pourront aligner qu’un proviseur et quatre assistants d’éducation…

La laïcité est-elle un facteur de la liberté de conscience et d’expression ?

Cette question-choc, à laquelle nous sommes habitués à répondre sans ambages « OUI », trouve dans le rapport une réponse essentiellement négative.

Le texte signale le manque d’adhésion de nombreux élèves qui estiment que la liberté d’expression se retrouve trop bridée par la laïcité scolaire (p. 20), manque d’adhésion que le sondage IFOP avait confirmé cette année. Il montre que de nombreux enseignants contournent désormais ces sujets (p. 20) par crainte d’être mis en défaut. De fait, les enseignants d’Histoire-Géographie sont parmi les derniers à en parler, ce que le rapport souligne d’ailleurs dans un autre passage (p. 24). Et de fait, il n’est pas acceptable que ce type de sujet soit marginalisé dans l’école publique. Mais il se trouve que c’est le cas.

Dans sa conclusion, le rapport souligne le manque d' »incarnation » de la laïcité à l’école et le besoin de créer les conditions d’une « école plus ouverte ». Certes, il ne va pas jusqu’à soutenir le modèle finlandais (cité à plusieurs reprises) d’une éducation religieuse à l’école mais il souhaite, sans dire précisément comment, dépasser le « régime de silence » actuel. Il pointe également la différence entre les temps médiatique, politique et scolaire. Toutefois, on regrettera que le rapport contourne les grands sujets de ces dernières années : sur la question des signes religieux à l’école, n’y avait-il rien d’autre à dire que la description en cinq lignes du voile autorisé à Mayotte (p.22) ?

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