Ministère des Affaires Etrangères et du développement in
Bertrand Sajaloli est maître de conférences Département de Géographie Université d’Orléans, est spécialiste des liens homme-nature et de l’aide au développement en Afrique de l’Ouest.Il est aussi vice-président du réseau de solidarité internationale de la région Centre Val-de-Loire, CENTRAIDER et militant dans une petite association. Il intervient comme géographe notamment dans la diffusion de l’agroécologie au Burkina Faso et plus généralement dans celle du développement rural durable.

Samedi matin une conférence très suivie sur les paradoxes de l’aide au développement.

L’aide au développement est une préoccupation de plus en plus présente depuis la définition des OMD en 2001 Objectifs du Millénaire pour le Développement, le Forum sur l’efficacité de l’aide organisé à Busan en 2011 en Corée du Sud, le lancement en 2015 d’une norme internationale par l’Initiative Internationale pour la Transparence de l’Aide (IITA)…

De très importants financements ont été investis mais pour quels résultats ?

Le Ministère des Affaires Étrangères et Citées Unies France ont engagé en janvier 2009 une évaluation de la coopération décentralisée au Burkina Faso, évaluation qui sert de base à cette présentation.

Le Burkina Faso est le pays le plus aidé, de nombreuses opérations concrètes et surtout un réseau de relations et d’échanges. Cependant on constate un manque d’appropriation par les populations bénéficiaires ce qui entraîne des freins à la pérennisation des équipements, des jumelages sans réel portage politique et des effets peu évalués sur les populations et leurs organisations.

Comment analyser ses limites ?

Suivant les projets on constate différents travers :

  • un manque de compétence des acteurs de l’aide au développement en particulier en matière d’accompagnement de leurs partenaires
  • une mauvaise appréciation par les acteurs français des besoins de leurs partenaires burkinabés
  • une difficulté pour les acteurs du Sud à se situer par peur de perdre les bénéfices matériels actuels de la coopération. (par exemple tel équipement non adapté aux habitudes locales)

Une phrase peut résumer ce premier point : « On peut avoir techniquement raison mais culturellement tort »

La question de l’interculturalité est évoquée par exemple le non-respect de la place des Anciens ou le fait qu’on ne dit pas non à un donateur. La responsabilité des incompréhensions est souvent partagée.

Un autre constat, en 2016, l’aide va mal du fait de la crise, de la question migratoire, de l’insécurité dans nombre de pays avec les freins aux déplacements pour rencontrer les bénéficiaires de l’aide. Le conférencier va jusqu’à parler de tarissement des flux financiers et des élans humains en matière d’aide au développement La Coopération décentralisée ne se porte pas bien en France (baisse des projets, dynamique centripète des Collectivités Territoriales, disparition de l’engouement) du fait de évolution de la perception française vis à vis de l’étranger (question des migrants), des problèmes de sécurité en Afrique de l’Ouest qui sont instrumentalisés pour décider de l’arrêt des financement, au demeurant en baisse (Joël Lebret, DAECT, Délégation pour l’action extérieure des collectivités territoriales, MAEDI) Réunion du Groupe Burkina Faso de Citées Unies France, 11 mars 2016.

L’aide au développement est au mieux une utopie au pire un cynisme.

L’aide publique par sa présence conduit à des migrations de la jeunesse africaine dans un pays classé 183e sur 187 d’après l’IDH en 2012, dont le budget est alimenté à 80% par l’aide et où le fossé entre les plus riches et les plus pauvres s’aggrave.

L’aide qualifiée d’humaniste (ONG, Églises…) est sans doute généreuse mais ambiguë : elle impose de fait un modèle occidental (croissance, accumulation de biens) aux dépens des demandes des populations et génère une classe d’intermédiaires de l’aide. Un « catéchisme bien pensant comme le développement durable comme le dit le conférencier.

Au Burkina Faso

« aider, c’est pas donner, aider c’est se donner !  » comme le montre Maryvonne Charmillot  : Réflexions sur l’aide et le développement Nouvelle revue de psychosociologie 2008/2 (n° 6) pp. 123 – 138, à lire ici : [https://www.cairn.info/revue-nouvelle-revue-de-psychosociologie-2008-2-page-123.htm->https://www.cairn.info/revue-nouvelle-revue-de-psychosociologie-2008-2-page-123.htm]

Cette affirmation est ensuite mise en regard d’une étude du réseau des acteurs de la solidarité internationale de la région Centre au Burkina Faso dans le cadre du Projet de recherche RADICEL-K, financé par la Région Centre-Val-de-Loire avec une mission d’audit des ONG diligentée par CENTRAIDER en partenariat avec l’Université d’Orléans et le laboratoire CEDETE.

Une rapide présentation du réseau CENTRAIDER [http://www.centraider.org->http://www.centraider.org]. Le conférencier décrit la méthodologie de l’étude : identification, localisation et rencontre des acteurs au Burkina Faso, deux missions au Burkina Faso 2011 et 2015 pour comprendre les dynamiques de localisation et d’actions des acteurs locaux, observer les actions et leur perception par les communautés locales, percevoir les facteurs de pérennité des actions menées.

Le constat

Le Burkina Faso est un « pré carré » des ONG selon Gregory ENÉE Il a en 2007 soutenue à l’université de Caen sa thèse : L’action des organisations non gouvernementales au Burkina faso, disponible en ligne [https://halshs.archives-ouvertes.fr/tel-00402782/document->https://halshs.archives-ouvertes.fr/tel-00402782/document].

On a bien du mal à décompter les Acteurs de la Solidarité Internationale (ASI) : il s’agit tantôt d’associations de loi 1901, d’associations se définissant et étant reconnue comme des ONG tantôt de la coopération institutionnelle (Comité de jumelage) voire du secteur privé (fondation, entreprise à vocation humanitaire).

1104 ASI françaises ont été répertoriées, majoritairement des associations mais ne pas oublier les aides venues d’Europe, d’Amérique …

On estime à 15 000 à 17 000 les acteurs de la solidarité internationale au Burkina Faso soit
1 ASI pour 20 km2 ou 1 ASI pour 1 000 habitants.


https://pastel.diplomatie.gouv.fr/cncdext/…/telechargerDocument.html?id...

Bertrand Sajaloli donne l’exemple de la ville de Tenkodogo où, il y a quelques années, étaient présentes au moins 45 ASI peu ou pas connues du maire et dont l’ensemble des budgets dépasse largement le budget municipal. Ce qui pose un réel problème de gouvernance locale du développement.

Une aide qui privilégie la capitale et les grands axes routiers, qui ignore des régions densément peuplées et les plus pauvres, une aide qui est capturée par les Mossi.

Cette situation entraîne une relative concurrence entre les ASI qui ont des divergences sur les modalités d’actions et pose un problème d’intégration de l’aide par les bénéficiaires.

Que faire ?

Pourquoi et comment se constitue en région Centre Val-de-Loire, sous l’égide de la ville de Chinon, un réseau des acteurs de la coopération de la région de Tenkodogo dans le contexte récent de la réforme de la communalisation au Burkina Faso. La nécessité de prendre en compte la rivalité entre pouvoir traditionnel et légal et l’histoire conflictuelle entre villages.

Pour la bonne pérennité d’une action un certain nombre de points doivent retenir l’attention : le respect du rôle des institutions locales et nationales, la prise en compte des populations locales sans oublier les réalités du commerce local, la dimension interculturelle et les facteurs ethniques, la présence et l’action d’autres intervenants de l’aide.

Quelques éléments sont rapidement présentés sur l’exemple de mutualisation de Tenkodogo : 8 programmes, plus de 1,6 millions d’euros mobilisés sur ce territoire depuis 2005 qui s’inscrivent dans le plan communal de développement.

Conclusion :

Le conférencier pressé par le temps propose quelques références d’une anthropologie critique du développement qui remet en question la légitimité même de l’action humanitaire :

Ambroise Zagré, Approche critique du développement en Afrique Subsaharienne, L’harmattan 2015

Olivier de Sardan J.-P.(ed), Elections au village. Une ethnographie de la culture électorale au Niger. Karthala, 2015.

Olivier de Sardan J.-P. and V. Ridde (eds). Une politique publique de santé et ses contradictions. La gratuité des soins au Burkina Faso, au Mali et au Niger. Paris: Karthala, 2015.

Il annonce aussi un colloque à Orléans les 31 mars et 1er avril 2016 : « Intensification écologique des sols et agroécologie en Afrique de l’Ouest. Conception, pratiques, résultats, diffusion »