À la recherche de Sapiens, où comment les représentations de l’Homme du Paléolithique ont évolué du XIXe à nos jours.

Le propos de ce petit film de moins d’une heure, n’était pas de réaliser un documentaire de plus consacré à Homo-Sapiens et à son entrée sur la scène de l’humanité.

Le parti-pris original de la réalisatrice a été de s’interroger sur les représentations figurées et mentales que les Hommes d’hier et d’aujourd’hui se sont faites des premiers représentants de notre espèce à l’époque du Paléolithique récent (-40.000 à -10.000). Dans une mise en perspective dynamique elle montre comment des stéréotypes se sont installés au XIXe siècle pour imprégner chez le grand public et jusqu’aujourd’hui une image figée et faussée de « l’Homme des cavernes ».  Elle s’appuie ensuite sur le travail des chercheurs, mais aussi des dessinateurs, des médiateurs culturels, pour dessiner progressivement une autre image de nos ancêtres chasseurs-cueilleurs.

Sapiens, un chasseur frustre et hirsute : des représentations forgées au XIXe siècle, mais qui perdurent.

Centenaire de l’inauguration de la ligne Liverpool-Manchester(1930). Cliché sur la préhistoire : l’homme des cavernes tirant sa femme par les cheveux…

Les premières images du film montrent la tenue d’un rallye organisé par un comité d’entreprise où les participants se sont déguisés en hommes préhistoriques. Cheveux hirsutes, peaux de léopard, grognements, tout est dit des stéréotypes bien installés dans les têtes des Hommes du XXIe siècle. Et la réalisatrice de s‘interroger : comment se sont construites ces images d’Épinal qui marquent encore profondément notre imaginaire ?

Le préhistorien François Bon rappelle que ce sont les découvertes majeures faites au milieu du XIXe siècle, Neandertal en 1856, Cro-Magnon en 1868, qui vont inciter graveurs, peintres, illustrateurs à s’emparer du thème de la Préhistoire. Les représentations figurées d’un Homme à peine sorti de l’animalité vont alors s’imposer. Comme si selon François Bon, l’on refusait plus ou moins consciemment cet héritage d’humains, trop anciens pour avoir des comportements sophistiqués et une organisation sociale élaborée. Et le préhistorien de rappeler également qu’au XIXe siècle les connaissances encore balbutiantes sur cette période créent une impossibilité d’imaginer cette ancienneté de l’Homme autrement que dans une vision archaïque d’une humanité qui n’en serait qu’à ses débuts.

Les représentations d’alors, la réalisatrice le souligne, sont évidemment en lien avec le propre vécu des Hommes du XIXe. La peau de léopard serait inspirée des tenues africaines des indigènes exposés dans les zoos humains, le côté simiesque influencé par une mauvaise compréhension des travaux de Darwin, la fameuse massue ferait référence à Hercule et à sa force démesurée, quant aux femmes tirées par les cheveux, la représentation viendrait de l’observation faite par les explorateurs, de cette coutume dans certaines cultures aborigènes.

Pauline Coste interroge ensuite le rôle du cinéma, y compris dans les périodes récentes, qui a contribué à renforcer tous les stéréotypes. On pense bien entendu au film de Jean-Jacques Annaud, « la Guerre du feu », sorti en 1981 dans lequel un groupe d’Hommes, mi-néandertaliens, mi-sapiens, on ne sait trop, est représenté de façon caricaturale, entre humanité et animalité. Mais est également fait allusion aux docu-fictions de Jacques Malaterre pourtant davantage documentés. Selon François Bon le fait de mettre en scène, de raconter une histoire, ne permet pas d’inscrire les phénomènes de migration des groupes humains dans la longue durée. Car c’est elle qui permet d’expliquer les adaptations successives, les progrès techniques, les rencontres, la construction progressive d’une culture. Certes sapiens-sapiens a tendance à être représentée de façon plus « évoluée » que la brute épaisse qu’est « sapiens-néandertalensis ».

Mais, et c’est la conclusion de Gilles Tosello, préhistorien et co-auteur du fac-similé de la grotte de Chauvet, qui rappelle qu’au fond c’est toujours une humanité un peu misérable, ou au mieux en devenir,  qui est représentée au cinéma.

Un mot enfin sur la façon dont les femmes préhistoriques sont représentées ou même étudiées. Sans même évoquer les représentations de la femme tirée par les cheveux pour être amenée par son compagnon au fond de la grotte, il apparaît que même encore aujourd’hui, y compris parmi certains préhistoriens, la femme en tant que genre est l’objet de peu de réflexion. Elle brille, pourrait-on dire par son absence. C’est ce que souligne Claudine Cohen historienne en sciences sociales et spécialiste des représentations de la préhistoire. Selon elle la perception de la femme paléolithique est marquée par des représentations sociales propres à nos cultures. L’historienne pense que la femme était forcément productrice, créatrice, et en tout cas partie prenante et agissante dans ces sociétés, au-delà de sa simple fonction reproductrice. Elle évoque notamment un rôle important lié à sa connaissance des plantes qui aurait pu faire d’elle une guérisseuse, et pourquoi pas jouer ce rôle de « sorcier » trop souvent dévolu aux hommes. Pourquoi également n’aurait-elle pu participer elle aussi aux activités artistiques ? Le propos aurait mérité d’être creusé, mais ce n’était pas l’objet essentiel du film de Pauline Coste.

150 ans de recherche pour dresser progressivement un autre portrait de Sapiens au Paléolithique.

A travers la présentation de grandes sites archéologiques essentiellement français, d’interviews de chercheurs, de médiateurs culturels, de dessinateurs, Pauline Coste nous propose une autre vision du chasseur du Paléolithique. La maîtrise notamment des techniques de tailles de la pierre impressionne par la qualité, la précision, l’efficacité des outils produits. L’étude du site d’ Etiolles dans la Région parisienne, montre, à partir de tailles moins réussies faites par des enfants, que la transmission des savoirs était parfaitement organisée.

Bien entendu les Hommes du Paléolithique récent n’étaient pas à moitié nus, surtout à une époque où le climat est globalement nettement plus froid. Mais curieusement le stéréotype demeure, comme si temps préhistoriques et climat tropical étaient liés. Les hommes du Paléolithique en Europe et particulièrement au Magdalénien étaient remarquablement adaptés à la lutte contre le froid. Poinçons, aiguilles à chas trouvés en nombre montrent qu’ils savaient faire des boutonnières, coudre des peaux. L’archéologie funéraire à cet égard est un précieux outil pour les préhistoriens. Elle leur a permis en fouillant des tombes en Italie et en Russie, datées de -25.000, de découvrir des corps couverts de centaines de perles et donc forcément cousues sur des vêtements. Par extrapolation ils ont pu vérifier que Sapiens savait s’habiller de façon efficace (gilets, bottes, bonnets), comme savent le faire encore aujourd’hui des peuples tels les Inuits, du moins pour ceux qui ont encore conservé leur mode de vie traditionnel.

L’étude des éléments de parure, bracelets, anneaux, boucles, montre qu’évidemment les Sapiens du Paléolithique ne pensaient pas qu’à la chasse. La tombe de Sungir découverte en Russie en 1955, et datant de -25.000 ans, montre un corps couvert de milliers de perles comme encore cousues sur les restes du vêtement disparu. Sur le site de Castel Merle en Dordogne, la découverte de nombreux éléments de parure faits à partir de stéatites, d’ivoire et de coquillages, c’est-à-dire d’éléments non-locaux, atteste la présence de courants d’échange avec du troc autour de -35.000. Ces groupes humains nomadisant se rencontraient, échangeaient objets et techniques. Boris Valentin, préhistorien, souligne que l’on retrouve au Magdalénien, les mêmes techniques de taille du silex sur un ensemble couvrant plus de la moitié de l’Europe. Ce qui signifie bien entendu, échange, transmission des savoirs de groupe à groupe.

L’art paléolithique : quand Sapiens se représente et nous donne à voir sa perception du monde.

Grotte Chauvet, Ardèche (-36000). Panneau des lions. Crédits : Patrick Aventurier-Caverne du Pont d’Arc.

Comment les Sapiens du Paléolithique se voyaient, se représentaient ? Tout le monde connaît les fameuses « Vénus » retrouvées dans divers coins d’Europe. Dame de Brassempouy, vénus de Willendorf… des statuettes de femme, aux hanches larges, aux seins lourds, symboles de fécondité, de maternité.

Moins connues mais encore plus fascinantes sont ces silhouettes, ces profils dessinés sur des dalles calcaires retrouvées au fond de la grotte de la Marche (Vienne) et datant du magdalénien, vers -15.000. A leur propos Oscar Fuentes, directeur du centre du Roc-Aux-Sorciers (Vienne), n’hésite pas à parler de véritables « portraits ». Et en effet ces visages creusés dans la pierre, sont détaillés (oreille, bouche, pupilles, cheveux, barbe…) et presque individualisés avec leur coupe de cheveux différenciée, leurs couvre-chefs, leur sourire pour certains.

Le reportage enchaîne enfin sur le magnifique art pariétal bien connu de tous, et toujours aussi mystérieux. Grottes de Chauvet, de Lascaux, de Niaux… Un art « puissant » selon le mot d’Alain Dalis, plasticien et coréalisateur avec Gilles Tosello des fac-similés de la grotte de Chauvet. Un art de maître, caractérisé par une véritable maîtrise graphique et picturale et révélateur d’une réflexion sur le mouvement, la perspective.Comment l’interpréter ? Aucune réponse n’est à l’heure actuelle pleinement satisfaisante. Mais le préhistorien Jean Clottes trace quelques perspectives. Il évoque un cadre conceptuel qui serait commun à cette humanité, la volonté de transcrire des histoires sacrées liées aux ancêtres, à la cosmogonie, au besoin de contact avec les forces surnaturelles. En précisant toutefois que chaque groupe avait créé ses propres histoires, ce qui rendrait d’autant plus difficile leur lecture. Et comment alors ne pas imaginer que ces hommes avaient déjà élaboré un langage sophistiqué capable d’évoquer des concepts, des symboles, une vision du monde ?

De façon un peu malicieuse, Pauline Coste termine son film en demandant à tous ces chercheurs, ces amoureux de la préhistoire, comment eux s’imaginent, se représentent les hommes du Paléolithique. Les réponses sont diverses, en fonction de l’expérience de chacun. Jean Clottes imagine facilement une soirée autour du foyer, où le groupe va échanger, raconter des histoires. François Bon évoque des mains au travail, des silhouettes agissantes, pas des visages. Pierre Bodu veut ressentir les rigueurs du climat sur sa peau, l’effort physique, les déplacements incessants et souhaiterait, au-delà de l’étude archéologique de ce qu’il appelle les « déchets », voir revivre ces hommes. Quant à Alain Dalis le plasticien, il imagine un univers de pensées complexes, de réflexions sur la façon de représenter le monde dans un environnement si différent du nôtre.

Les leçons de ce beau et original reportage sont doubles à mon sens. La part d’imagination reste essentielle malgré tout, pour représenter et se représenter ce monde si difficile à interpréter, à la condition de faire preuve d’humilité et de s’appuyer sur les progrès toujours constants de la recherche scientifique. La part de médiation est également fondamentale. La recherche n’a aussi de sens que si elle parvient à donner, à voir au grand public, ce qu’était cette humanité si lointaine et si proche de nous. Loin des stéréotypes, certes amusants, mais bien commodes pour enfermer les groupes humains d’hier et d’aujourd’hui dans des clichés, qui sont le contraire de l’intelligence et de la tolérance.

« L’État c’est moi » aurait dit louis XIV, « Mme Bovary, c’est moi » affirmait Flaubert, Homo-sapiens, c’est nous, dans son passé, son présent, son avenir.

Richard Andrieux, lycée Lacroix, Narbonne.