Dans une salle de conférence pleine à craquer, témoignant de l’intérêt porté à la question traitée aujourd’hui, Géraud Magrin nous invite à revenir sur les visions et constructions que nous pouvons avoir sur le lac Tchad, et de les discuter à l’aune de la recherche scientifique. De fait les approches divergent et entrent en opposition :

  1. Le discours le plus médiatisé (COP 21) se veut alarmiste sur le lac Tchad : sa disparition serait prochaine et serait même pour certains la cause de la montée en puissance de Boko Haram.
  2. A l’inverse nous rencontrons une analyse plus optimiste sur le potentiel du lac Tchad avant la crise Boko Haram (depuis 2014),, notamment sur le plan économique (rencontre au pavillon africain lors de la COP 21, sous l’égide de la CBLT). Commission du Bassin du Lac Tchad).
  3. Lors du side event de l’IRD Institut de Recherche pour le Développement, des représentants politiques ont demandé aux scientifiques d’arrêter de contester la thèse de la disparition du lac afin de maintenir la mobilisation sur le dossier.

Le but de la conférence va être de travailler sur le hiatus entre le discours politique et la réalité
scientifique. Ce discours est utile pour légitimer un grand projet de transfert d’eau et
la mobilisation de ressources de l’aide internationale.

Trois parties dans le développement :

  1. Comment les chercheurs des diverses disciplines voient le lac Tchad ?
  2. Comment fonctionne le mythe de la disparition ?
  3. Quels discours aujourd’hui ?

I, Le lac Tchad :

Le laLe lac Tchad se situe dans une cuvette endoréique, dans un relief très plan. C’est un lac très peu profond (max 3m actuellement) et qui est alimenté essentiellement par le Chari et Logone, au débit très variable. Ainsi la taille du lac a largement varié au cours du siècle dernier : si Jean Tilho craignait que le lac disparaisse dès 1907, celui-ci atteint sa dimension maximale depuis que les relevés existent dans les années 1950, pour commencer à régresser de nouveau à la suite des sécheresses de 1973.

Pour approcher au mieux la réalité, Géraud Magrin nous invite à abandonner notre image du lac européen, vaste étendue d’eau au tracé bien délimité, pour embrasser la diversité du lac Tchad, largement végétalisé et occupé en grande partie par un marécage. Ce point pris en compte, le bilan devient tout autre : le lac Tchad représente, au moment de plus forte crue d’années récentes, près de 15 000 km² inondés et non pas les 2000 toujours cités, qui correspondent au plan d’eau libre du delta du Chari.

Il est difficile de prévoir les évolutions futures du lac, du fait du réchauffement climatique Le lac faillit disparaitre au XVème siècle.. Le principal risque est démographique : si 50 millions de personnes vivent actuellement dans le bassin du lac Tchad, les projections actuelles nous annoncent 130 millions de personnes en 2050. Si la consommation par habitant doublait, les prélèvements passeraient de 3km³/an à 18 (or, les apports actuels sont de 18-20km3).

Avant que le phénomène Boko Haram s’étende jusque sur ses berges, le lac Tchad constituait une zone de prospérité relative dans le Sahel, attirant des populations qui y développèrent des modes de gestion de la variabilité des dimensions du lac reposant sur trois points (les trois M) :

  1. La Mobilité
  2. La Multi-activité des personnes
  3. La Multi-Fonctionnalité des sols

C’était un pôle exportateur de produits de l’agriculture, de la pêche et de l’élevage vers les villes régionales (Ndjaména et Maiduguri notamment) et les campagnes de son arrière-pays.

II, Le fonctionnement du mythe de la disparition du lac Tchad

Ce mythe n’est pas récent mais remonte aux années 1920 Jean Tilho, Variations et disparition possible du lac Tchad, Annales de géographie, 1928 disponible au lien suivant : http://www.persee.fr/doc/geo_0003-4010_1928_num_37_207_9299. Les sécheresses des années 1970 l’ont légitimement renforcé (crainte réelle). Ce discours est désormais teinté d’écologie et sert d’illustration au changement climatique.

Récemment le mythe est réapparu à travers un article de Coe et Foley en 2001Michael T. Coe & Jonathan A. Foley, Human and natural impacts on the water resources of the Lake Chad basin, Journal of Geophysical Research, 2001, cité par la NASA et largement repris, annonçant la disparition du lac du fait des sécheresses et des prélèvements anthropiques. Des cartes sont publiées avec l’article qui sont connues de tous aujourd’hui. Or les cartes sont l’objet d’un assemblage trompeur : les images satellite employées ne sont pas datées précisément : se situent-elles avant ou après les crues ? De plus les grandes variations sont naturelles dans le lac Tchad et sont peu probantes. De même Coe et Foley ont mal lu les données et les travaux de l’IRD. Malgré une réfutation formelle sur le plan scientifique par tous les hydrologues spécialistes de cet espace, qui n’a jamais suscité de réponse des auteurs, l’article reste une référence pour les institutions, y compris les agences de l’ONU. Lac Tchad ou la catastrophe humaine, déclaration de la FAO en 2009, disponible au lien suivant : http://www.fao.org/news/story/fr/item/36196/icode/.

Les médias ont joué un grand rôle dans la diffusion de ce mythe, en reprenant l’argumentaire institutionnel sans le mettre à distance. Les ressorts sont toujours les mêmes : mauvaise conscience occidentale et sensationnalisme.

Face à la question du lac, un projet ancien vise à opérer un transfert d’eau depuis le bassin du Congo : le projet Transaqua, actualisé et redimensionné (de manière plus modeste) au cours des années 2000 sous l’égide de la CBLT. Celui-ci pose de nombreuses questions : Un transfert dans quel but ? Fascination des grands projets ? Impact environnemental ? Viabilité géopolitique (les deux Congo et la RCA restent peu stables) ?

III, Discours politiques divergents :

Des discours divers dans les pays riverains :

  1. Le Niger et le Cameroun sont loin du lac mais y portent un intérêt croissant
  2. Le Nigéria est un poids lourd qui pèse de manière décisive dans les décisions
  3. Le Tchad est un acteur clé qui a compris l’intérêt diplomatique à se présenter comme grand défenseur du lac. Intérêts majeurs dans le lac (la capitale N’djamena est à 100km du lac).

A la périphérie du bassin, des Etats ont aussi voix au chapitre

  1. La Libye, très intéressée par le lac du temps de Khadafi (exploitation peu durable des aquifères libyens et rayonnement diplomatique)
  2. La République Centrafricaine cherche à réintégrer le jeu des Nations par son implication dans les projets autour du lac
  3. La République Démocratique du Congo est peu encline à céder sur le projet Transaqua et accepter un transfert des eaux du Congo.

N’oublions pas d’intégrer la CBLT, qui est à l’image du contexte régional. En effet elle a traversé une histoire mouvementée, comprend les enjeux du transfert, mais est prisonnière du mythe créé dans le passé et que les politiques ne parviennent pas ou ne veulent pas briser.

D’autres parties prenantes en Europe et dans le reste du monde s’intéressent au lac Tchad., Les grands bailleurs de fonds ont des programmes peu coordonnés et sont parfois rivaux (Banque africaine de développement ; Banque mondiale ; GIZ allemande, Union européenne…). La France tient une place ambiguë sur la question, en s’impliquant scientifiquement et militairement, mais sans avoir ni les moyens ni le projet de financer les grands projets.
Par ailleurs, des acteurs politiques inattendus s’intéressent aussi à la question, avec plus ou moins de sérieux. Les Italiens sont aussi ambigus sur la question (forte prégnance du mythe de la disparition du lac).Romano Prodi, Sauvetage du lac Tchad, un espoir de paix, Le Monde Diplomatique, 2014, disponible pour les abonnés au lien suivant : https://www.monde-diplomatique.fr/2014/07/PRODI/50616).

Conclusion :

Sauver le lac implique davantage de rétablir la paix dans la région que de le renflouer actuellement. A long terme, un transfert d’eau pourrait être une piste à étudier, mais une meilleure gestion des ressources en eau du bassin est tout aussi possible.

Si le mythe environnemental a la vie dure, des travaux scientifiques récemment publiés, comme l’expertise collégiale CBLT/IRD ou l’Atlas du lac Tchad (Passages), contribuent à diffuser une vision plus précise des réalités de cet espace vulnérable mais à haut potentiel pour le développement.