Conférence : La France et la mer

par Antoine Frémont, directeur de recherche, IFSTTAR animée par Etienne Augris, journaliste, revue L’Éléphant.

FIG 2018

À la demande d’Étienne Augris, Antoine Frémont explique son intérêt pour la mer par ses origines familiales : un grand-père qui a commencé comme mousse au port du Havre, un oncle cuisinier sur un bateau et un frère qui est officier de la marine marchande.

La France, pays terrien qui a ou n’a pas un destin maritime ?

Un plan en 3 temps : passé / présent / futur

  1. Étudier le passé pour comprendre la situation actuelle

    A quels moments la France a-t-elle cherché à développer un intérêt pour la mer ?

    La France est-elle une puissance maritime ? Quelle relation de la France avec le reste du monde, cela, à travers la mer ?

    Dans les discours,  on entend que la France a une formidable façade maritime : 3800 km pour la France métropolitaine, et toutes les îles (les restes de l’empire colonial) du fait de la ZEE. Grâce aux ZEE, nous sommes à la tête d’un très vaste espace maritime (le 2ème ou 3ème espace maritime mondial) mais est-ce cela qui fait de la France une très grande puissance maritime ?

    Au départ, la construction de la France, c’est d’abord la construction politique de l’hexagone. Le maritime est venu ensuite. Les rois de France capétiens ont été obsédés par la terre. Étienne Augris souligne que si les Plantagenets avaient dirigé la France, elle aurait eu un autre rapport à la mer. Si l’Aquitaine avait basculé  côté anglais, est-ce que le rapport de la France à la mer aurait été modifié ? Mais on constate que la construction maritime n’est pas première dans la construction de l’Héxagone.

    Autre exemple : Fondation du port du Havre par François 1er en 1517, c’est d’abord un port militaire pour faire face aux anglais dont la puissance maritime s’affirme. Ce n’est pas un port de commerce au départ. Situation charnière.

    Volonté et prise de conscience de la part des rois : Colbert, ministre de Louis XIV ,dans une perspective mercantiliste, va construire une marine de guerre pour la France. On constate ensuite un interventionnisme de l’Etat pour soutenir le commerce maritime.

    Est-ce que la France, qui est une puissance territoriale et une puissance maritime, a les moyens de ses ambitions ? Est-il possible d’être sur tous les fronts ?

    Fin XIX et XXème siècle : forte intervention de l’Etat sur le commerce maritime.

    Au XVIIIème siècle, toute l’activité maritime, c’est le commerce Atlantique, c’est l’expansion de ports comme Bordeaux, Nantes, Marseille dont la population augmente énormément. C’est un commerce où la concurrence est franco-française, ce n’est pas la mondialisation.

    Au XIXème siècle, Napoléon III veut donner une position importante à la France maritime.

    Un tournant au XVIIIème , qui est discuté, la guerre de 7 ans où la France perd son 1er empire colonial : affirmation de la puissance maritime anglaise sur ttes les mers du globe et en particulier sur l’Atlantique. Le commerce Atlantique est alors soumis à la bonne volonté anglaise. Sous Napoléon, on observe le blocus continental puis Trafalgar (1805) …A chaque fois que la France subit des défaites très importantes on choisit de remonter la marine de guerre, par exemple c’est ce que fait Choiseul sous Louis XV. On voit aussi la naissance des grandes compagnies notamment la Compagnie Générale Transatlantique des frères Pereyres où la situation change. C’est un commerce Atlantique à destination du Nouveau Monde. On entre dans de grandes compagnies avec des capitaux très lourds car ces bateaux et navires marchands sotn des entreprises coûteuses.

    Le XXème s : comment évolue ce rapport de la France à la mer ?

    L’espace maritime jusqu’à la décolonisation fonctionne dans la colonisation. Les compagnies sont à l’abri de la concurrence sauf les compagnies françaises entre elles. La seule route internationale est celle de l’Atlantique nord : on y trouve les grands paquebots de ligne et les puissances européennes se livrent une concurrence féroce. La french touch sur les paquebots français est renommée par rapport aux bateaux étrangers.

    L’ouverture au monde est encore faible au XXème s av la décolonisation.

    Les compagnies françaises ont subi un vrai traumatisme car la transition post-coloniale n’était pas prévue. On observe qqs fusions entre compagnies françaises et on est toujours dans une logique d’Etat qui soutient et aide un secteur considéré comme stratégique.

    C’est la transition à la fin des années 60 accompagnée d’une tentative de modernisation mais qui n’est pas suffisante. La concurrence des pays asiatiques est un choc. Les compagnies maritimes françaises n’ont plus rien à voir aujourd’hui avec celles du XXème s.

  2. Aujourd’hui…

    La grande compagnie c’est CMA-CGMdont le siège social est à Marseilles, emploie 10 000 personnes à travers le monde, 4ème armateur mondial. A la tête de cet armement est un homme d’affaires libanais qui développe son entreprise de manière prodigieuse notamment car il entretient des liens privilégiés avec la Chine. Les équipages sont ukrainiens ou philippins et les capitaines sont plutôt européens. Les bateaux sont sous pavillon panaméen ou des bahamas, ce sont des pavillons de complaisance comme pour toutes les compagnies du monde. C’est un fonctionnement de la mondialisation.

    On change alors de pensée : pour cette compagnie le marché hexagonal est encore important mais fondamentalement son marché c’est le monde. La France n’est alors qu’un marché parmi d’autres.

    Autre exemple : Louis-Dreyfus armateur qui fait commerce du grain. Historiquement Louis-Dreyfus a toujours été sur les marchés mondiaux.

    Les compagnies maritimes françaises ont pris le monde comme marché et participent au rayonnement et à la puissance maritime française. Mais leurs centres de décision sont-ils vraiment toujours en France ? Comment cela évoluera-t-il ?

    Importance de la conteneurisation. Dans un 1er temps les ports français ont raté cette conteneurisation. Leur retard pris dans années 80-90 a-t-il été rattrapé ?

    Actuellement, à l’échelle mondiale, les plus grands ports sont situés en Asie depuis le Japon jusqu’à Singapour. Les ports français restent dans le contexte européen : Dunkerque / Le Havre sont en concurrence avec la Rangée du Nord de l’Europe : Anvers, Rotterdam, Hambourg. Marseille est en concurrence avec les ports méditerranéens.

    Les ports de la façade Atlantique : Bordeaux, Nantes, St Nazaire, La Rochelle sont devenus, parmi les ports mondiaux, presque des ports périphériques. A Brest, on exporte beaucoup de poulets… c’est également un port militaire comme Toulon. Les ports Atlantique demeurent importants pour le transport de proximité et pour les vraquiers (navire qui transporte des marchandises en vrac : matériels…)

    Sur la longue durée, on observe cependant un déclin des parts de marché des ports français mais un effort est fait pour que ce déclin ne perdure pas.

    Où en est-on ? Est-ce que Le Havre et Port 2000, grand port en eaux profondes, va réussir à rattraper son retard ? Pour le port, on a le cœur de l’hinterland puis plus on s’éloigne plus on va être en compétition avec d’autres ports. Ici à St Dié les marchandises passent par Hambourg et non par Le Havre.

    Le Havre et son slogan « 1er à l’import dernier à l’export » est-ce juste de la communication ? Depuis 2 ans on observe une reconquête notamment dans le secteur du pétrole. Les ports français se sont modernisés en matière d’infrastructure. Ils se sont mis à niveau notamment en terme d’organisation : réforme de 1992 où les dockers sont devenus salariés d’entreprises de manutention et réforme de 2008 : les entreprises de manutention gèrent la totalité des dockers. C’est un fonctionnement qui s’aligne sur l’organisation mondiale. Cela a permis une meilleure productivité aux terminaux, même si tout n’est pas parfait. Les ouvriers dans tous les ports du monde sont très bien traités car si les dockers s’arrêtent c’est tout le port qui est bloqué, c’est une position de force remarquable. Bien sûr le métier est dur. On peut évoquer aussi les ouvriers de la logistique dans les entrepôts, hors des ports, sur les échangeurs autoroutiers qui ont des conditions de travail difficiles.

  3. L’avenir ? Scénarios pour le futur ?

    Deux scénarios opposés : déclin / optimiste

  1. Le pétrole : on importe de moins en moins de pétrole car on e nconsomme moins et parce que le raffinage se fait de plus en plus sur les lieux d’exportation. Donc le pétrole qui faisait gagner beaucoup d’argent ne semble pas promis à un bel avenir. Dans 20 ans ? Restera-t-il du raffinage dans les ports français ? La raffinerie Total de Dunkerque a fermé. Les raffineurs ont ainsi commencé à fermer les petites unités de raffinage. Maintenant on constate une concurrence entre le complexe d’Anvers Rotterdam et le complexe de raffinage de la Basse-Seine. Enjeu stratégique et d’indépendance nationale et européenne…

    Même démonstration avec la sidérurgie…l’arrivée de l’acier chinois sur le marché peut entraîner le même scénario catastrophique. Ces industries lourdes qui ont été des moteurs ne peuvent survivre que si elles restent des industries de pointe.

    Donc on imagine la disparition du raffinage dans les ports français et Anvers-Rotterdam remportent la mise alors que Dunkerque et Le Havre deviennent des ports périphériques. C’est catastrophique car on parle d’emploi, d’activité économique donc d’enjeu sur des populations et sur leur rapport à la mondialisation. Ceci peut avoir un impact en terme de vote.

  2. La haute technologie

    -le raffinage de très haut niveau pour l’industrie pétro-chimique de pointe.

    -Un hydrogène à partir d’énergie renouvelable

Ces énergies permettraient de conserver un fonctionnement productif des ports.

On peut imaginer un scénario intermédiaire.

Mais d’une manière générale, le rapport à la mer est une question stratégique pour la France et l’Europe.

Questions :

-Les ports / l’environnement : zones littorales donc fragiles donc enjeu à faire cohabiter la protection de l’environnement et la productivité des ports. Cette protection environnementale devient aussi pour les ports un levier de compétitivité. A Los Angeles, on fait change les bateaux de carburant à l’approche du littoral pour limiter la pollution.

-ZEE, quelles potentialités pour l’avenir ? Les ressources halieutiques (la pêche) sont importantes + volonté de contrôler ces ressources. On spécule sur d’éventuelles nodules polymétalliques. Le gouvernement français, comme tous les gouvernements, s’attache à la délimitation des ZEE (au-delà de la zone des 200 miles) et cela montre l’intérêt des ZEE.

  • Le changement des routes maritimes mondiales : les routes de l’Arctique, pour l’instant, ne sont pas utilisées par les flottes mondiales car elles sont trop dangereuses. En hiver, la mer est encore gelée et en été les icebergs sont encore présents… La législation exige que les coques soient renforcées donc cela coûterait trop cher. Les États affirment leur présence dans ces eaux de manière symbolique mais l’exploitation des ressources en Arctique va nécessiter une flotte. On retrouve des enjeux environnementaux car on est sur des milieux hyper sensibles. Pour l’instant, cela n’intéresse pas encore les compagnies.