Les IA et la pédagogie, vous avez 2H. La fin d’année civile est un moment propice pour dresser des bilans. Dans le cadre des IA et de leur exploitation pédagogique, l’année 2023 a marqué un tournant avec la généralisation progressive de ChatGPT pour de nombreux élèves avides de disposer d’un outil capable de répondre à un problème central à leurs yeux : faire des devoirs maison en un ou deux clics.

Déjà au mois de janvier dernier, nous étions quelques uns à questionner le virage pris par l’exploitation des IA, sans parler de la nécessaire mise en perspective de notre autonomie numérique face aux géants du numérique. C’était là l’objet du premier numéro de « Clio-Perspectives ».

Concernant les IA, depuis la rentrée de septembre, une accélération des usages semble s’imposer, dans un contexte de résultats PISA catastrophiques et d’une volonté politique de trouver les clés d’un choc des savoirs, d’un choc des exigences bref, d’un « électrochoc » à même de relancer nos élèves sur le chemin de la réussite, afin que notre pays puisse ne pas se contenter de subir l’avenir d’un monde assez éloigné des mirages d’une mondialisation heureuse et émancipatrice.

 

Le constat sévère qui a été dressé ne sera pas discuté ici. Ce qui m’intéresse c’est de questionner la façon dont le numérique, et plus particulièrement l’exploitation des IA peut, ou non, constituer une piste de réflexion pleinement satisfaisante, à même de réellement relever les défis proposés par le ministère.

 

Moins d’écrans, mais plus d’IA ?

Nombre de voix s’élèvent depuis des mois, des années parfois, face aux ravages causés par les écrans et le numérique en général, auprès des élèves.

 

C’était il y a 5 ans …

 

C’était il y a 3 mois …

 

C’était il y a une semaine…

 

Premier constat : il sera difficile d’exploiter des IA sans les écrans. Donc vouloir diminuer voire supprimer les écrans dans les classes, et en même temps vendre les vertus d’une IA fondée sur une application à destination de smartphones ou de tablettes, pose déjà quelques questions. L’art du « en même temps » certes, mais tout de même, il est difficile d’expliquer les bienfaits supposés d’un outil si le support est dans le même temps largement décrié pour ses méfaits.

Clairement l’usage intensif des écrans pose de véritables questions, y compris de santé publique. Tout aussi clairement une approche raisonnée de ces outils, une éducation, un accompagnement sont des pistes plus cohérentes qu’une approche strictement manichéenne des choses. La nuance dans un monde shooté à l’hystérie des réseaux sociaux et de l’émotion est un combat difficile mais nécessaire.

 

Les dernières évolutions dans le domaine du numérique pédagogique

 

Depuis la vague ChatGPT, plusieurs outils ont été mis en valeur au rythme des publications ou offensives marketing.

TEACHERMATIC

 

MAGICSCHOOL

 

NOLEJ

 

Permettre aux enseignants de construire des parcours pour leurs élèves, de différencier les apprentissages, de mettre en place des supports numériques de qualité sont autant de défis relevés par ces différents outils. De nombreux collègues se sont emparés de ces outils pour des tests et il s’avère que les résultats sont prometteurs. Nous sommes encore au début du chemin et il est bien tôt pour se retourner et pouvoir tirer des conclusions définitives. Néanmoins plusieurs points sont d’ores et déjà clairs :

=> ces outils disposent d’un excellent potentiel technique et sont capables de fournir des pistes d’exploitation pédagogique tout à fait intéressantes.

=> ce sont des outils étrangers, anglo-saxons, sur lesquels donc nous n’avons pas la main.

=> la gratuité est un doux mirage et se pose bien entendu la question des moyens, des financements.

 

Le ministère n’est pas dupe et s’est lancé dans la course aux IA pédagogique, en officialisant voilà quelques jours la mise en place d’un nouvel outil, MIA, destiné aux élèves de Seconde pour la rentrée 2024.

 

Souveraineté, généralisation en septembre 2024 après une vaste campagne de tests à partir du mois de février constituent les deux premiers piliers d’un projet qui doit accompagner la longue campagne de « l’élévation du niveau ». Le projet est présenté sur un site clair, mettant en avant l’avancée des travaux et divers articles d’analyse mettant en avant les qualités du produit.

 

MIA, entrons dans la matrice de cette « nouveauté »

 

MIA est la synthèse du « transfert des recherches issues des sciences cognitives en français et en mathématiques ». L’idée centrale est assez simple : permettre aux élèves de progresser à leur rythme grâce à un outil qui adaptera des parcours, des exercices, au niveau mesuré suite à des tests, typiquement les fameux tests de positionnement de début de Seconde.

Les exercices sont auto-corrigés, donc gain de temps pour l’enseignant. Le niveau des exercices s’adapte en fonction des élèves : parcours personnalisé, donc peu de chance de perte d’intérêt (oui il est possible de rêver). Cerise sur le gâteau, l’outil vient en complément du cours et ne remplace pas ce dernier.

MIA semble donc cocher de nombreuses cases positives et peut espérer un futur très prometteur, et ce d’autant plus qu’il s’agit d’une technologie souveraine, et donc non soumise à la question des données pouvant fuiter à l’étranger. Ce dernier point n’est pas anodin, surtout au moment où l’UE semble désireuse d’encadrer une course frénétique aux IA.

Nouveautés … vraiment ?

Passé les heureuses surprises de la description, il s’avère que les nouveautés ne sont pas forcément là où on les présente. Mettre en place un parcours différencié pour les élèves, à partir d’exercices auto-corrigés, voilà la définition même des usages de MOODLE depuis près de 20 ans.

 

Moodle est en effet une plateforme d’apprentissage en ligne qui permet de créer des parcours, des exercices, qui permettront par la suite à des élèves de progresser à leur rythme. À titre personnel mes premiers parcours avec des élèves remontent à 2010 sur cette plateforme.

La nouveauté est donc plus technique, l’IA génère des supports rapidement. D’ailleurs PIX, que les élèves de Troisième et de Terminale exploitent maintenant pour obtenir une certification, repose exactement sur la même logique ; des exercices s’adaptent à un niveau de test, en fonction des élèves.

La personnalisation des parcours est ainsi une approche ancienne. L’IA permet de gagner du temps, de passer outre certains freins techniques, ce qui a éloigné nombre de collègues de MOODLE, lassés par une arborescence et une ergonomie bien trop complexes. La nouveauté sera aussi que les élèves pourront travailler seuls, sans l’intervention initiale d’un enseignant, en exploitant l’application selon leurs intérêts. Le problème est qu’une fois sur l’écran, n’importe quelle notification pourra toujours distraire les élèves, tout comme aujourd’hui les tablettes distribuées dans les établissements servent souvent à progresser dans le jeu de la pastèque, qui fait de ravages dans les couloirs, et dans certaines heures de cours.

 

Il faudra du temps pour mesurer des effets positifs ou non de MIA. Mais, surtout, il sera nécessaire que les enseignants s’en emparent réellement pour espérer une réelle efficacité. Croire à la pensée magique d’un outil capable de relever le niveau des élèves est, au mieux, un mantra qui peut entretenir l’espoir. Pour les élèves la clé est et restera donc les enseignants car un outil reste un outil. Parfois il est bon de rappeler certaines évidences.

 

Conclusion partielle

 

Ce rapide tour d’horizon pose donc les bases à venir pour 2024 : les IA, dans le domaine de l’éducation comme partout ailleurs, vont progressivement s’imbriquer petit à petit dans nos usages. On peut pester, le regretter, espérer une tempête solaire à même de griller tous les circuits électroniques du monde mais c’est un fait. À moins de transformer la France en Corée du Nord bis et de se couper littéralement totalement du monde, nous n’y échapperons pas.

Les produits proposés posent d’ores et déjà des jalons intéressants à partir desquels nous pouvons réfléchir. Les défauts existent, les limites son réelles, tout autant que le potentiel, immense. C’est un défi et Dominique Boullier, professeur de sociologie émérite à Sciences Po Paris, s’inquiète dans un article récent où il souligne la nécessité de prendre le temps de la réflexion car « les enseignants ne peuvent pas s’appuyer sur un système qui n’a aucune éthique »https://www.lemonde.fr/campus/article/2023/12/13/avec-chatgpt-les-enseignants-innovent-le-couteau-sous-la-gorge_6205524_4401467.html

Depuis plusieurs mois maintenant je teste différents usages des IA avec des élèves. Si je prends en compte mes expérimentations avec des jeux vidéos, en réalité cela fait plusieurs années. Concernant les jeux vidéo, j’aurai l’occasion de revenir sur divers cas très concrets, comme j’ai déjà pu le faire avec l’exploitation de DEMOCRACY 3.

 

Les IA et la pédagogie, la suite bientôt !

 

Pour revenir plus spécifiquement aux tests de type ChatGPT avec des élèves, je vais proposer un second article détaillant quelques usages en classe, effectués entre le mois de mars et le mois de décembre de cette année. L’art délicat des prompts, les usages par les élèves, les objectifs et la résultats seront au cœur de la suite de ce bilan 2023.