Promenade photographique, parcours d’histoire.

L’exposition qui a été présentée sur le site des Clionautes,

Une photo surprenante de la vitrine d’un magasin de chaussures que l’on peut acheter sans tickets… Au passage on se demandera si le commerçant et le photographe surtout ne faisaient pas preuve d’un certain mauvais esprit…

L’historien préfèrera les thèmes comme « les déplacements », avec ces images p. 50 et 51 par exemple de vélos taxis, de tandems et de calèches qui palliaient la pénurie d’essence. On y trouvera aussi un bus au gaz de ville et des clichés remarquables des voitures au gazogène à charbon et à air comprimé p. 101.
On imagine sans peine le questionnement des élèves devant ces équipements.
Si les voitures sont rares dans cette série de clichés, et on comprend aisément pourquoi, le vélo est omniprésent. Les parisiens se déplacent avec une rare insouciance le dimanche sur la Concorde, les déposent devant la terrasse de cafés bondés, p. 91. Il est vrai que ces véhicules étaient aussi immatriculés et portaient une plaque jaune particulièrement voyante !

Un autre thème pourra aussi être dégagé de cette visite, celui des «métiers de Paris» avec une relation particulière aux pénuries. Les présentations de cette exposition insistent d’ailleurs largement sur la quasi absence des queues devant les magasins, mais en même temps, ces visions des halles ne sont pas forcément innocentes pas plus que ces scènes où des personnes pauvrement vêtues se ruent sur les légumes abandonnés par les marchands, une fois le marché fermé. (P. 117).
On y trouve par exemple du spectacle de rue avec un acrobate boulevard des Batignolles, p. 147, des éboueurs p. 137, des forains mais aussi un porteur de bagages, p. 129. et un chiffonnier p. 116. On y verra aussi un rémouleur et un vannier.

Les scènes qui présentent les marchands des halles qui ont largement inspiré le photographe p. 106 et suivantes, sont assez ambigües. Paris ne semble pas souffrir de pénurie, et la photo des « meneurs de viande » de la page 109, semble donner raison à Hermann Goering qui expliquait que les « français bouffaient comme des cochons ». On imagine assez bien l’usage que l’on pouvait faire de ces images où le « ventre de Paris » ne semble pas se serrer la ceinture.

Sur ces deux premiers thèmes, qu’est ce que des élèves pourraient retenir ? L’image d’une France qui vaque tranquillement à ses occupations, qui ne semble pas connaître de pénuries, où les gens se déplacent et s’activent.

«Ils se distraient aussi», et les affiches de films et de spectacles sont omniprésentes. Les parisiens sont à la foire du trône ou au zoo de Vincennes et cohabitent avec des soldats allemands. Toutefois aucune image ne montre de regards échangés. Les parisiens ignorent leurs occupants qui se déplacent, sauf lorsqu’ils défilent avec discrétion.
A la pêche sur les quais de Seine ou poussant des bateaux dans les bassins du Luxembourg, les parisiens donnent ainsi une image d’insouciance. Même les amoureux tendrement enlacés du jardin du Luxembourg, page 97, semblent dans leur bulle isolés du monde, indifférents sans doute aux malheurs du temps. Pas tant que cela pourtant. Certes les français sous l’occupation se sont rués dans les salles obscures et cherchaient l’évasion mais en même temps, ils subissaient aussi les contraintes et les pénuries, et c’est dans ce domaine sans doute que le photographe, en service command n’était pas très différent de l’immense majorité de ses compatriotes. Le photographe s’évade parfois, et se laisse aller à quelques clichés romantiques, comme ces scènes de neige sur Montmartre lors de l’hiver 1942, p. 152.

Étonnante promenade où l’on passe aussi Rue des rosiers et où l’on croise ceux qui portent, depuis le 29 mai 1942, l’étoile jaune. Décontraction apparente de ces passants qui sont tout de même isolés, dans des rues désertes. À quoi pouvait bien penser André Zucca en prenant ces clichés ?

Nulle intention ici de dicter à quiconque une grille de lecture de ce catalogue de photographies et de cette exposition mais simplement le désir de donner à voir des images d’une époque à la fois lointaine et proche. Éloignée dans le temps, certes et aussi très proche par la permanence des sentiments qui s’exposent. Entre les amoureux aux cerises, (P. 160) sans doute la plus belle œuvre de la présentation et ces scènes de rues où se dessinent sur les visages des passants l’indifférence. On retrouve dans ces regards fuyants parfois, une sorte de complicité passive avec ce que ces années noires pouvaient avoir d’inhumain. Seul le sourire lumineux et engageant de cette cycliste qui pose avec son beau déhanché (p. 136) suscite l’espoir. Les vues de la libération de Paris sont également traitées avec cette précision documentaire qui ne laisse percer aucune émotion et qui relativise peut-être aussi ces scènes de liesse populaire montrées des milliers de fois.

On verrait bien pour finir un beau sujet de devoir donné à la sortie de l’exposition, ou une fois les pages de ce livre refermé après usage du rétroprojecteur. On proposera alors la formulation classique. « À l’aide des documents présentés et de vos connaissances, vous essaierez de présenter l’état d’esprit des parisiens pendant l’occupation en montrant la part de subjectivité liée au travail du photographe. »

Bruno Modica