Dans un article récent du Figaro, plusieurs animateurs de télévision et de radio, Lorànt Deutsch, Virginie Girod, Franck Ferrand et Stéphane Bern, étaient portés aux nues pour leur capacité à « faire aimer l’histoire ».  Victimes d' »injustes procès en illégitimité », de critiques « confinant à la grossièreté », dont certaines paraissent « dictées par la jalousie et le désir de publicité », ils font face avec brio, à la façon des « mousquetaires » pour leur reine Clio. Soutenus par une importante « communauté de fidèles », ils obtiendraient même ce que la « corporation » des historiens leur refuse, à savoir la reconnaissance des Français. 

Qu’est-ce qu’être un historien ?

L’auteur le concède lui-même dans son article: a minima, pour être un historien, il convient d’avoir soutenu avec succès une thèse de doctorat en Histoire. Selon ce critère, les 3/4 de l’aréopage encensé s’en trouvent disqualifiés. Quant au quart restant, en l’occurrence Virginie Girod, si l’animatrice est parfaitement légitime à évoquer l’érotisme au temps des Julio-Claudiens, objet de sa thèse, elle ne devient pas pour autant spécialiste de tous les autres sujets.

Les quatre personnalités citées sont et restent des animateurs : un métier qui n’a rien d’infâmant mais qui n’est pas comparable à celui d’historien. D’ailleurs le monde des médias le sait bien : est-ce que toute personne qui produit de l’information sur un réseau social est un « journaliste » ? Le premier venu, même passionné, même « sympathique », même doté d’une « belle voix de conteur », ne peut se faire accepter comme historien par des confrères universitaires.

Il n’y a là, ni corporatisme abusif ni absurde procès en illégitimité. C’est la simple conséquence d’une société rationalisée et scientifique qui entend aussi fonder une relation de confiance entre ceux qui ont une compétence dans un domaine et les autres. Oui, la reconnaissance par les pairs, la poursuite des études dans des cursus organisés, l’application de méthodes de travail éprouvées sont des gages de sérieux. C’est ce qui fait qu’aller écouter Patrick Boucheron sera toujours plus avisé qu’une émission de Franck Ferrand, quand bien même Franck Ferrand peut dire des choses intéressantes. La différence vient que dans un cas, le gage de compétence est supérieur à l’autre. Pour rappel, lorsque F. Ferrand officiait à Europe 1, il n’a pas hésité à solliciter un prétendu historien, habitué des plateaux télés qui, entre autres sources, reprenait les dires de …fantômes. Ce n’est pas le genre de choses que l’on trouverait a priori auprès d’un historien de métier.

Notons toutefois que, comme souvent, les figures d’inspiration sont moins étriquées que leur clergé. Ainsi, les animateurs cités par Le Figaro ne se revendiquent nullement historiens. Alors où est le problème décrit par l’article ?

Enseigner et animer une émission : même combat ?

L’article est construit sur l’opposition entre un enseignement scolaire rébarbatif et désincarné et des émissions nettement plus stimulantes et diversifiées. Passons sur l’implicite qu' »à l’école, on s’ennuie ». C’est devenu un tel réflexe pavlovien de dénigrer le travail des enseignants, partout et en tout temps, qu’il vaut mieux, pour sa santé mentale, ne plus trop s’y attarder. Traitons du fond.

Comparons par exemple le traitement qui pourrait être fait du Second Empire dans une classe (en 4ème ou en 1ère) et dans une émission comme celle de Stéphane Bern. L’enseignant qui suit les programmes sera amené à évoquer grosso modo l’industrialisation et les grands travaux urbains, le climat général d’affairisme, le recul autoritaire que constitue indéniablement la constitution de 1852 puis l’inflexion libérale après 1860, la place des guerres et d’une diplomatie erratique, jusqu’à l’affrontement fatidique contre la Prusse en 1870. Dans l’émission de France 2, on consacrera de petits reportages tantôt à la jeunesse turbulente de Louis-Napoléon Bonaparte, à son histoire d’amour avec Eugénie et la naissance du prince impérial, tantôt aux « séries » de Compiègne et à la « fête impériale » à Paris, puis à l’exil et la mort hors de France.

Dans l’affaire, il n’y a pas « vérité » d’un côté et « mensonge » de l’autre. Stéphane Bern a d’ailleurs pour lui d’inviter régulièrement des professeurs d’université de qualité et de pousser sa caméra dans des lieux habituellement fermés au public. Il est, c’est indéniable, passionné par l’histoire et son combat personnel pour le patrimoine contribue vraisemblablement à sa popularité. Mais il se trouve que, sur le fond, les analyses propres à l’histoire politique, économique et sociale sont fort rares, ramenées à une toile de fond supposée connue de tous. Son premier but consiste à divertir. Il n’y a là rien de scandaleux, évidemment, mais l’enseignant exerce un autre métier. Et s’il lui arrive d’amener un peu de jeu, d’anecdotes, de petites histoires, le divertissement n’est qu’un moyen, jamais une fin.

Peut-on concilier les deux approches ?

Apprendre vraiment en n’ayant pas l’impression de le faire : est-ce possible ? Oui en théorie, mais dans la pratique, il n’y a pas de recette. Les professeurs qui se lancent sur YouTube, nous en connaissons plusieurs au sein de l’association, le diront : arriver à restituer un temps ou un sujet avec autant de fidélité que possible, tout en ménageant l’attention de plus en plus déclinante du public, c’est la quadrature du cercle.

Un format doit être court mais il doit dire beaucoup. Il faut privilégier l’interactif mais sans trop s’avancer sur le degré d’implicite et de connaissances préalables que maîtrise le public. Le ton doit être dynamique mais tous les sujets ne prêtent pas forcément à la bonne humeur. Envisager un nouveau sujet oui, mais au risque que le plongeon dans l’inconnu fasse moins d’émules qu’un contenu vu et revu sur Marie-Antoinette ou Hitler.

Dans les classes, le temps est tellement compté que pour intercaler par exemple un bout d’émission d’un de ces « conteurs d’histoire », il faut pouvoir passer le contenu au tamis très exigeant de l’utilité et de la justesse par rapport aux objectifs d’un cours. C’est ainsi que la séquence vidéo est souvent trop longue, mal adaptée et finalement, abandonnée. Ajoutons que, compte tenu des réserves critiques que l’enseignant doit conserver sur ces émissions, il faut s’ajouter tout un travail de vérification et de contextualisation. Oui, il vaut mieux se passer des anecdotes rapportées par un fantôme…

Europe 1, Radio Classique, RTL, Le Figaro… Quelle sociologie des médias ?

L’article du Figaro pointait l’orientation politique, marquée à gauche, des détracteurs de notre quartet d’animateurs.

Certainement que ce lectorat est moins sensible que la moyenne à la vie des puissants et aux états d’âme des princesses. Certainement aussi qu’ils sont nombreux à s’étonner qu’une chaîne publique comme France 2 ou France 3 finance, à grands frais, des émissions sur des personnalités dont les positions politiques sont assez éloignées de nos choix constitutionnels.

Une fois que c’est dit, doit-on passer sous silence les proximités politiques d’un Lorànt Deutsch et d’un Stéphane Bern ? Ou encore que Virginie Girod, la benjamine des mousquetaires, a justement fait ses armes comme intervenante régulière des émissions de Stéphane Bern, avant de reprendre le siège de Franck Ferrand sur Europe 1. Le choix de ces quatre noms doit aussi peu au hasard que le positionnement politique des médias qui les emploient (Europe 1, RTL, Radio Classique)  ou les défendent (Le Figaro ici).

Il y a dans tout cela une bataille idéologique, qui n’échappe nullement aux enseignants et dont ils n’entendent pas faire les frais.