«Le Roi se meurt»: depuis quelques semaines, un curieux cérémonial a pris place sur la toile, notamment piloté depuis un site dédié du Château de Versailles : on peut suivre l’agonie du Roi Soleil par des tweets directs décalés de 300 ans qui nous replongent à l’époque de la mise en scène du corps du roi et d’une chronographie documentée par la Gazette de Renaudot Le Chateau de Versailles, encore lui, lancera à l’automne un MOOC universitaire consacré au Roi.

Les médias traditionnels ne sont pas en reste, bien qu’insistant davantage sur le portrait d’un homme et d’un règne. Ainsi en est-il des émissions spéciales proposées par France 2 ou Arte sans oublier la radio avec Franck Ferrand sur Europe 1.
Cette personnification de l’histoire, ce retour au personnage n’est pas tant éloigné de la recherche; depuis les années 1990, même les historiens qui avaient choisi de dépeindre le siècle de Louis XIV au travers de sa société sont revenus à l’homme alors que son bilan faisait l’objet d’une réévaluation globalement plus positive.

Mais le tricentenaire de la mort de Louis XIV, et les commémorations médiatiques qui l’entourent, font écho aux débats sur le roman national, récurrents depuis les années 2000 et exacerbés ce printemps par la redéfinition des programmes de collège, dans le contexte post-Charlie. Si le Moyen-âge et la présentation des civilisations étaient plus particulièrement ciblées, l’accusation de passer Louis XIV « à la trappe » n’a pas disparu.

Pourtant, par leur formation, les enseignants d’histoire géographie n’ont oublié ni la formation des frontières, ni la mise en place d’un appareil d’État dans le contexte de l’absolutisme, ni l’héritage de la littérature des protégés de Louis, ni Colbert, ni la promotion des sciences à l’âge de Newton, ni Vauban, ni les dragonnades et le Code Noir. Et même pour des périodes ultérieures, la référence à Louis XIV reste présente (notamment dans la contestation de la monarchie absolue).

Le jour où nous accueillons les élèves correspond à celui de la mort de Louis XIV. Dans ce bain médiatique qui va entourer ce tricentenaire, propice aux offensives des tenants du « roman national », de l’histoire bataille et des perruques poudrées, faut-il que nous nous tenions en retrait ? Ou bien faut-il que nous mettions en perspective cet événement, que nous l’inscrivions dans un temps long ?

-> Symphonies pour les soupers du roy, grand air, Delalande

Temps long et effets d’annonce

À propos de temps long, et en ce jour de rentrée, nous sommes fondés à nous interroger sur la précipitation avec laquelle de nouveaux programmes d’éducation morale et civique ont été annoncés, avec en référence le bulletin officiel du 25 juin dernier, suivis de l’annonce qu’un nouveau programme serait publié pour la rentrée. Encore une fois nous mesurons la différence entre le temps de réflexion, fût-il long, et celui de l’annonce, qui n’a pas d’autre horizon que celui d’un flash d’info sur une chaîne d’information en continu.

Loin de nous l’idée de balayer d’un revers de main la nécessité d’une communication réactive, mais encore faut-il que le décalage avec la réalité du terrain ne ressemble pas à la faille de San Andreas.

Les turbulences médiatiques de la fin de l’année scolaire qui s’est achevée en juillet 2015, à propos des programmes d’histoire et de géographie du collège, n’ont pas résisté au ressac de l’actualité immédiate. Mais pour ce qui concerne les Clionautes, nous sommes toujours vigilants, comme force de proposition et comme acteurs de terrain.

Nous mettons en œuvre dans les prochaines semaines deux outils majeurs pour les praticiens de l’histoire de géographie, Clio-Carto et Clio-texte. Et dans la mise à disposition de ces ressources, c’est l’illustration de toute notre démarche que nous affichons.

Réactifs, engagés, dynamiques et ouverts à toutes les initiatives, sans a priori ni sectarisme.

Vigilants, nous avons su montrer les limites, en matière d’organisation mais aussi d’évaluation de compétences réelles, d’un examen terminal du second degré que l’on envisage uniquement du point de vue de statistiques que l’on espère flatteuses.

Force de proposition, nous avons mis en ligne et en toute transparence nos projets pour les programmes d’histoire et de géographie, et nous avons porté ces idées au conseil supérieur des programmes comme en direction de l’Inspection générale et de la DGESCO.

Présents sur le terrain, y compris dans le cyberespace numérique, nous savons, et ce qui est écrit plus haut le démontre, réinvestir dans nos pratiques de passeurs de savoirs, les annonces qui ne durent que le temps d’un fil sur les réseaux sociaux.
Historiens et géographes, nous considérons nos disciplines comme les « masses de granit » de notre système éducatif, car leur rôle dans la formation de citoyens acteurs de leur destin est irremplaçable sans pour autant être exclusif.

Le testament et les codicilles de Louis XIV

Pour nous, il y a peut-être plus important à évoquer que la mort du Roi : la séance solennelle du Parlement de Paris du lendemain (2 septembre) qui brise les décisions du monarque absolu et donne la plénitude des pouvoirs de régence au neveu du Roi-soleil. Cette histoire est évoquée ci-dessus par Lucien Bély à travers l’histoire du testament lui-même. L’histoire de ce texte est racontée de son écriture jusqu’à son entrée dans les archives, ce qui l’inscrit dans les périodes historiques qui se sont succédées après la mort du Roi. L’aventure des sources de l’histoire est, au moins aussi importante que de tout savoir sur les derniers instants du Roi : c’est peut-être une petite musique, parmi d’autres, que nos pouvons jouer pour montrer ce qu’est réellement notre discipline. Et en parlant de musique, nous pouvons employer celle écrite au crépuscule du règne de Louis XIV par son neveu, et qui servit de bande originale pour la belle évocation de la Régence par Bertrand Tavernier: Que la fête commence !

Marc Lohez – Bruno Modica

Dans la Cliothèque, by lohezclionautes