Samedi 5 octobre 2019 de 14 h 15 à 15 h 30 – Temple

Sont présents autour de Stéphane Mourlane, historien des migrations italiennes, maitre de conférences à Aix-Marseille et modérateur : Virginie Baby-Collin, géographe et professeur des universités, Cédric Quertier, chargé de recherche en histoire médiévale (CNRS), Camille Schmoll, géographe, maitresse de conférence, université Paris-Diderot et Catherine Wihtol de Wenden, directrice de recherche au CNRS (CERI-Sciences-Po) et docteur d’État en science politique, spécialiste des migrations internationales. 

Dans quelle mesure les migrations et les mobilités ont-elles contribué à la fabrique de la Méditerranée, des populations et des territoires de ses rivages ? Cette table ronde interdisciplinaire discutera les apports d’un atlas historique consacré à cette question et qui devrait paraître courant 2020 aux éditions Actes Sud. 

Stéphane Mourlane présente l’Atlas :

Cet atlas est une oeuvre collective de 72 contributeurs et de 13 coordinateurs – dont celles et ceux présents à cette table ronde – qui aura vocation à s’adresser à un large public avec en particulier des cartes double-page agrémentées de textes et d’illustrations sur un thème pour lequel l’ambition a été de faire le point sur la recherche actuelle sans s’adresser particulièrement à un public universitaire.

L’idée directrice de l’Atlas est que les migrations ont contribué et contribuent à « l’invention de la Méditerranée » via une double approche, d’abord celle de la longue durée, puis celles de thématiques comme les structures, les acteurs et les échelles de territoires.

Quelle représentation cartographique ?

« L’atlas des migrations » de Catherine Wihtol de Wenden aux éditions Autrement – qui en est à sa 4ème édition – est un atlas contemporain qui cherche à catégoriser les différents espaces du monde y compris infra-continentaux et à y faire apparaître leurs spécificités.

Camille Schmoll qui a co-écrit en 2014 l’ouvrage « Migrations en Méditerranée » soit avant le pic migratoire syrien, souligne combien les chercheurs sont pris dans la centrifugeuse de l’actualité sur de telles questions. D’où l’intérêt d’un recul historique et de l’approche multiscalaire des géographes pour se démarquer d’une lecture trop européo-centrée.

SM : Nous avons pour la longue durée une carte des migrations du IXe siècle avant JC.

Cédric Quertier : Dès le VIe siècle, les réseaux monastiques s’organisent, au Xe siècle, les ordres mendiants, mobiles, suivent des routes souvent romaines qui contrairement à une idée souvent répandue ne sont pas abandonnées.

CS : Nous avons ainsi comparé 2 cartes : les routes du commerce et de l’esclavage dans l’Afrique de l’Ouest du XIIIe siècle et celle des migrations du XXIe.

Virginie Baby-Collin : Nous avons superposé la carte des habitats précaires à Marseille, résorbés dans les années 80 avec les nouvelles formes de précarité liés aux migrations contemporaines qui resurgissent aujourd’hui dans les interstices urbains.

SM : La 2nde partie de l’atlas s’intitule « Migrations, mobilités, circulations » et son titre a donné lieu à un débat dans l’équipe des auteurs : migrations ou mobilités ? Le choix de l’éditeur (« Migrations ») étant dicté par les considérations du temps. Quand 800 000 Italiens vivent et travaillent en France en 1938 et que Mussolini cherche à les faire rapatrier, seuls quelques milliers repartent.

CWdW : De même, les accords dits « de réadmission » (300 accords) dont le plus connu est celui de l’UE avec la Turquie cherchent à créer des circulations organisées, en fait la plupart du temps forcées et qui interrogent le terme de mobilité.

SM : Autre mobilité : le tourisme. La mise en comparaison de cartes, l’une avec les itinéraires suivis par Smolett, Goethe et Chateaubriand, l’autre avec les routes du tourisme de croisière actuel ouvre des réflexions intéressantes.

La question des sources :

CQ : Au Moyen-Age, les toponymes des moines, consignés avec les registres des morts, nous fournissent un moyen certes parcellaire mais précieux pour évaluer leur mobilité.

SM : La carte des migrations italiennes de 1902 montrent des déplacements massifs : près de 14 millions d’Italiens jusqu’en 1914…

CS : Les sources peuvent aussi être lacunaires pour la période actuelle concernant les réfugiés et les demandeurs d’asile. Sont consignées les demandes officielles mais combien de demandes non officielles chez des « sans papiers » qui se sont vus confisquer leurs papiers par les passeurs ou les ont détruit ? Il y a également très peu de données concernant les saisonniers ou les « circulants qualifiés » venant du Sud vers le Nord…

VBC : On a rajouté sur la carte d’Istanbul aux XVII-XVIIIe siècles signalant les quartiers des les minorités historiques de l’empire Ottoman (Grecs, Assyriens, Juifs, Arméniens) les lieux d’établissement des minorités actuelles liées au conflit syrien.

Les échelles de représentation :

VBC : La carte de la vallée de la Roya met en évidence la superposition des routes des migrants italiens des années 30 et celles actuelles des migrants africains qui tentent de continuer leur route européenne commencée par l’accostage dans le sud italien.

D’où l’importance du glossaire de l’ouvrage pour les termes polysémiques (cf. « clandestin »).

CQ : Un exemple de photographie qui symbolise la langue durée, celle du fondouq, présent dans l’espace méditerranéen depuis le Xe siècle. Ce bâtiment témoigne de la vitalité des échanges et des mobilités marchandes présentées dans la carte de la double page.

SM : nous évoquons la « dilatation de la Méditerranée » à travers des exemples remarquables de migrations à partir de la Méditerranée pour se répandre dans d’autres parties du monde, telles les déplacements des Jésuites à partir de 1582 vers l’Extrême-Orient et celle du lieu d’origine des populations étrangères en Italie en 2015.

Questions du public :

Pourquoi une carte vide dans celles sur l’Antiquité ?

CQ : Nous voulions rappeler l’aspect massif de l’esclavage antique et ses routes « marchandes », mais les données chiffrées sont rares. D’où ce choix, car il n’était pas question pour nous d’édulcorer ce type de « mobilité »…

Y a-t-il des thématiques absentes ?

SM : En fait, plus des espaces que des thématiques. Car nous avions fait le choix éditorial de respecter des équilibres entre les rives nord et sud et les bassins ouest et est.

NB : l’Atlas fera l’objet d’une recension par les Clionautes lors de sa parution.