Projection de deux émissions suivie d’une master class avec la journaliste. Emilie Aubry est depuis 2017 la rédactrice en chef de l’émission hebdomadaire Le dessous des cartes sur Arte, où elle présente également les soirées géopolitiques de Thema. En 2021, elle publie l’atlas Le dessous des cartes, inspiré de l’émission éponyme diffusée le samedi sur Arte, qui prolonge cette année un nouvel opus notamment consacré à la guerre en Ukraine

Les intervenants :

Emilie AUBRY journaliste, rédactrice en chef de l’émission Le dessous des cartes, auteure d’un atlas Le dessous des cartes ,Le retour de la Guerre

Modérateur: Nicolas CELNIK journaliste

Succéder à Jean-Christophe Victor

N. Celnik : Comment avez-vous repris le flambeau après Jean Christophe Victor en 2016 ?

E. Aubry : la géographie s’est décloisonnée et lorsqu’Arte m’a confiée cette émission, j’ai fait le pari de la géopolitique, un pari pour moi journaliste qui ne suis ni universitaire, ni enseignante mais passeuse de savoirs. Cette émission a toujours été particulière dans le paysage audiovisuel et son élaboration nécessite le travail d’un responsable scientifique, associé à celui de chercheurs qui nous rédigent des notes rigoureuses sur le sujet choisi. La mise en images et l’animation des cartes imposent des choix et des recherches. Exemple de questionnement :  le gazoduc North Stream était-il plein ou vide lors de son sabotage ou détérioration ? L’animation sur la carte change selon la réponse..

N. Celnik : L’animation change-t-elle la mission de l’émission ?

E. Aubry : Arte c’est la météo du monde et l’animation rend l’image plus vivante, « un atlas qui bouge » version XXIe siècle. La plateforme Youtube vient en complément de l’antenne en rediffusant les émissions : elle permet une audience complémentaire, plus jeune, à l’émission télévisée.

N. Celnik : L’intérêt pour la géopolitique s’accroit-elle avec la guerre en Ukraine ? Quel est votre rôle dans ce contexte ?

E.Aubry: La guerre s’invite dans l’actualité et favorise l’intérêt pour les cartes. La guerre traditionnelle est revenue dans notre univers mental car la guerre en Ukraine est une guerre de territoires. Les dictateurs maîtrisent la géographie et Poutine a construit un raisonnement géostratégique : la Crimée pour l’accès aux mers chaudes et son arrimage à la Russie par le pont en mer d’Azov construit en 2018, le Donbass pour l’accès aux énergies fossiles, Odessa pour la jonction Est-Ouest, tous ces enjeux s’expriment par les cartes et ceci est compris même par les émissions d’information qui multiplient l’usage des cartes actuellement.

N. Celnik : Quels sont les différents formats de diffusion de votre émission ?
E. Aubry : Il y a les émissions dossiers, les émissions monographiques du type « le Portugal » que nous allons vous présenter et enfin les émissions transversales sur les effets du changement climatique par exemple.

Deux diffusions d’émissions du Dessous des cartes choisis pour le FIG sont ensuite proposées :

LE PORTUGAL « Un petit pays européen à la conquête du grand large »

Date de diffusion de l’émission :  2020

Rappel en cartes de la chronologie des conquêtes portugaises. De Madère aux comptoirs de la côte ouest africaine par Bartolomeo Diaz, du partage du monde lors du traité de Tordesillas en 1494 à l’apogée de l’empire portugais au XVIe du Brésil à l’océan Indien, avec Goa, plaque tournante des épices, se fondent l’empire colonial et la fortune du Portugal.

Avec l’indépendance du Brésil en 1822, le Portugal est fragilisé et explore alors l’Angola et le Mozambique afin de refonder un empire, encourant ainsi l’ire du Royaume-Uni. Le dictateur  Salazar, au pouvoir de 1933 jusqu’à sa mort en 1970, engage la guerre dans les colonies et en 1974,  la Révolution des Œillets scelle la fin de la colonisation portugaise en 1975 et ses ambitions outre Atlantique.

En 1986 le Portugal entre dans la CEE  et s’ancre à l’Europe. Ce pays effectue ainsi un immense rattrapage économique célébré lors de l’exposition universelle de Lisbonne en 1998, mais cette embellie s’assombrit avec la crise de 2008. Le Portugal reste donc une terre d’émigration. En 2015 le maire de Lisbonne, Marcelo Rebelo de Sousa est élu à la présidence et le Portugal retrouve un essor économique (on parle de « miracle portugais »), qui favorise les grandes villes du littoral .

Donc deux ancrages : le Portugal reste tourné vers  l’Atlantique par son appartenance à l’OTAN, et par une ZEE de 3,8millions de km² (c’est la 3e ZEE la plus grande de l’UE), mais aussi ancré à l’Europe par une certaine dépendance à la CEE et des traditions migratoires. Ce pays a une destinée en dents de scie et aspire à redevenir grand mais il subit actuellement de plein fouet les effets de la pandémie de Covid-19 et l’inflation. Le Portugal est le 4e pays le plus en difficulté de l’UE derrière la Grèce, l’Espagne et l’Irlande.

2e diffusion d’émission  choisie en rapport avec le thème du FIG : Le SAHARA Occidental, un conflit ensablé.

Date de diffusion : 2018

C’est une grande façade maritime poissonneuse (3/4 de la pêche marocaine), riche en phosphates (1ere richesse du Maroc) mais aussi en or, cuivre, uranium et gaz de schistes.

Deux puissances régionales, l’Algérie et le Maroc, s’affrontent pour cet espace peuplé de Sahraouis et contrôlé par le Maroc depuis 1979.

Les Sahraouis veulent leur indépendance et fondent en 1973 le Front Polisario, soutenu par l’Algérie. En 1975 Hassan II lance la Marche verte dans le Sahara espagnol et Franco laisse faire pour garder Ceuta et Melilla : par les accords de Madrid, l’Espagne se désengage en novembre 1975 de ce territoire. Le front Polisario entreprend alors une lutte armée.

Le mur des Sables, long de 2 720KM, est créé par le Maroc à partir de 1980 et achevé en 1987 avec des champs de mines, des radars et gardé par 100 000 soldats marocains. Ce mur permet au Maroc de contrôler plus des deux tiers du territoire du Sahara Occidental.

Les cartes portent les traces de ce conflit : en effet le Maroc intègre le Sahara Occidental dans ses cartes comme « provinces du sud » avec aucune trace de la frontière reconnue par l’ONU.

Ainsi il s’agit du dernier conflit postcolonial : le Maroc développe ce territoire avec une route côtière, des champs d’éoliennes, un spot de surf mondialement connu à Dakhla et une stratégie de peuplement par des Marocains. Les Sahraouis sont divisés, certains vivent dans des camps en Mauritanie et en Algérie. Le Front Polisario tente de médiatiser les insurrections  et les cas de tortures des militants via les organismes internationaux.
L’Algérie, le Mali, la Libye et la Mauritanie soutiennent le Front Polisario, et la France, l’Espagne soutiennent le Maroc. Lui même soutenu par les Etats-Unis dans le cadre de la lutte contre le terrorisme.

Il s’agit donc d’un conflit gelé mais l’actualité de la guerre en Ukraine et la problématique gazière propulse les efforts de dialogue entre le roi du Maroc et le président algérien. Le président Macron a inscrit le sujet du Sahara occidental dans un effort de médiation entre ces pays.

Questions du public, étudiant en grande partie :

Combien de temps vous faut-il pour réaliser cette émission de 12 minutes ?

E. Aubry : Il y a plusieurs étapes . D’abord des rencontres avec les chercheurs habilités à traiter le sujet choisi, ensuite la semaine de montage et d’animation des cartes et enfin le tournage plateau et la voix, soit deux mois pour une émission.

Quelles études avez-vous faites ? 

E. Aubry : classes préparatoires littéraires, deux années de littérature, puis sciences Po à Paris.

Votre émission a-t-elle subi la censure de certains pays ?

E. Aubry : Les diplomates du Maroc ont contesté nos cartes qui présentent le Sahara Occidental avec des hachures, de même les Ukrainiens car nos cartes montrent une Crimée hachurée……alors que les hachures en cartographie signifient zone de conflit. De même, nos sujets les plus trollés sur twitter concernent Taïwan, la Corée et l’Ukraine.