Modératrice : Florence Bernault, professeure à l’IEP-Sciences-Po

Intervenants : Eric Cakpo, chercheur en art et histoire de l’art à l’université de Lorraine ; Nora Greani Marie, Laboratoire d’Anthropologie et d’histoire de l’Institution de la Culture – LAHIC – CNRS-EHESS ; Geoffroy Heimlich, archéologue et historien, expert à l’ICOMOS – IMAF et Rock Art Institute, Université du Witwatersrand , Johannesburg

Jeudi 11 octobre 2018, Campus CCI, Amphi vert, 16h30

Nous tenons à remercier les intervenants qui nous ont communiqué leurs images, bien utiles pour un tel sujet.

Cette table ronde montre comment le pouvoir et la croyance en Afrique reposent aussi sur les images. Cette question touche deux problématiques. La première est celle de l’abondance des études sur les images produites par la colonisation, donc des images réalisées par des personnes étrangères à l’Afrique. La seconde est celle des images produites par les Africains dans le cadre d’une culturelle visuelle populaire. Ainsi il est moins évident d’appréhender l’importance et le rôle des images avant l’ère coloniale.
L’intervention de Geoffroy Heimlich porte sur les images rupestres  du massif de Lovo, dans le nord de l’ancien royaume de Kongo Les études pluridisciplinaires montrent que bien des rituels kongo sont pré-chrétiens et se réfèrent à des narrations associées à l’origine mythique de la mort. On y recense 117 sites, soit près de 5700 images rupestres. Elles reprennent la figure des Simbi, comme à Fuakumbi esprits à qui l’on fait des offrandes dans le but d’obtenir des bénédictions.


Ce sont des pratiques qui se poursuivent encore aujourd’hui. Dans les croyances, les humains deviennent , après leur mort, des sortes de revenants errants de longues années dans la brousse avant de mourir une seconde fois. Les hommes se transforment alors en lézards dont on trouve la représentation en grand nombre dans cette région. Les femmes prennent la forme de grenouilles.

Certains lézards figurés dans les grottes ont une posture anthropomorphe, bras gauche baissé et bras droit levé. Typique de l’art kongo, ce geste apparaît par exemple sur la garde sculptée des épées de prestige du XVIe siècle. La représentation des théranthropes, êtres mythiques en partie humains et animaux associent aussi le lézard. La compréhension de ces images est possible grâce aux mythes encore vivants.

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Erick Cakpo2 nous fait rester dans le royaume Kongo, entre le XIVe et le XXe siècle.
Il s’interroge sur l’effacement ou la présence des images, comment elle peut persister alors qu’on veut l’effacer à une époque où les chefs Kongo ont pu trouver dans les représentations chrétiennes une expression de leur pouvoir politique.

Le statut de l’image change à l’arrivée des Européens en 1483. Les Portugais remontent le fleuve Congo et parviennent à convertir les rois Kongo dès 1491. Alphonso Ier (1504-1543) est ainsi le deuxième roi chrétien. Il orchestre la destruction des objets locaux considérés comme fétiches. La représentation de cet événement par Théodore de Bry en 1598 (Abjuration du roi Congo, BNF).


Cette construction est biaisée car l’auteur est européen, n’a pas vu la scène, s’inspirant des récits de voyage. Il représente donc des monstres médiévaux à l’allure de Belzebuth.

Les images chrétiennes s’imposent pendant environ un siècle avant d’observer un syncrétisme notamment au travers de crucifix possédant une charge magique.

Les fouilles du XIXe siècle ont ainsi mis au jour des objets figurant Saint Antoine de Padoue ou Saint Christophe utilisés comme talismans de guérison.

L’image est ensuite une représentation mentale dépendant de l’image que veut véhiculer l’autorité sur place.
Ainsi, le roi peut être représenté habillé en Européen, se démarquant ainsi de son peuple.

Ainsi, lorsque les Portugais arrivent s’engage bien un jeu de pouvoir par rapport aux images.
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Florence Bernault3 se déplace au Gabon durant la période coloniale. Elle y décrit le processus de perdition du pouvoir spirituel des esprits de la nature à cause de la fixation de ces esprits en image. Pour cela, dans la ville de Mouila, elle prend l’exemple du génie des eaux, Murhumi, décrit comme un protecteur participant à l’économie de la communauté en changeant les offrandes en métal, utilisé dans les échanges. Avant l’arrivée des Français en 1904, Il n’est pas personnifié, n’est l’objet d’aucune représentation et n’est ni féminin, ni masculin. S’opère alors une mutation avec la construction de Mouila, poste militaire colonial. Les communautés migrent vers cet espace urbain voulant profiter des échanges économiques. L’esprit se déplace également. Avec les colons, ce qui n’était pas visible, ne pouvait être vu sous peine d’être pétrifié prend une tournure différente. La technologie européenne maîtrise le fer et la transformation du métal. Vers 1960, un administrateur déclare avoir photographié une sirène associée à Murhumi. L’appareil photographique devient l’objet du possible, voir le génie et donc le représenter.
Celui ci prend les traits d’une femme à queue de poisson sur un bas relief en bois.


Dans les années 1970, la municipalité souhaite exposer cette statue en réalisant un bâtiment, à proximité du fleuve dont l’architecture reprend celle des oratoires catholiques de la vierge Marie. Ce qui était une figuration assez anonyme, stockée quelque part peut désormais être vue par tous, mais, la sirène tourne le dos au fleuve…

Un pont est ensuite construit ainsi, n’importe qui peut traverser la rivière sans avoir à prier le génie des eaux. C’est comme s’il disparaissait de la culture locale.
On observe donc un passage de l’invisible à une incertitude sur la force de ce génie qui se manifeste justement par la fixation de son image. Plus il est représenté, moins il a de pouvoir.

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Nora Greani-Marie4 évoque, elle, le XXe siècle. Elle traite des monuments africains en tant que transition dans le processus de décolonisation. Ainsi, beaucoup de statues ont été déboulonnées car figurant l’Européen et son emprise. Il faut donc renouveler les images. C’est le cas de la destruction de la statue d’Henry Morton Stanley.

De nouveaux monuments sont érigés à l’occasion des anniversaires de libération entrant dans le cadre de la Renaissance africaine. Nombre d’entre eux sont alors commandés en Corée du nord « Mansudae Overseas projects »

qui les réalisent dans un style néo-réaliste-socialiste assez particulier jusqu’à l’interdiction de ces importations par l’ONU comme « la renaissance africaine » érigée à Dakar par le président Wade. Les statues entrent en jeu dans les relations de pouvoir, la construction d’un roman national comme peut l’illustrer la représentation de Félix Houphouët-Boigny sur un vitrail de la basilique Notre Dame de la Paix à Yamoussoukro.

 

 

Un cinquième intervenant était prévue qui, à son grand regret n’a pu se rendre à Blois. S.R. Kovo N’Sondé, chercheur associé au CIRECK (Centre International de Recherche-Education sur la Civilisation Koongo de Brazzaville-Mfoa) se proposait de présenter : De la religion traditionnelle à l’esthétique des Ethos Koongo et Téké. Il analyse les statuettes comme expression de la religion mais aussi du pouvoir et montre comment ces images sont aujourd’hui réinterprétées par l’art.

Il  présente les images de fétiches, statuettes dansantes, témoignages d’un contexte historique et sociologique.

Il analyse la photographie d’une séance de l’intronisation d’un mfumu koongo, représentation sacrée et mise en scène rituelle du pouvoir et montre des œuvres artistiques récentes comme un tableau de Simon N’Sondé : Scène Nkisi qui permet aujourd’hui d’imaginer les éléments de la religion.

                                                                                        

De même il met en regard une statuette du Musée du Quai Branly qui en 2014 est identifiée comme une allégorie du pouvoir des clans matrilinéaires koongo (mvila za ma-kaanda) « La femme au félin » et sa réinterprétation dans le cadre de l’exposition CONGO TALES told by the people oh Mbomo (Prestel Edition, 2018).

                                        

S.R. Kovo N’Sondé propose une bibliographie Pour en savoir plus, articles en libre accès et téléchargement: nsondesr.wordpress.com
– S.R. Kovo N’Sondé, « De la religion traditionnelle à l’esthétique de l’ethos koongo », dans BAKONGO « Les Fétiches » (ouvrage coll.) Paris, Éditions Alain Lecomte, 2016.
– S.R. Kovo N’Sondé, « Créations, initiations et interprétations: l’initiation est-elle une condition pour une esthétique koongo, bantoue ou afro-américaine? » dans revue Présence Africaine n°191, 2016.
– S.R. Kovo N’Sondé, « De la religion traditionnelle à l’esthétique de l’ethos téké (Nzi) », dans BATÉKÉ. Collectés par Robert Lehuard entre 1924 et 1933. Paris, Éditions Alain Lecomte, 2017.
– Congo Tales. Told by the people of Mbomo. Munich-London-New York, Prestel, 2018.

Nous remercions vivement Monsieur S.R. Kovo N’Sondé d’avoir permis de mettre en ligne ce complément à la table ronde.
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Pour aller plus loin :
• Pascal Blanchard, Nicolas Bancel, Gilles Boëtsch, Dominic Thomas, Christelle Taraud, Sexe, race & colonies, La Découverte, 2018
• Erick Cakpo, Art et christianisme en Afrique centrale, Presses de l’INALCO, à paraître
• Florence Bernault, Struggles for the Sacred : Assemblages of Power and Fantasies in Equatorial Africa (Gabon), Duke University Press, à paraître

Ferdinand de Jong et Vincent Foucher, La tragédie du roi Abdoulaye ? Néomodernisme et Renaissance africaine dans le Sénégal contemporain,