Des mésaventures de Jonas à l’épopée de Moby Dick, la baleine peuple nos imaginaires. Mais c’est d’abord au fond des mers qu’il faut allez chercher ce que le Moyen Âge prenait pour un « gros poisson » avant que les naturalistes du XVIIIe siècle ne le classent parmi les mammifères marins. De Terre-Neuve au Golfe de Gascogne, l’histoire de la chasse à la baleine est aussi celle de la surexploitation des ressources naturelles. Son industrialisation pose aujourd’hui des problèmes de réglementations internationales (notamment autour de l’enjeu géopolitique du détroit de Béring), mais aussi de préservation environnementale — on sait aujourd’hui que les grands cétacés contribuent grandement à faire des océans des puits à carbone. Bref, dès lors qu’on envisage son histoire en longue durée, la baleine est le miroir de toutes nos hantises.

Intervenants

  • Michel Pastoureau est spécialiste des armoiries et des couleurs. Sa dernière recherche en date porte sur le blanc. 
  • Romain Grancher est chargé de recherche au CNRS (UMR FRAMESPA 5136). Ses recherches actuelles s’inscrivent dans le sillage de sa thèse sur ‘Les usages de la mer. Droit, travail et ressources dans le monde de la pêche (Dieppe, années 1720-années 1820)’. Elles portent sur le gouvernement des ressources naturelles en France et en Europe à l’échelle d’une longue période préindustrielle (XVIIe-XIXe siècle) et s’inscrivent à la croisée des champs de l’histoire environnementale, de l’histoire des sciences et des techniques et de l’histoire du droit.
  • M. De Kerangal est absente. Elle est remplacée par Cécile Deniard, traductrice d’un grand nombre d’ouvrages, qui a illustré la table ronde d’un certain nombre de lectures, notamment de l’oeuvre de Moby Dick, dont il est difficile de rendre compte ici.
  • Patrick Boucheron, Professeur au Collège de France, titulaire de la chaire « Histoire des pouvoirs en Europe occidentale, XIIIe-XVIe siècle »,  assure la modération.

 

Sur l’image de la baleine (Michel Pastoureau)

La baleine, catégorisée parmi les poissons est le plus souvent représentée dans les bestiaires médiévaux comme un gros poisson avec queue et écailles. On y voit aussi très souvent des Hommes faisant un feu sur son dos : la baleine est tellement grosse qu’elle est confondue avec une île. Les hommes s’y installent et y font du feu. Perfide, l’animal plonge alors et piège les hommes. La Baleine n’est pas un monstre. Un monstre est à cheval sur les catégorie pensées par les hommes du Moyen-Age ; quadrupèdes, serpents, vers et vermines, … la licorne n’est pas un monstre car elle emprunte toutes ses caractéristiques aux quadrupèdes. Longtemps poisson, la baleine ne devient mammifère marin qu’au XVIII° siècle. Linné le classe d’abord chez les poissons puis crée une nouvelle catégorie, ce qui ouvre la voie à la cétologie.

Le Roi des poissons n’est pas la baleine mais le dauphin : il est souvent représenté avec une couronne sur la tête. Pline en fait un ami des animaux. Etonnant car il est la bête noire des pécheurs du XVII XVIII°s : il détruit les lignes et attaque les pécheurs.. Il est par contre le poisson des Rois : met recherché, on en mangeait à sa table. C’est aussi le met réservé à l’abbé dans les abbayes. On discute pour savoir si c’est un plat gras ou maigre, voire autorisé en temps de carême… les avis sont partagés cet animal vient de l’eau !  

Le renversement des représentations sur le temps long est incroyable : comme le loup, on est passé de la baleine animal dangereux et terrorisant à l’animal préféré des enfants! Ce renversement commence à la fin du XIX°. Dans Pinocchio : le texte parle d’un « terrible chien poisson avec 3 rangées de dents ». Le changement d’image s’accélère après la seconde guerre mondiale. La baleine du Pinocchio de Disney est d’ailleurs plutôt accueillante… 

La baleine est une ressource (Romain Grancher) 

La baleine est exploitée en 4 phases qui se superposent. Tout d’abord on s’en saisit lors des échouages : viandes, graisse qui devient huile, fanons, peau, viscères sont réutilisés. C’est encore mieux avec le cachalot : on en tire de l’ambre gris, de l’huile blanche,… « C’est une peu le pétrole des société pré-industrielles ». La manière la plus simple d’accéder à cette ressource est d’attendre que l’animal s’échoue. Habitude qui se perpétue : en 1917, un rorqual s’échoue à Bidard. Il est directement dépecé. Mais progressivement se met en place la chasse d’échouage. On guette le passage près des côtes : on les effraie ensuite pour les échouer sur le rivage.

Puis les basques commencent à traquer les baleines en mer : ils développent la technique du harpon dans le cadre d’une chasse côtière. Ils la tractent ensuite sur la côte. La vraie révolution arrive en 1730 lorsque le capitaine Saupit arrive à transformer la graisse de baleine directement sur le bateau : on s’émancipe de la dépendance au rivage rendue plus difficile lors des captures dans la région hollandaise du Spitzberg.  

Cette activité destructive se déroule en 3 phases : on découvre un site, on l’exploite puis on se reporte sur une autre zone. Les basques vont décimer les baleines du golf de Gascogne  : 20 000 individus pensent certains historiens. Puis ils investissent le Labrador puis le Spitzberg.  Les baleiniers américains découvrent un site dans le pacifique. Il est décimé en 10 ans. Les innovations techniques permettent  d’envisager de chasser de nouvelles espèces : l’hélice pour chasser les espèces les plus rapides comme le Rorqual, le harpon à tête explosive, soufflet d’oxygène pour les espèce qui coulent, pêche en groupe avec un bateau de transformation…

Il reste 300 ou 400 baleines franches dans l’Atlantique mais plus d’un million de cachalots. 

Depuis 1986, la chasse à la Baleine est officiellement interdite. Le Japon, l’Islande et la Norvège sont néanmoins des nations baleinières : elles se cachent derrière le prélèvement scientifique et la possibilité d’une « chasse de subsistance ». C’est en fait une « tradition inventée » qui ne remonte qu’au XVI° siècle.