Cette intervention porte sur le thème de l’industrie en France, qui est au cœur de la thèse en cours d’Anaïs Voy-Gillis, consultante chez June Partners et doctorante en CIFRE (convention avec une entreprise), Institut Français de Géopolitique. Elle souligne comme point de départ combien les représentations de l’industrie ont longtemps été négatives en France ; l’industrie renvoyait à la désindustrialisation, à la ville de Détroit. Mais l’industrie est aussi créatrice ; c’est la IVe Révolution Industrielle. L’image de l’industrie a changé ; 2012 marque un jalon avec la création du Ministère du Redressement Productif ; le discours de la nécessité de l’industrie, qui tire nos exportations, fait son retour. La France avait sacrifié son industrie, presque autant que le Royaume-Uni, tandis que l’Allemagne l’avait promue dans les années 1990.

Aujourd’hui, l’industrie française va mieux ; l’hémorragie est stabilisée : on crée plus de sites depuis 2 ans et d’emplois qu’on n’en détruit et ce,même dans le textile, secteur emblématique de la désindustrialisation. Le consommateur porte aussi ce renouveau en voulant du made in France. Ce renouveau industriel s’inscrit dans un contexte économique international qui évolue : avec les fluctuations du pétrole, il redevient intéressant de produire près des lieux de consommation, d’autant plus avec la question écologiste. En outre, le coût du travail dans les pays émergents a augmenté et le travail devient un facteur de coût de moindre poids avec la révolution numérique et robotique.

On ne va pas forcément voir de grands phénomènes de relocalisation pour autant. En effet, l’intelligence artificielle a des conséquences sur l’emploi. Aujourd’hui, il y a une grande importance des données ; il s’agit de capter les données d’usage pour améliorer l’outil de production et proposer des produits qui répondent au marché. Les voyants conjoncturels laissent à penser que tout est au vert pour la réindustrialisation mais de nombreux défis vont se poser.

Un des premiers est que le parc industriel français est vieillissant avec des machines de 19 ans d’âge en moyenne ; des investissements importants sont requis pour répondre à une demande qui évolue. Il convient de passer d’une production de masse à un souhait de personnalisation. Avant, on achetait une Ford noire faute de choix et aujourd’hui on souhaite prendre une voiture verte unique. D’où le besoin d’un outil de production qui permette de produire cela, et de la produire pour un coût équivalent à la production de masse. Il faut être compétitif, sinon il n’y a pas d’acheteur.

La vigilance doit aussi être mise sur la notion de compétences. La désindustrialisation sape le système productif avec une perte de compétences et de secteurs stratégiques. La France n’a pas de culture de l’apprentissage : il y est mal vu contrairement à l’Allemagne. Beaucoup d’ingénieurs et de diplômés des grandes écoles vont vers la finance est non vers l’industrie à cause de son image. La formation continue est défaillante. C’est tout un enjeu pour la France que de savoir former nos jeunes aux métiers de demain et accompagner les mutations.

Enfin, la capacité d’investissement très limitée de nos entreprises conduit progressivement à une perte de l’outil industriel. Les grands groupes ne forment que 5 % du tissu d’entreprises ; les 95 % restants sont les PME et ETI, qui font vivre le territoire mais manquent de moyens et n’ont pas investi au bon moment. C’est une question de risque, mais aussi de moyens face au coût des nouvelles technologies et de frilosité du système bancaire (les petites entreprises ne sont pas soutenues quand elles sont dans une situation plus difficile).

Face à cela, quelles sont les réponses ? La première est l’industrie du futur (expression française) ou industrie 4.0 (expression allemande). La volonté de moderniser l’outil industriel est là en Allemagne avec un travail en amont entre l’État, les Lander et les entreprises. En France, les grandes entreprises ont un comportement prédateur à l’égard du système industriel. En Allemagne, les fournisseurs sont payés à 30 jours contre 90 à 120 jours en France. La loi de modernisation des entreprises a imposé un paiement à 30 jours mais les retards sont fréquents. Les PME connaissent des problèmes de trésorerie et font l’avance pour les grands groupes, qui sont dans une situation bien meilleure en général. Les Allemands ont pris conscience que leur leadership est de plus en plus remis en cause par les puissances émergentes comme la Chine qui automatise, modernise, achète de nouvelles technologies et des entreprises européennes pour faire un saut technologique et se concentrer sur l’avenir. Ils craignent de ne plus être aptes à répondre aux standards internationaux. D’où des investissements dans l’automatisation de l’entreprise : les machines communiquent entre elles avec une intervention de plus en plus réduite des hommes, cantonnés aux fonctions supports (R&D, informatique). L’Italie a suivi en 2014 mais la France est en retard, entamant seulement sa prise de conscience.

Le deuxième enjeu est de miser sur l’innovation, pas seulement en termes de produits nouveaux mis sur le marché mais aussi de procédés, de marketing, de manière d’aborder le marché ; l’innovation porte sur de petites ou de grandes choses. Il faut être très différenciant sur le marché. Pour innover, les entreprises doivent se rapprocher entre elles mais aussi créer des partenariats avec des centres de recherche. Or, c’est un gros point faible en France : il y a peu de communication entre les entreprises et les Universités, plus encore en sciences sociales. La méfiance est réciproque : le patron voit dans l’universitaire une personne déconnectée ne comprenant rien au réel et l’universitaire pense que le patron est un horrible capitaliste sans âme…

Un troisième enjeu consiste à savoir capter les données. Les produits sont connectés en permanence et génèrent des données d’usage. Les données jouent sur les lignes de production (un traitement fin permet d’améliorer les processus de production) et par rapport aux utilisateurs. Le risque aujourd’hui est que l’industriel se trouve être la dernière roue du carrosse. Google investit dans le véhicule autonome : c’est un acteur du numérique, et non un industriel au départ. Grâce aux données, il y a le risque que Google développe de nouveaux produits et prenne n’importe quel fournisseur automobile pour répondre à son cahier des charges. Google produit de l’interfacement entre le consommateur et le producteur industriel. Questionner ces données, c’est aussi questionner son modèle d’affaires, son business model. Parkeon à Besançon est le leader mondial des horodateurs ; il a acheté le n°2 il y a peu. Les horodateurs par carte bancaire et saisie de la plaque d’immatriculation permettent d’enregistrer des données sur le temps de stationnement moyen, etc. Leur exploitation permet d’optimiser le rendement. L’entreprise vend du service et non uniquement un produit matériel. Airbus vit beaucoup des contrats de maintenance ; Michelin Solutions, pour les poids lourds, vend du kilomètre et non des pneus (optimisation du type de pneus selon le chargement).

Le dernier enjeu est celui des compétences. Demain, il sera vital pour une industrialisation harmonieuse des territoires. Or, on note un regroupement de compétences et des activités à haute valeur ajoutée autour de l’Ile-de-France et des autres métropoles. Cela fragilise certains territoires. L’intervenante travaille sur une entreprise implantée dans une ville moyenne de 100 000 hab et qui veut développer la R&D car ses produits sont de plus en plus techniques. Or, elle ne trouve pas d’ingénieur en informatique et envisage de se délocaliser en Ile-de-France pour ce faire. Le territoire a été fragilisé et risque de l’être encore plus. Il est impératif que les territoires veillent pour développer les compétences nécessaires à l’industrialisation. C’est un moyen de participer au développement de l’ensemble de la France et faire renouer certains territoires avec la croissance économique. Sinon, de nombreux territoires vont survivre de revenus liés à la fonction publique, aux retraites et prestations sociales et ne seront plus productifs.

Les questions portent sur :

  • les normes qui s’imposent à l’international (l’Allemagne est pionnière pour imposer les siennes et la France absente),
  • le décalage entre l’image de l’industrie (les élites la délaissent en France et l’apprentissage est vu comme une voie de garage au contraire de l’Allemagne et de la Suède) et la réalité (les salaires y souvent sont plus élevés que dans les services),
  • la financiarisation des grands groupes qui s’oppose aux enjeux d’aménagement du territoire,
  • le manque de moyens financiers pour les pôles de compétitivité (une bonne idée mais sous-financée et victime du saupoudrage),
  • la difficulté de chiffrer les compétences perdues (le savoir-faire de la chaussure a largement disparu en France).
  • le regain d’attractivité de la France grâce à la réforme de son marché du travail (prévue pour aller vers la flexi-sécurité à la suédoise, mais qui a donné la flexibilité sans la sécurité pour les salariés) et les idées reçues sur son CDI (pas plus protecteur que les contrats des autres pays de l’OCDE),
  • l’impact du Brexit,
  • le Crédit Impôt Recherche (dispositif unique au monde et très performant, qui a vu Facebook s’installer en région parisienne pour sa recherche sur l’intelligence artificielle),
  • les lieux des relocalisation (site initial, ou site avec des compétences comme dans le sud-ouest pour des sous-traitants d’Airbus),
  • les marchés publics (l’UE ouvre naïvement les siens mais sans réciprocité donc Canada, États-Unis et Chine en profitent, en subventionnant leurs entreprises pour remporter des marchés en Europe, alors que les membres de l’UE s’interdisent de telles subventions),
  • le rôle de Trump (négatif tant pour son pays que pour l’économie mondiale dans sa globalité).