Carte blanche à l’Université du Temps Libre de Blois pour le thème « La mer ». 

« Au cours des XVIIIe et XIXe siècles, des observatoires astronomiques sont progressivement créés dans les principaux ports transocéaniques, avec pour but d’offrir des solutions au problème de la détermination de la longitude en mer. En France, ces établissements sont installés principalement dans les ports de Marseille, Brest, Toulon, Rochefort, Nantes, Lorient et Cherbourg.
Progressivement abandonnés au cours des années 1910, ces observatoires sont rapidement tombés dans l’oubli jusqu’au début des années 2000. À Lorient et à Nantes, la redécouverte de ces observatoires, dont les bâtiments subsistent toujours, suscite un grand enthousiasme auprès d’un large public désireux de mieux comprendre les techniques anciennes de navigation. »

L’UTL a invité Olivier Sauzereau, historien des sciences, chercheur associé au CRHIA Université de Nantes et vice-président de l’association Méridienne. Il se définit également comme astrophotographe et « inventeur » des observatoires astronomiques de Nantes et de Lorient. 

Les (re)découvertes d’un adolescent amateur d’astronomie

Pourquoi « inventeur » d’anciens observatoires du XVIIe siècle ? En fait ceux-ci avaient disparu des paysages et de la mémoire des lieux qui les avaient vus être érigés. Le début de l’histoire commence à Nantes là où a vécu près du théâtre Graslin notre conférencier, alors jeune amateur d’astronomie. 

Il s’agit en fait  d’une micro-histoire à replacer dans le contexte du 1er tiers du XIXe siècle, dans lequel il s’agissait de mettre en place des outils de navigation indispensables en mer.

 

Place Graslin avec la tour de l’observatoire

 

Intrigué par la présence d’illustration de l’époque montrant une tour derrière le théâtre, notre enquêteur cherche à en connaître la fonction. Y avait-il un astronome à l’époque qui s’en servait ? Turner en avait bien fait une peinture, mais les historiens locaux assuraient qu’il n’y avait pas eu d’observatoire astronomique à Nantes.

 

 

 

 

Faut-il en conclure que Nantes est une ville de commerçants, mais pas de scientifiques ? Toujours est-il que l’examen des archives de la ville ne laissent plus place au doute. Si bien qu’en 1999, ce travail de recherche débouchera sur une thèse : la tour qui n’existait plus avait bel et bien été un observatoire astronomique. 

A quoi pouvaient servir ces observatoires de la marine ? 

La position en latitude, connue dès l’Antiquité

On connait tous la constellation de la Grande Ourse ou du Grand Chariot de 7 étoiles. Les Romains disaient « les 7 boeufs autour de l’Étoile polaire » soit 7 triones en latin, qui a donné « Septentrional », qui indique le nord, donc la position en latitude.

Or il s’agit toujours de croiser 2 points, en longitude et en latitude. 

La position en longitude, un choix politique

Si la latitude ne fait pas débat, ce n’est pas le cas de la longitude.  la ligne 0 de la longitude est un choix politique.

Le congrès de Washington en 1884 choisit le méridien de Greenwich, du fait de la prééminence de la marine britannique à l’époque, contre le méridien de l’observatoire de Paris. Question provocatrice : La Chine, devenue la 1ère puissance maritime, ne pourrait-elle pas exiger en 2049 que le méridien de référence devienne celui de Shanghaï ? 

Depuis l’Antiquité, on a malgré tout quelques méthodes d’approximation rudimentaires. Impossible de déterminer avant 1760 la position en longitude, or la circumnavigation en fait un enjeu d’Etat essentiel. 

Avant 1760, la navigation « à l’estime » 

L’introduction de la boussole fut une première étape de type scientifique dès le XIIe siècle indiquant la direction à prendre. Mais on ne sait pas faire la différence entre nord géographique et nord magnétique…

Christophe Colomb dispose d’un compas de marine (boussole) pour aller plein ouest. Pour déterminer sa vitesse il utilise le lochCette technique est décrite dans le film de Ridley Scott « 1492 » sur l’épopée de Colomb., morceau de bois jeté à la mer et rattaché à un cordage et permettant avec la taille du navire d’avoir un étalonnage, certes peu précis. Le sablier et les noeuds de la corde complètent le dispositif. Le nombre de noeuds passés dans la pomme de la main détermine la vitesse. 

 

 

Les erreurs de distances étaient nombreuses mais surtout parce que les courants et la houle pouvaient dévier les bateaux de leur cap initial. Aussi les pilotes se servaient de leurs expériences sensitives et des indications apprises à partir des textes des portulans. 

Portulan attribué à Christophe Colomb (1488-92)

On a ici une représentation cosmologique du Monde avec la Terre connue comme ronde depuis l’Antiquité. Le débat au XVIe siècle est ailleurs : la terre est-elle une planète comme les autres (Copernic) ou au centre du monde (la Bible) ?

La description est remarquable quand on connait les instruments de l’époque. Mais si la latitude est précise pas la longitude. On a ainsi une erreur d’au moins 1000 km sur le golfe de Guinée. 

 

 

Les naufragés du roman de Jules Verne « L’île mystérieuse » construisent un cadran solaire simplifié. Dès qu’il est midi l’ingénieur américain qui a gardé sa montre remontée peut connaître le décalage entre le méridien de Washington, soit 15 degrés par heure…

Or, aucune montre marine n’existe avant 1759. Et le XVIIe siècle voit le commerce maritime se développer rapidement. De grands Etats comme la France décident alors de favoriser la recherche scientifique avec la création de l’observatoire de Paris (à côté du palais du Luxembourg) en 1667 et en Angleterre en 1668 le Royal observatory de Greenwich. On y observe Jupiter et ses 4 points de lumière, les lunes galillèennes de Jupiter découvertes en janvier 1610. Si cette méthode d’observation fonctionne parfaitement sur terre, impossible de réaliser une observation stable en mer. 

Le tournant du chronomètre

En 1714, le bureau des longitudes présidé par Sir Isaac Newton offre 20 000 £ – une somme faramineuse – pour trouver une méthode précise pour mesurer la longitude en merEn 1707, l’amiral Anglais Cloudesley Shovell et sa flotte naviguent par temps de brouillard au nord des îles Scilly, pensant se trouver plus au large. La flotte s’échoue et plus de deux mille hommes périssent noyés. Cet énième naufrage, conjugué à la volonté britannique de suprématie maritime, est à l’origine du Longitude Act. .John Harrison chronomètre

C’est un horloger anglais, John Harrison, qui en 1759  invente un « chronomètre » ou « garde-temps ». Avec de multiples améliorations destinées à éviter toute déformations des mécanismes par la chaleur, le roulis, les perturbations magnétiques la Navy s’équipe dès 1819, renforçant ainsi sa suprématie.

Les observatoires de marine pour étalonner les chronomètre

À Nantes

À partir de 1826-1827, Frédéric Huette, opticien de la Marine, représentant direct de l’horloger royal de la marine Louis Breguet, Pierre Caillet, professeur d’hydrographie et Etienne Blon, architecte, sont à l’origine de la tour de l’observatoire de Nantes.

 

 

Comment construire une structure ? L’ennemi ce sont les vibrations. Elle doit d’abord être parfaitement stable. On crée alors des voutes de pierre sous la terrasse d’observation et donc sous les derniers étages ! Tous ces observatoires ont une particularité : la lunette qui contrôle pendant presque 24h, sur une bande étroite le passage d’étoiles.

 

Dans les ports français

 

La France entre 1815 et 1850 se dote d’un réseau d’observatoires de marine dans ses grands ports, de Cherbourg à Toulon en passant par Brest, Lorient, Nantes et Rochefort, relié à l’Observatoire de Paris.

Tombés dans l’oubli avec l’invention de la radio, ils sont détruits ou transformés. Celui de Nantes était menacé de destruction par un POS le considérant comme une verrue. Il est sauvé par la thèse de doctorat de l’auteur…

 

 

La renaissance de l’observatoire de Lorient

 

La 2nde (re)découverte d’Olivier Sauzereau a lieu à Lorient, d’abord  dans les archives de la ville avec l’ensemble des élèments qui ont permis sa construction. C’est dans l’un des 2 vieux moulins sur la colline la plus élevée de Lorient que notre conférencier découvre les vestiges d’un ancien observatoire. Bien que transformé ensuite en habitation bourgeoise, sa curieuse disposition verticale des fenêtres le confirme. 

 

 

 

« Les chronomètres » du lieutenant de vaisseau Ernest de Cornulier-Lucnière, paru en 1836, est le livre fondateur en France de la navigation moderne. 

Le SHOM (Service Hydrographique et Océanique de la Marine) actuel est l’organisme héritier de l’observatoire des chronomètres où les officiers de marine devaient remettre leurs instruments et être formés à la pratique de la navigation. 

 

 

Le propre frère de Jules Verne suit cette formation à l’école d’hydrographie de Nantes. L’écrivain s’en est inspiré pour écrire les « Mirifiques aventures de Paul Antifer » ou l’histoire d’un aventurier recherchant un trésor dont on lui indique uniquement la latitude Lecture chaudement recommandée par le conférencier !… Et Paul Verne passe l’un de ses diplômes à l’observatoire de Lorient ! 

De l’usage de « la boule horaire » des observatoires

L’observatoire de Lorient fera partie lors du 2nd empire des bâtiments équipés d’une « boule horaire » à l’imitation de celle de Greenwich. Cette technique permettait d’indiquer à la 1ère heure de l’après-midi la mesure exacte pour les bateaux désirant étalonner leurs chronomètres avant de partir. Ces boules comme les tours observatoires tombent dans l’oubli avec l’arrivée de la radio-diffusion au début du XXe siècle. 

 

 

Avec l’aide de René Estienne, conservateur général du Patrimoine de Lorient, Olivier Sauzereau redécouvre la boule horaire de Lorient sur une  plaque photo des années 1880. Ils vont pouvoir mener à bien un projet unique en France d’installer la boule horaire sur la tour de l’Orient, une boule de 80 kg qui tombe avec un système d’horlogerie réinventé et rejoindre ainsi les autres réalisations du même genre dans le monde.

 

 

 

L’observatoire accueille désormais sur sa terrasse un relais GPS pour les voitures autonomes à venir… Il va donc retrouver son role d’étalonneur des instruments de navigation ! 

 

 

 

On terminera avec un spectacle de danse autour de la boule horaire en 2022 et le souhait de récréer au moulin de Lorient un méridien lumineux comme celui que l’on peut voir à Greenwich…

 

 

 

Les idées et les projets d’Olivier continuent de plus belle ! Le public de l’amphi de l’IUT- La Chocolaterie est conquis par cette belle aventure menée de main de maître par un grand pédagogue. Merci à lui.

Question du public : Paris ou Londres ? La guerre des mesures ?  

Dans une « Histoire de l’heure en France », Jacques Gapaillard explique que La royale française avait pour référence l’île de Fer (El Hierro), l’île la plus à l’ouest de l’archipel des Canaries, que Ptolémée considérait comme l’extrémité du monde. 

En 1884, la conférence internationale de Washington devait résoudre la question de l’horaire légal des trains traversant le continent sur plusieurs méridiens et unifier le méridien de référence, chaque grande puissance utilisant son méridien national…

La France défend un méridien « neutre » passant en mer. Ce choix est rejeté par la grande majorité des délégations nationales présentes qui lui préfèrent, Etats-Unis en tête, le méridien le plus utilisé pour le commerce. La France obtient des Britanniques la compensation du mètre et du kilogramme  pour les poids et l’espace, mais boude jusqu’en 1912 où elle accepte du bout des lèvres d’y adhérer sans prononcer le mot Greenwich… 

Pour mieux connaître ce conférencier passionné et passionnant, le site de « La pose vagabonde » de Jean-Marie Poirier lui a consacré un beau portrait : «  Olivier Sauzereau à La Chapelle aux Lys »